Rien n’arrête Camille Brunel dans son amour indescriptible pour les animaux voire des êtres vivants de façon générale. Ce livre le démontre une fois de plus.
1-La véracité de vos propos et la lecture de la fin de votre ouvrage démontre qu’il ne s’agit pas d’un réel roman. Pourquoi avez-vous gardé ce qualificatif ?
Il me semble qu’on a toujours plus envie de lire un roman qu’une chronique ou une biographie ! Surtout, le roman offre des libertés qu’un biographe ne pourrait pas se permettre. Le personnage démoniaque, méphistophélique, qui apparaît dans la deuxième moitié du livre, est une invention pure : on passe donc d’une première moitié largement inspirée de souvenirs bien réels (quoique déjà très romanesques) à une partie purement fictive, où mon personnage de militante « issue de la réalité » rencontre l’incarnation parfaite du spécisme et du sexisme, et entreprend de dialoguer avec. D’où les nombreuses références au mythe d’Orphée & Eurydice : c’est une descente aux enfers et une rencontre avec le Diable. Pour moi, c’est une descente dans la fiction… pour mieux remonter vers la réalité ensuite.
2-Ce roman nous emporte à des kilomètres de la France, à Ecatepec exactement, dans la banlieue nord de Mexico. On peut néanmoins se poser la question de savoir s’il n’est pas possible de transposer cette histoire dans une des grandes villes française. Qu’en pensez-vous Camille Brunel ?
On peut absolument transposer cette histoire en France. Quand on pense au Mexique, on s’imagine tout de suite quelque chose d’exotique : que ce soit du côté de la cuisine, de la musique, de l’environnement, ou encore du climat social, le Mexique semble à l’autre bout du monde. Dans l’imaginaire, le Mexique, c’est les antipodes, c’est le mystère, c’est l’inconnu.
Mais j’y ai vécu deux mois, et je me suis bien rendu compte que je n’étais pas si loin de la France que cela. La première preuve, c’est que j’ai pu y manger végane absolument partout, dans les quartiers riches de Mexico comme à Ecatepec, comme dans les endroits les plus ruraux.
En fait, plus on creuse, plus les similitudes entre le Mexique et la France paraissent criantes, et plus on perd cette impression que le Mexique serait un pays violent en opposition à la France, pays des Lumières, pays policé. Le Mexique est extrêmement inégalitaire, mais la France aussi. Le Mexique est un pays corrompu, et combien de dirigeants français traînent des procès liés à du détournement d’argent public ? D’une certaine manière enfin, la France aussi est gangrenée par des cartels, quoiqu’on ne les appelle pas comme ça : les chasseurs, groupes violents et armés, constituent une véritable forme de pouvoir dans le pouvoir, et dictent leurs lois à l’exécutif – exactement comme le narco d’Ecatepec dicte les lois au Mexique.
Récemment, en France, des activistes de One Voice ont été menacées de mort par un directeur de cirque. D’un point de vue animaliste, il n’y a aucune surprise à trouver chez nous une telle violence décomplexée à proximité du pouvoir, du type de celle que l’on a tendance à projeter à l’étranger. Pas surprenant d’un point de vue animaliste… et d’un point de vue féministe.
C’est la dernière raison pour laquelle cette histoire n’est pas « seulement mexicaine » : car j’ai rencontré, au Mexique, des activistes animalistes et féministes, qui elles aussi obtenaient gain de cause – peut-être même mieux qu’en France. A bien des égards, le Mexique est en avance (ou plutôt : pas en retard) : la corrida a été abolie dans de nombreux états où elle était pratiquée depuis des siècles, les tests animaux sur les cosmétiques ont été interdits, les delphinariums fermés, l’avortement a été dépénalisé, la statue de Christophe Colomb remplacée par la statue d’une autochtone… Malgré ses difficultés, il me semble que c’est un pays qui va dans la bonne direction. Peut-on en dire autant de ce côté de l’Atlantique ?
Ce que j’ai voulu raconter aussi, c’est qu’on ne peut pas accuser l’animalisme d’être une lubie d’Occidentaux. La sensibilité à la douleur animale est universelle. Et le courage d’affronter les systèmes de domination aussi.
3-Pensez-vous que César Milan peut être l’homme politique moderne occidental ?
