ActualitésNuméro 2Interview de Georges Chapouthier

Savoir Animal15 janvier 202175 min

Savoir Animal – Monsieur Chapouthier, vous venez de publier, chez Odile Jacob, un livre original « Sauver l’homme par l’animal », pour lequel nous aimerions vous interviewer, mais, au préalable, pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Georges Chapouthier – Chercheur scientifique émérite au CNRS, j’ai une double formation de biologiste et de philosophe. En tant que biologiste, j’ai étudié la mémoire et l’anxiété chez les souris. En tant que philosophe, je me suis beaucoup intéressé aux rapports de l’homme et des (autres) animaux, sur lesquels j’ai écrit plusieurs livres, notamment sur la question des droits de l’animal.

Savoir Animal – C’est donc dans cet esprit que vous avez écrit votre récent livre?

Georges Chapouthier  – Tout à fait. J’ai toujours été frappé par deux choses a priori contradictoires : la puissance intellectuelle de l’espèce humaine qui, sur le plan scientifique et technologique, conduit à des réalisations exceptionnelles, mais aussi la sauvagerie de notre espèce sur le plan moral. Toute l’histoire de l’humanité est une suite de sévices, de guerres, de tortures et d’atrocités, don il n’y a pas de quoi êtres fiers. Et, parmi tous ces sévices, ceux que nous faisons subir aux (autres) animaux ne sont pas moindres que ceux que nous faisons subir à nos semblables. La question que je pose dans ce livre, c’est : comment améliorer tout cela, comment rendre l’espèce humaine plus paisible et moins sanguinaire ?

Savoir Animal Vaste programme en effet ! Quelle est votre réponse à cette question bien ambitieuse ?

Georges Chapouthier  –  Ma réponse s’appuie sur les innombrables connaissances qui ont été acquises, ces dernières années, sur le comportement des animaux et sur leur fonctionnement cérébral, et dont l’exposé constitue une large part de l’ouvrage. La thèse que je défends, c’est que retrouver une partie de nos aptitudes animales permettrait à l’homme de s’améliorer. Bien sûr, l’espèce humaine est une espèce animale très particulière, mais les travaux scientifiques récents montrent que ses différences avec les autres espèces animales ne sont pas aussi marquées qu’on l’avait longtemps cru.

Savoir Animal  –  Pouvez-vous nous en donner quelques exemples ?

Georges Chapouthier – Sur le plan cognitif, beaucoup d’animaux utilisent des outils, comme des pierres pour casser des noix. Les dauphins raclent le fond des océans avec des éponges qui font sortir de la vase les poissons qu’ils consomment. Des fourmis cultivent des champignons. Des pieuvres protègent leur corps mou à l’aide de demi-noix de coco qui leur servent de boucliers. Les communications entre animaux peuvent être étonnantes, comme en témoigne l’extrême complexité de certains chants d’oiseaux. Les singes vervets alertent leur troupe par un cri particulier pour chaque type de prédateur : aigle, serpent ou léopard. On peut enseigner à des chimpanzés ou à des gorilles des éléments des langages par gestes utilisés par les sourds muets. Même les chiens peuvent comprendre plusieurs centaines de mots humains et faire la différence entre un nom et un verbe. Il existe aussi des préférences esthétiques chez les animaux, qui peuvent choisir certaines couleurs, certaines formes, certains motifs de chant. On pourrait multiplier les exemples…

Savoir Animal  –  Et sur le plan des émotions ?

Georges Chapouthier – C’est là un point essentiel, puisque c’est justement aux émotions que je ferai finalement appel pour le bénéfice de notre espèce humaine. Tous les animaux vertébrés possèdent une région du cerveau qu’on appelle le « système limbique » et qui leur permet d’éprouver, comme nous, des émotions. Mais, au-delà des émotions, ce qui importe ici, c’est l’utilisation, empathique ou altruiste, qu’ils peuvent en faire. Il y a beaucoup d’exemples d’altruisme chez les animaux, et particulièrement les animaux sociaux, sans même parler des parents qui se sacrifient pour leurs petits. Beaucoup observent des règles morales pratiques qui leur permettent d’aider un congénère en difficulté ou en souffrance. En laboratoire, on a pu montrer que des singes ou même des rats, qui ont appris à appuyer sur un levier pour obtenir de la nourriture, réduisent immédiatement leurs appuis s’ils s’aperçoivent que ceux-ci délivrent, outre de la nourriture, une punition à un congénère situé à proximité. Sur le plan cérébral, on sait maintenant que les processus hormonaux qui commandent l’attachement et l’affection sont les mêmes chez des êtres humains et chez les (autres) mammifères.

