Pour Savoir Animal, Thierry Hély a interviewé Yolaine de la Bigne, journaliste, militante écolo et auteure, spécialisée dans les intelligences animales (plus d’infos sur l’animaletlhomme.com) et membre du Comité d’honneur de la FLAC.
Dans un face à face sur Sud Radio vous opposant au président de l’Observatoire National des Cultures Taurines, vous avez déjà cité les propos très crus, sexuels et parfois avilissants pour l’image de la femme, de certains amateurs de cette pratique cruelle. Pouvez-vous nous en dire plus ?
En effet, je suis étonnée que cet aspect malsain de la corrida soit rarement évoquée. Jeune, j’étais contre la corrida par principe : torturer pour le plaisir me semblait une abomination. Mais un ami, fou de corridas, m’a dit « facile de critiquer, viens en voir une, c’est magnifique ». J’ai accepté car il avait raison, il faut connaître ce que l’on veut combattre. Mais ça a été pire que tout ce que je pouvais imaginer. La souffrance, d’abord, que l’on voit très bien avec ce pauvre taureau qui tente comme il peut de s’en sortir, les flots de sang… La deuxième chose qui m’a horrifiée c’est le public. J’observais les gens et c’était affreux, ils hurlaient avec une joie sadique et cela m’a mis très mal à l’aise. Enfin, la troisième chose qui m’a frappée c’est le côté érotique de ce spectacle. Qui a été déjà décrit notamment par Montherlant, je n’invente rien. Le torero, déjà, avec ce costume ridicule, très moulant, rose, les collants, c’est très ambigu et sexuel. Ses attitudes, sa position très cambrée, ce regard très dominateur, cette espèce de danse assez équivoque. C’est aussi gênant que de voir une scène avec une « maîtresse” en cuissarde noire maniant un fouet. Et le public participe de façon très déplacée, les gens étaient hystériques dans l’arène, j’avais l’impression d’une sorte de jouissance collective sadomasochiste. Bref, à la première mise à mort, j’ai quitté mon ami car j’étais prête à vomir. Je peux vous dire qu’ensuite j’ai été absolument contre la corrida qui est une honte pour une société qui se croit civilisée. Je me suis souvent pris la tête avec des amateurs de corrida et je me souviens encore d’un diner où j’ai comparé la corrida avec les sacrifices antiques de vierge. Je leur ai expliqué qu’à l’époque on trouvait ça très beau et excitant d’emmener une ravissante jeune vierge en robe blanche sur l’autel. Ca a mis un sacré malaise ! J’en ris encore. Mais la bonne nouvelle c’est que cet ami amateur de corrida m’a dit récemment : je continue d’adorer la corrida, mais au fond tu as raison, c’est cruel et nous devrions avoir honte. Comme quoi….
Des femmes, pourtant minoritaires, aiment la corrida, quel est votre sentiment ? Réussissez-vous à aborder ce sujet avec elles ? Qu’auriez-vous à leur dire ?
J’en connais peu, mais leurs arguments sont les mêmes que ceux des hommes : c’est beau, c’est une tradition, c’est le symbole de l’homme victorieux sur la bête, bref toutes ces fadaises d’un autre siècle. Mes réponses sont les mêmes pour les hommes et les femmes qui malheureusement partagent des plaisirs malsains car le sadisme est une caractéristique humaine hélas très partagée. Heureusement, les choses changent et la corrida vit ces dernières années, c’est totalement ringard pour les jeunes générations
Dans votre milieu de communication, sentez-vous que les mentalités changent éthiquement sur cette coutume barbare et sanglante ?
Oui, dans ce milieu mais aussi dans les autres, notamment celui de la politique qui a longtemps soutenu la corrida. Le regard évolue sur tous ces jeux (corrida, cirques, delphinariums…) et sur les animaux en général. Les progrès sont fulgurants depuis une dizaine d’années. Pour plusieurs raisons. A cause de l’influence anglo-saxonne. Les anglais ont toujours été plus attachés aux animaux que les méditerranéens, et ils nous aident à évoluer. Cette influence a joué sur les associations qui sont de plus en plus dynamiques, aguerries au marketing et aux réseaux sociaux, donc beaucoup plus efficaces. Elles ont aujourd’hui une culture juridique et politique qui leur permettent d’obtenir de grandes victoires. Autre raison : la crise écologique et la 6 ème extinction qui a commencé malheureusement depuis longtemps.
Ces drames sensibilisent le public à la valeur du vivant, de ce qui nous entoure et au respect que nous devons avoir pour l’environnement et donc les animaux. Autre élément : les progrès de la connaissance, les reportages et la télévision, les études et les recherches, bref aujourd’hui on sait beaucoup de choses, que les taureaux sont des animaux pacifistes de tempérament, qui aiment leur vie de famille, qui ont une intelligence émotionnelle etc. Et que s’il parait si agressif dans l’arène, c’est uniquement parce qu’étant agressé et harcelé cruellement, il ne fait que se défendre. Comme n’importe quel animal.
On connaît aussi les coulisses des corridas notamment pour préparer et affaiblir le taureau, bref on ne peut plus dire “on ne savait pas”. Enfin, la jeune génération est très sensible à la souffrance. Quand on voit l’impact de mouvements de société comme #Metoo, il est évident que faire souffrir pour le plaisir, même un animal, n’est aujourd’hui plus acceptable. Nous sommes vraiment dans une époque qui, de ce point de vue, est en grande progression. Il faut s’en réjouir.
