Nouveau venu en politique, Francis Feytout a été élu, il y a moins d’un an, conseiller municipal en charge de la protection animale à Bordeaux. Végétarien et sensible au respect de la biodiversité depuis 25 ans, il est revenu sur ses actions et engagements en faveur des animaux.
Vous êtes conseiller municipal délégué en charge du respect du vivant et de la condition animale à Bordeaux. Pourquoi cet engagement en politique et pourquoi avoir choisi la liste de Pierre Hurmic (EELV), « Bordeaux Respire » ?
C’est un chemin de longue haleine. A la fin de mon adolescence, je suis devenu écologiste et anti-chasse mais je me méfiais des jeux politiques et des récupérations. Je gravitais autour d’Europe Ecologie Les Verts (EELV) sans vraiment m’encarter. Je ne franchissais pas le pas. Petit à petit, la maturité m’a fait prendre conscience que ce n’était plus possible. Nous sommes à deux doigts de la sixième extinction, on avance à reculons vers le XIXe siècle avec la perte des acquis du CNR (Centre National de Référence, NDLR). Puis, le Parti animaliste s’est formé mais quelque chose me gênait. Cette condition animale était très bien mais il fallait aller plus loin. Pour moi, ce n’est pas une monothématique mais une thématique transverse. EELV et les écolos l’ont compris. Après les européennes, je me suis donc encarté. Nous sommes des élus proches du terrain, des élus qui agissent et qui tiennent leurs promesses. Nous ne serons pas dans le greenwashing des derniers ministres de l’Ecologie.
Quelle a été votre première mission en tant qu’élu ?
Avant même d’avoir ma délégation, ma première action fut de casser un arrêté de piégeage létal de lapins. C’est hélas l’un des points sur lequel l’ancienne majorité a été très efficace. A l’époque, leur nombre était estimé à plus d’un millier. Aujourd’hui, il n’y en a quasiment plus. Une éradication massive et systématique a eu lieu pour lutter contre la prolifération des lapins dans l’un des principaux parcs de la ville. Je ne suis pas contre la solution létale s’il n’y a aucune autre solution mais ce n’est pas le cas. Nous nous sommes donc rapprochés de plusieurs associations spécialisées dans les NAC (nouveaux animaux de compagnie, NDLR) pour trouver ensemble des solutions. Certaines sont très intéressées et ont répondu présentes. Nous sommes sur la bonne voie et j’aurai de bonnes nouvelles dans les mois qui arrivent.
Je vais aussi monter un groupe de travail sur la recherche et la mise en pratique de solutions non létales sur la gestion des populations des liminaires (animaux comme les lapins qui vivent à proximité de l’Homme dans une certaine interdépendance avec lui, NLDR). Aujourd’hui, c’est le projet le plus abouti. Il faut tenir le cap.
Au-delà du sauvetage des lapins, quels sont, dans les grandes lignes, les autres chantiers de votre feuille de route ?
Il y a cinq chantiers. Les animaux liminaires dont je viens de parler, les animaux sauvages, les animaux domestiques, la nutrition et la végétalisation des repas et enfin l’éducation. Concernant les animaux sauvages, nous avons beaucoup de sangliers en zone urbaine. Une ville seule ne peut rien faire, c’est toute une politique qu’il faut changer. C’est la raison pour laquelle nous nous battrons lors des présidentielles.
Quant aux animaux domestiques, je viens d’avoir le recensement des aménagements canins. Nous allons améliorer les caniparcs pour les chiens. L’association 30 millions d’amis m’a proposé un partenariat. Je suis d’accord sur le principe, j’attends désormais la validation pour avancer. Nous avons aussi validé, lors du Conseil municipal du 26 janvier dernier, notre première campagne de stérilisation des chats errants. Elle débutera début mars au moment des premières chaleurs.