Savoir Animal – Alors quelles conséquences faut-il en tirer ? Faut-il imiter ces animaux dans leurs comportements empathiques ou altruistes ?

Georges Chapouthier  –  Oui et non. Il ne s’agit pas, bien sûr, de demander à ce que l’être humain abandonne ses remarquables aptitudes scientifiques et technologiques. Il s’agit de lui demander de retrouver en lui ses aptitudes émotionnelles et empathiques animales, qui existent bien sûr (l’homme peut faire preuve de bonté ou de compassion), mais qui sont souvent négligées par nos sociétés. Il s’agit de lui demander d’harmoniser ses aptitudes cognitives avec ses aptitudes émotionnelles.

SA  –  Comment pensez-vous qui soit possible de parvenir à une telle harmonie ?

Georges Chapouthier – Dans des sociétés comme les nôtres, la principale solution me semble se trouver dans l’éducation des jeunes. Nos sociétés favorisent excessivement les aptitudes purement cognitives comme les langues ou les mathématiques, même dans des métiers tournés vers l’altruisme, comme la médecine. Un retour vers davantage d’éducation civique et morale à l’école, incluant des préceptes clairement tournés vers l’équilibre écologique et le bien-être animal, me paraît très souhaitable. Ce retour pourrait permettre d’amorcer des sociétés plus paisibles et plus soucieuses du bien être des hommes comme de leurs cousins animaux.

Georges Chapouthier, Chercheur émérite au CNRS

Wikipedia

Facebook

Savoir Animal
Site Web | Autres articles

La rédaction - Savoir Animal

7 commentaires

  • Eugène Michel

    18 janvier 2021 à 8h44

    Oui, “sauver l’homme par l’animal”, et en particulier par le mammifère, puisque l’être humain en est un.
    Eugène Michel

    Répondre

  • Sallenave

    17 janvier 2021 à 16h53

    Très intéressant, passionnant même merci pour cette article

    Répondre

  • benjamin

    16 janvier 2021 à 19h31

    Très intéressant ! Il me semble avoir lu dans l’un de tes autres intéressants ouvrages que le système limbique était également impliqué dans les circuits de récompense liés à l’alimentation. En encourageant les hommes à utiliser leur système limbique, ne risque-t-on pas de les inciter à manger des êtres vivants comme les autres omnivores, habitude qui commençait à peine à passer de mode ?

    Répondre

  • Denis Laming

    16 janvier 2021 à 19h06

    Ce que dit Georges est tellement limpide que l’on a du mal à comprendre pourquoi, au fil du temps, les civilisations ne se sont pas améliorées en retenant le meilleur des autres espèces!

    Répondre

  • profesor Ernesto Kahan

    16 janvier 2021 à 14h12

    Cet entretien avec mon ami et grand scientifique, écrivain et homme extraordinairement moral et sage, Georges; c’est un bijou qui doit évidemment être accompagné de votre livre récent.

    il doit être un aliment quotidien pour l’enseignement primaire, secondaire et universitaire de toutes professions.

    Nous avons encore le temps de sauver la civilisation humaine, mais c’est urgent

    Prof. Dr. Ernesto Kahan

    Répondre

  • JEAN AUDOUZE

    16 janvier 2021 à 12h34

    Je tiens à féliciter Georges Chapouthier pour son excellente analyse de ce que l’humanité pourrait avantageusement retirer dans l’amélioration de ses rapports avec les autres espèces animales.

    Répondre

  • Michel-Angelbert Legendre

    15 janvier 2021 à 17h47

    Je redoute plus l’être humain que les animaux. Les animaux ont une mémoire et un sens de l’orientation qui dépassent ceux de l’homme.
    L’homme est méchant et a besoin d’affection. C’est son équilibre. Plus il reçoit d’affection moins il est méchant. L’affection est difficile à donner…Il faut consacrer beaucoup de temps pour parler et faire parler. Les apports matériels sont secondaires.
    Le drame actuel est que les leçons de morale ont disparu dans l’Enseignement. Il est inutile de dire ce qu’il ne faut pas faire, il faut dire ce qu’il faut faire. Il y a toujours eu des guerres, il y en aura toujours.
    si vis pacem para bellum.

    Répondre

Laisser un commentaire

Your email address will not be published. Required fields are marked *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.