Comment expliquez-vous que certaines personnes aient cette sensibilité particulière pour les animaux ? Alors que d’autres soient moins sensibles à leur souffrance ? Une empathie sélective, en quelque sorte.
Je pense que tout est une question d’éducation. Souvent les gens insensibles aux animaux n’en n’ont pas connu ou en ont peur ou n’ont eu que des rapports de domination avec eux (en vivant dans des fermes par exemple). Ils ont une grande méconnaissance du monde animal qu’ils croient sale, cruel, dangereux etc Si les enfants, qui adorent généralement les animaux, étaient éduqués à l’école et par leurs parents à s’émerveiller des qualités extraordinaires du vivant et à le respecter, le monde serait plus doux. Cela concerne les animaux mais aussi les autres enfants, différents, plus fragiles etc. Si on leur expliquait comment gérer leur violence et échanger avec les autres sans brutalité, la société serait moins dure. Souvent les gens laissent leurs enfants s’amuser et faire souffrir un animal car ils pensent que ce n’est pas grave, sans se rendre compte que c’est au contraire terrible. D’ailleurs de nombreuses études ont démontré que les gens violents l’on souvent été enfants avec les animaux et n’ont ainsi pas développé leur empathie. Mais là encore, je pense que la société progresse et que les jeunes parents seront plus attentifs à ces aspects. Dans mon livre « Mon année 0 souffrance animale », les constats sont vraiment épouvantables sur le niveau de sadisme que nous avons atteint mais heureusement, les progrès le sont tout autant. Nous venons de loin mais nous sommes sur la bonne voie. Et ça c’est une formidable nouvelle qui incite à continuer de se battre.
Yolaine de La Bigne
Fondatrice de l’Université d’été de l’animal et de la Journée mondiale des intelligences animales
Thierry Hély
Président de la FLAC
3 commentaires
Claude Fée
19 janvier 2022 à 16h21
Je suis touchée par ce texte et par les deux excellents commentaires qui le suivent. Je remercie Yolaine de la Bigne de prendre le parti de décrire son dégoût et sa tristesse face à la joie sadique. Contre la violence, c’est une voix vivante qui doit s’élever et la sienne nous tire avec justesse et légèreté, vers le haut. Ses propos sont limpides, intelligents et généreux. Oui il faut parler de la « préparation » pour handicaper l’animal ! De la vaseline mis dans les yeux des taureaux pour qu’ils ne puissent rien fixer, oui il faut parler des chevaux éventrés, mais qui ne saignent pas parce qu’on a pris soin de leur insuffler de la sciure dans les intestins, oui c’est important tous ces détails !
C’est légitime de connaître toutes les facettes d’une torture. Il faut oser s’y confronter parce que c’est comme ça qu’on trouve la force de s’y opposer. Comme il faut voir de près ces tartufferies, ce snobisme pitoyable qui applaudit sans rien soutenir d’autre que sa propre puissance sur les plus faibles.
Quant à l’argument de la tradition, Mme Yolaine de la Bigne vous avez raison de rappeler que les jeux du cirque avec toutes leurs mises à mort excitaient les foules et apportaient succès et profit aux politiques qui les organisaient. Faut-il les reprendre ? Non-sens, nous sommes tous d’accord !
Votre discours fait place à l’évidence des sentiments,
merci !
Claude Fée
Grava-Jouve
18 janvier 2022 à 0h42
On peut signaler que certains artistes du XIXème et du XXème siècle ont contribué à la notoriété de la corrida et à “l’admiration” populaire qu’elle suscite: Georges Bizet et sa “Carmen”, Federico Garcia Lorca, Ernest Hemingway, Pablo Picasso, Ava Gardner, etc. Du coup, la célébration esthétique qu’ils ont proposée (ou imposée) a permis de dédouaner la mise à mort de sa cruauté: cela devenait beau, c’était “de l’art”, les toreros (Miguel Bosé et d’autres) péroraient même dans la presse populaire ou au cinéma… Et les partisans actuels s’appuient encore sur ces phantasmes, sur ce culte de la sauvagerie “esthétisée” … alors qu’on sait désormais comment ça se passe réellement – l’article le dit bien – horreur et torture! Je suis ulcérée qu’on s’appuie aussi sur la “tradition” pour défendre ce supplice: il existe des traditions sympathiques et bonnes, et d’autres absurdes et criminelles. Veut-on garder la tradition de l’esclavage par exemple ? OU celle de l’enlèvement et du viol dans certaine sociétés archaïques ? Non-sens !
ROTTIGNI
17 janvier 2022 à 18h22
Se réjouir de la souffrance et de la mort d’un animal est une cruauté extrême.
Comment décrire ce massacre – du sadisme, de ka cruauté, de la perversion….
Le pauvre taureau n’a aucune chance.
Déjà bien diminué avant même d’entrer dans l’arène, il est condamné à mourir dans les pires souffrances.
Une honte pour un pays dit civilisé !!!
Il faut sanctionner les spectateurs pour complicité de maltraitance …