La nutrition est aussi un sujet important sur lequel nous travaillons. Une offre de repas végétarien sera proposée quotidiennement dans les cantines scolaires à partir de la rentrée 2021. Les légumineuses comme le lupin ou les lentilles seront à l’honneur. Enfin, concernant l’éducation, nous sommes en contact avec plusieurs associations qui travaillent régulièrement avec les rectorats. Plusieurs formations seront proposées aux enfants, des formations sur l’empathie animale, sur le lien entre la violence animale et la violence interpersonnelle, sur la connaissance du sauvage et du vivant ou encore sur la façon de s’occuper d’un animal domestique.
Bordeaux s’est récemment opposé à la pêche au vif provoquant de vives tensions entre la Fédération de Pêche de Gironde et la municipalité. Dans un communiqué, elle s’est offusquée de cette prise de position, défendant cette « pratique ancestrale » et la liberté d’exercer ce loisir « simple ». Qu’avez-vous à lui répondre ?
J’ai effectivement rencontré la Fédération de pêche girondine. J’ai peu de chose à ajouter sur ce sujet car nous sommes toujours en négociation. Je précise quand même que si je suis aujourd’hui bordelais, je suis originaire d’un petit village du bergeracois. Il y a une convention historique autour des berges du lac avec la Fédération de Pêche de Gironde depuis les années 70 mais en 2019, elle est arrivée à échéance. L’ancienne majorité avait gentiment mis le dossier sous la pile pour le traiter ultérieurement car c’était une source de conflit. Je viens de la campagne et je suis un élu de terrain par conséquent je n’ai pas peur de mouiller ma chemise. Je me suis rendu plusieurs fois au Lac de Bordeaux.
Concernant la pêche au vif, il s’agit d’une pratique problématique pour beaucoup de pêcheurs. La Fédération est d’ailleurs d’accord pour son interdiction. Son communiqué m’a d’ailleurs permis d’échanger avec plusieurs pêcheurs qui, une fois nos positions clairement expliquées sont d’accord avec nous: nous défendons la pêche populaire tout en respectant nos engagements de bien-être animal. Les mentalités évoluent, il faut vivre avec son temps. Interdire le vif n’est pas seulement une question de condition animale. C’est aussi respecter la biodiversité en permettant d’assainir les cours d’eau. Beaucoup de villes se sont déjà positionnées contre cette pratique, c’est à notre tour de le faire.
Vous êtes signataire de l’appel d’AVA pour abolir la chasse à courre. Regrettez-vous que cette pratique ait été écartée de la proposition de loi sur la maltraitance animale adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale le 29 janvier dernier ?
Bien évidemment, je suis déçu. Je ne dirais pas que la loi a été bâclée car les rapporteurs sont pour la majeure partie convaincus de leur intérêt pour la condition animale. Seulement derrière tout ça, il y a toujours des enjeux politiques qui font que personne n’ose se prononcer contre le lobby de la chasse. Nous l’avons vu avec la démission de Nicolas Hulot. Les chasseurs ne sont que des instruments derrière Thierry Coste, lobbyiste de la chasse et des armes. Des mécanismes et des liaisons se font par derrière. Nous sommes dans l’injonction, dans les phrases toutes faites. Et pourtant, c’est nous qui sommes traités de dogmatiques et de Khmers verts. L’écologie politique est fondamentale. Il y a un vrai besoin de démocratie.
D’où vient votre sensibilité envers les animaux ?
Je viens d’une famille d’agriculteurs. Mon père était chasseur mais très tôt, je me suis rendu compte que ce n’était pas bien. Lorsque j’étais adolescent, j’ai utilisé une carabine pour tirer sur un passereau et lorsque je m’en suis approché, il agonisait. Je me rappellerais toujours de son regard. Je suis devenu anti-chasse à partir de ce moment. Quelques années plus tard, j’ai franchi le pas du végétarisme et depuis cinq ans, j’ai engagé le tournant vers le véganisme.
Photo en-tête : Borja
Photos article : TS, Mairie de Bordeaux
Amandine Zirah
Rédactrice freelance