Je le pense ; d’ailleurs j’ai conçu une partie du dialogue avec lui à l’époque de la campagne présidentielle, en septembre 2021 : Mélenchon était allé débattre avec Zemmour chez Cyril Hanouna. Dans le genre descente aux enfers pour discuter avec le diable, ça se pose là. Je me suis dit qu’il faudrait reproduire dans mon texte les impressions qui avaient été les miennes devant ce débat : comment échanger avec quelqu’un qui, idéologiquement, nous répugne, qui en plus, à la force brute de son côté – et ne s’embarrasse pas de questions éthiques ? De façon désabusée, on peut dire que de telles personnes sont aujourd’hui au pouvoir : il n’y a qu’à écouter les prises de parole de Marc Fesneau, ministre de l’agriculture, de Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur, ou du président Macron. Ces gens règnent par la force, ou la ruse : 49.3, CRS, diversion sur l’abaya au moment de la rentrée… Forcément que les chasseurs jouent sur du velours : ce monde est le leur. Mon César Milan formule un idéal : celui d’un homme cruel, sexiste et spéciste – à l’image du pouvoir dans de nombreux pays dans le monde – mais qu’une jeune femme arriverait à raisonner, à ramener vers la conscience et l’empathie… un peu (et en trichant). Clairement, c’est mon roman le plus optimiste.
4-Vous prônez l’universalisme, la protection de chaque être vivant et l’idée que la protection des animaux va de pair avec la protection des femmes, c’est bien cela ?
Oui, absolument. Et je me contenterai de citer le collectif « Un jour un chasseur », qui le résume très bien dans son livre Chasser tue (aussi) des humains : « La masculinité confère […] une position sociale supérieure : on peut se permettre de s’approprier les autres. De la même manière, les luttes animaliste et antispéciste sont majoritairement menées par des femmes. » Juste après, elles écrivent : « Pour Axelle Playoust-Baure, l’importante féminisation du mouvement animaliste tient à un sentiment d’empathie et de solidarité des femmes à l’égard des animaux dû au fait qu’elles perçoivent dans l’exploitation animale des analogies avec ce qu’elles subissent dans le cadre d’une société patriarcale ». Voilà, c’est exactement ce que raconte Ecatepec.
On a énormément de bouquins avec des héroïnes féministes ; moins avec des héroïnes animalistes. Or l’intégralité des animalistes que je connais sont féministes – je ne peux pas en dire autant de toutes les féministes que je connais. Ce qui est vraiment dommage (il y avait eu une lettre de l’Amorce à ce sujet : https://lamorce.co/lettre-aux-feministes-pour-une-solidarite-passive-interluttes-avec-lantispecisme/). Donc je sais bien que je suis un homme, avec ce que ça implique de distance inévitable vis-à-vis du cœur du combat féministe, mais j’ai voulu faire un roman là-dessus, avec cette voix végane qui est la mienne. Pour la première fois, j’ai voulu mettre en scène un antispécisme explicitement féministe.
5-Il n’y a pas de différence entre les vivants dans la mort, c’est bien cette idée que vous mettez notamment en avant ?
C’est la raison d’être de la scène fantastique à la fin, lors du Jour des Morts pour les animaux – il existe vraiment, mais on n’en parle jamais ! C’est encore l’un des points où le Mexique est en avance : ce n’est pas en France qu’on célèbrerait ça. Mais j’ai tenu à aller au bout de l’idée… et donc à aller plus loin que la mort des animaux de compagnie. Ce que ça raconte, c’est l’omniprésence d’animaux morts autour de nous. La présence de la viande partout et tout le temps, l’empire spéciste sur le monde, fait que nous sommes constamment environnés de morts en morceaux. Ce sont des cadavres d’animaux, certes. Mais quand on prend conscience du fait que les animaux sont des individus, comme les humains, comme les enfants, alors le monde se transforme en maison hantée. En monde hanté. Ecatepec raconte comment, en tant qu’animalistes, on doit apprendre à survivre au milieu de tous ces fantômes, et aux côtés des monstres qui ne voient pas le problème. Il n’y a qu’au Mexique que je pouvais situer une histoire pareille !
Pour le suivre sur les réseaux sociaux : Facebook, Twitter, Instagram, Linkedin
Savoir Animal
La rédaction - Savoir Animal