Perquisitions et gardes à vue des exploitants et des vétérinaires : une affaire prise très au sérieux par le parquet de Rodez
Ce mercredi, se tiendra au tribunal judiciaire de Rodez le procès de l’élevage intensif d’agneaux appartenant à la SARL Grimal (Rullac-Saint-Cirq, 12), dont L214 avait dévoilé les images en juin 2020.
Il s’agit d’un élevage d’engraissement industriel d’agneaux de 20 000 m2. Chaque année, près de 120 000 agneaux, principalement issus de la filière laitière AOP roquefort, y sont engraissés pendant environ 3 mois. Son principal client est le groupe Agromousquetaire (Intermarché) sous la marque Jean Rozé, dont l’abattoir est situé à Vitré (35).
Le parquet, appuyé par la Brigade nationale d’enquêtes vétérinaires et phytosanitaires (BNEVP), a pris l’affaire au sérieux et a procédé à des perquisitions et des gardes à vue aussi bien concernant la SARL Grimal que le cabinet vétérinaire.
Des délits poursuivis à l’encontre de l’élevage et des vétérinaires
L’élevage et ses 2 cogérants sont poursuivis pour :
- mauvais traitements commis sur les animaux par un professionnel, en l’espèce l’usage abusif d’antibiotiques (délit) ;
- tromperie sur la qualité du produit, infraction matérialisée par un agneau engraissé présentant un taux de sulfadiméthoxine anormalement supérieur à la réglementation lors d’un contrôle en abattoir (délit) ;
- administration irrégulière de médicaments vétérinaires, infraction matérialisée par les antibiotiques administrés via l’alimentation et par injection (délit) ;
- absence de tenue d’un registre d’élevage (contravention).
Fait rare, les deux vétérinaires de l’élevage sont également poursuivis chacun pour 7 délits et 1 contravention de classe 5 :
- l’absence de surveillance sanitaire ou de suivi régulier par manque de registre d’élevage et de traitements, permettant un suivi et une surveillance régulière (délit) ;
- aide au mésusage ou à l’abus de médicament – commandes excessives de Draxxin (antibiotique injectable) et d’aliments médicamenteux (antibiotiques) par dépassement des quantités par rapport aux besoins de l’éleveur (délit) ;
- prescription de médicament vétérinaire contenant des antibiotiques d’importance critique sans avoir réalisé les examens et analyses préalables obligatoires – Forcyl, marbofloxacine (délit) ;
- la délivrance de médicaments vétérinaires sans ordonnances et dans des quantités importantes, permettant à l’éleveur de faire des stocks et occasionnant à terme un risque d’antibiorésistance (délit) ;
- d’autres délits et contraventions tenant aux conditions de délivrance des médicaments à la SARL Grimal : altération frauduleuse de la vérité dans un écrit (délit), usage de faux en écriture (délit), délivrance au détail sans ordonnance (délit), ou délivrance de médicaments sans enregistrement conforme (contravention).
Perquisitions et gardes à vue : une enquête judiciaire approfondie déclenchée par les images de L214
Dans cette enquête filmée, on voyait des milliers d’agneaux entassés dans des bâtiments sans aucun accès à l’extérieur, dont de nombreux malades. Certains agonisaient au milieu des autres, et plusieurs bacs d’équarrissage étaient remplis d’animaux morts, et ce malgré la présence sur place de récipients d’antibiotiques (tulathromycine). L214 avait porté plainte auprès du parquet de Rodez.
L’enquête du parquet, appuyé par la Brigade nationale d’enquêtes vétérinaires et phytosanitaires (BNEVP), a pris l’affaire au sérieux et a procédé à des perquisitions et des gardes à vue aussi bien concernant la SARL Grimal que le cabinet vétérinaire.
Utilisation massive et incontrôlée d’antibiotiques
Les animaux étaient nourris avec de l’aliment médicamenteux (Grimal Démarrage et Grimal Croissance) contenant des antibiotiques : sulfadiméthoxine et oxytétracycline. Les fabricants d’aliments sont en effet considérés comme des établissements pharmaceutiques, habilités à ajouter des médicaments dans la nourriture destinée aux animaux.
Du Forcyl (marbofloxacine) a également été délivré, sans avoir réalisé les examens et analyses préalables obligatoires.
