Numéro 14EthologieJessica Serra, animaux énigmatiques. La vie secrète des animaux les plus impressionnants

Savoir Animal15 janvier 20245 min

On ne présente plus Jessica Serra. Ce docteur en éthologie, spécialiste du comportement animal qui a écrit de nombreux livres sur ce sujet. La sortie de son dernier livre, paru aux éditions Larousse a été l’occasion de lui poser des questions sur ce dernier.

Dans ce nouveau livre « Animaux Énigmatiques, la vie secrète des animaux les plus impressionnants », j’ai choisi les animaux en fonction des réactions de peur qu’ils suscitent, soit parce que nous les trouvons répugnants, soit parce qu’ils sont réputés dangereux. J’avais à cœur de comprendre pourquoi certains animaux sont détestés et comment ces peurs se sont instaurées au cours du temps. J’ai donc consacré une rubrique « Mythes et croyances » à chaque espèce, qui relate les fondements de ces croyances et permet de comprendre combien nos peurs sont transmises de manière culturelle et ne sont pas innées. Dès le plus jeune âge, sans que les parents s’en rendent compte, le bébé humain est imprégné par ces peurs ou le dégoût de certaines espèces transmises par l’entourage familial. Ainsi peut-on voir de très jeunes enfants sursauter ou hurler à la vue d’une souris tandis que d’autres voudront la prendre dans les mains.

En creusant le sujet, à travers la biologie et les découvertes éthologiques liées à ces espèces, on découvre que l’immense majorité de nos peurs et de nos répulsions sont infondées, et combien, au contraire, la plupart de ces animaux devraient susciter l’émerveillement plutôt que l’aversion. Notre culture nous conditionne à penser le vivant de manière simpliste, avec d’une part, les animaux qui suscitent notre sympathie comme les pandas ou les koalas et d’autre part, les animaux répugnants ou réputés nuisibles, dont certains comme les requins ou les insectes s’éteignent dans l’indifférence générale. Pourtant, une fois levées nos œillères, on ne peut que s’extasier devant l’existence d’un monde intérieur chez le cafard ou devant l’empathie chez le rat. Qu’on les trouve hideuses ou pas, utiles aux hommes ou non, nombre de ces créatures jouent un rôle crucial dans le vivant (y compris différentes espèces de cafards et de rats !)

A chaque fois qu’une espèce d’insectes, d’araignées ou de serpents disparaît de la surface de la Terre, ce sont non seulement des maillons des écosystèmes qui se brisent, nous menaçant directement à terme (nous sommes un de ces maillons), mais ce sont aussi des mondes entiers qui disparaissent à jamais : les fameux « Umwelten »[1] des animaux. Ces disparitions de bêtes minuscules, laides, repoussantes, présumées dangereuses, nous n’en parlons jamais ! Elles devraient pourtant nous émouvoir autant que celles des animaux emblématiques. Le but de ce livre est donc d’apprendre à regarder sous un jour nouveau ces animaux, en se débarrassant de nos préjugés et du poids des croyances, pour mieux les préserver.

Cette question est intéressante, car en tant qu’occidentaux, nous avons tendance à hiérarchiser le vivant en plaçant telle espèce à un niveau supérieur par rapport à telle autre. Qu’on aime bien une espèce ou qu’on la déteste, on a spontanément tendance à penser qu’un animal de grande taille par exemple (un mammifère par exemple) a plus d’importance qu’un animal minuscule (un insecte par exemple). Au premier abord, il nous semble donc que l’existence du loup vaut plus que celle d’une punaise. Cela est lié à notre mode de pensée occidental, qui fractionne le vivant et dans lequel certains animaux auraient un droit à exister plus important que d’autres. Il suffit de voyager pour se rendre compte que selon la culture à laquelle il appartient, l’humain ne fragmente pas le vivant de cette manière. Prenons l’exemple des hindouistes ou des bouddhistes, qui accordent leur respect à tous les animaux, depuis la vache au ver de terre.

En tant qu’éthologue, je prends donc garde à ne pas tomber dans le piège du mode de pensée occidental, en classifiant selon un degré d’importance les différentes espèces animales…. L’expérience m’a montré que chaque créature sur cette planète est un trésor à découvrir. Cela ne signifie pas pour autant que le loup et la punaise sont « au même niveau ». Seulement qu’affecter un droit plus ou moins grand à exister et un degré d’importance à telle ou telle espèce dans le monde est une vue de l’esprit issue de notre civilisation anthropocentrée (sauf cas particulier des espèces invasives introduites par l’Homme qui mérite discussion). Chaque espèce est unique, avec ses spécificités. Que nous les trouvions moches ou beaux, tous les animaux ont droit à la vie.

En effet, s’il me fallait faire le tour de tous les animaux qui nous font peur, je pense qu’il faudrait décliner ce livre en plusieurs tomes. Ce ne serait pas une mauvaise idée ! L’exemple du lynx est bien choisi : selon les personnes auxquelles on s’adresse, certaines en ont peur, d’autres au contraire sont fascinées par cet animal, un phénomène que l’on retrouve pour beaucoup de grands félins, y compris le lion ou la panthère. Cela souligne la part culturelle liée à ces peurs. J’avais moi-même peur des serpents dans le jeune âge (peur que je suis parvenue à apprivoiser), mais jamais du lynx, ce qui explique sans doute que je ne l’ai pas choisi pour ce livre…


[1] L’umwelt (Umwelten au pluriel) est le monde propre d’un animal. Bien que partageant le même environnement, des organismes peuvent avoir l’expérience de différents mondes propres.

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