Les agneaux étaient également traités avec un antibiotique injectable (Draxxin = tulathromycine), plusieurs fois, sans différencier les petits des gros, ou les faibles des bien portants.
Des quantités considérables de cet antibiotique ont pu être tracées :
- pour 2019, 279 flacons de 250 ml de Draxxin pour un montant total de 100 746,29 € ;
- pour 2020, 139 flacons de 250 ml de Draxxin pour un montant total de 81 431,60 € (du 1er janvier à fin octobre 2020).
Les cogérants n’avaient aucun moyen de traçabilité des traitements. Ils ne tenaient pas de registre d’élevage : ce document ne leur a jamais été imposé ni demandé par les vétérinaires, tant pour le respect de leurs prescriptions que pour l’élaboration des bilans et protocoles de soins.
Les densités trop importantes dans les enclos entraînaient des maladies et une augmentation des traitements antibiotiques. En outre, les statistiques relevées par la BNEVP semblent indiquer que lorsqu’il y a un afflux important d’agneaux à l’engraissement et que toutes les bergeries sont pleines, le chiffre de la mortalité peut doubler.
Aucun suivi n’avait pourtant été mis en place par les vétérinaires.
Un antibiotique détecté dans la viande des agneaux en 2021
En avril 2021, un agneau provenant de l’élevage Grimal affiche un taux de résidu de l’antibiotique sulfadiméthoxine qui dépasse la limite maximale de résidus autorisée (LMR). Ce dépassement a été détecté car l’agneau présentait une pleurésie fibrineuse lors d’un contrôle à l’abattoir SVA de Vitré ; une analyse a donc été faite et les services vétérinaires sont remontés jusqu’à l’élevage Grimal. La sulfadiméthoxine est cet antibiotique inséré dans l’aliment : tous les agneaux sont traités, malades ou pas.
Concrètement, cela signifie que l’élevage Grimal n’a pas rectifié ses pratiques, malgré les retours très clairs des services vétérinaires mobilisés depuis l’alerte donnée mi-2020 par L214.
Une mise en danger de la santé publique
Sulfadiméthoxine, oxytétracycline, marbofloxacine et tulathromycine figurent sur la liste des antimicrobiens d’importance critique par l’OMS, Organisation mondiale de la santé (Antimicrobiens d’importance critique pour la médecine humaine, p. 30).
En France, l’antibiorésistance cause déjà plus de 12 500 décès par an. Si rien ne change, les maladies infectieuses d’origine bactérienne pourraient redevenir en 2050 l’une des premières causes de mortalité dans le monde, en provoquant jusqu’à 10 millions de morts par an. D’après une étude de 2016, d’ici 2050 dans le monde, l’antibiorésistance pourrait même tuer une personne toutes les 3 secondes (p. 72).
Des sanctions dissuasives ?
Pour Brigitte Gothière, cofondatrice de L214 : « La plupart des gens sont familiarisés avec les images d’élevages intensifs, où les poulets ou les cochons sont entassés dans des bâtiments, sans jamais avoir accès à l’extérieur. Mais bien souvent, ils ignorent que ce même modèle d’élevage se pratique pour les agneaux issus de l’industrie laitière. Les jeunes mâles, qui ne peuvent pas produire de lait, sont envoyés à l’engraissement dans des bâtiments sinistres, et sont tués quelques mois plus tard pour leur viande. Y compris lorsqu’on parle d’une AOP comme celle du roquefort.
Nos enquêtes permettent de dévoiler ces pratiques, de mettre au jour des infractions et de déclencher des enquêtes judiciaires qui montrent à quel point le système d’élevage intensif est effroyable pour les animaux, mais aussi dangereux pour les êtres humains : l’usage anarchique des antibiotiques est une menace qui pèse sur la santé publique.
Nous saluons le travail d’enquête du parquet et attendons de ce procès des sanctions fermes et dissuasives : les élevages ne sont pas des zones de non-droit.
Nous attendons également que les pouvoirs publics prennent la pleine mesure de l’enfer vécu par les animaux et des effets néfastes de l’élevage intensif sur les humains et l’environnement. Il est urgent de freiner drastiquement notre consommation de produits animaux et d’interdire l’élevage intensif. »
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