« La vraie bonté de l’homme ne peut se manifester en toute pureté et en toute liberté qu’à l’égard de ceux qui ne représentent aucune force. Le véritable test moral de l’humanité, le plus radical, celui qui se situe à un niveau si profond qu’il échappe à notre regard, ce sont ses relations avec ceux qui sont à sa merci : les animaux. Et c’est ici que s’est produite la faillite fondamentale de l’homme, si fondamentale que toutes les autres en découlent ». Milan Kundera : “L’insoutenable légèreté de l’être”, Gallimard, 1987.
A l’heure où la biodiversité n’a jamais été aussi menacée par nos comportements, la pratique de la philosophie avec les plus jeunes apparaît comme une des pistes pour une évolution vers un plus grand respect des vivants et notamment de nos semblables, les animaux. Bien que désormais légalement reconnus “êtres vivants doués de sensibilité”, les animaux n’en demeurent pas moins des objets au regard de la loi, propriétés des humains et asservis par eux pour le meilleur et souvent le pire. Dans cette relation, la valeur intrinsèque et les intérêts des animaux sont trop souvent niés et bafoués.
Arrachés à leur milieu, privés de liberté, séparés de leurs congénères, dépouillés de leur vie naturelle, dressés, moqués dans de ridicules spectacles, entassés, mutilés, inséminés, maltraités, exploités, chassés, massacrés, éradiqués, abattus par milliards chaque année… notre domination sans limite sur les animaux est alimentée par un anthropocentrisme confortable mais devenu irrationnel au regard des connaissances actuelles. La liste des sorts que nous leur réservons ainsi que les catégories dans lesquelles nous les plaçons arbitrairement selon nos propres intérêts, révèlent notre incommensurable responsabilité.
La prise de conscience de nos impacts délétères doit nous inciter à faire évoluer nos mentalités et nos habitudes. Bien ancrées dans nos cultures et nos croyances, elles méritent d’être interrogées et reconsidérées notamment par les jeunes qui seront les acteurs du devenir de notre monde et peuvent déjà être un relais efficace auprès de leurs aînés. A l’instar de la Belgique dont les cours de philosophie et de citoyenneté tout au long de la scolarité ont intégré la question animale, les ateliers philo sont l’endroit idéal pour réfléchir ensemble aux questions éthiques que soulèvent nos relations avec les animaux.
La cause animale : enjeu philosophique et débat de société
Alimentés par l’éthologie qui permet de mieux connaître et comprendre les ressentis et les besoins des animaux, ces questionnements engagent la réflexion sur nos droits et nos devoirs envers eux. Si l’école est un lieu de transmission de savoirs et de savoir-faire, elle doit être avant tout celui de l’autonomisation de la pensée.
L’élève doit être en mesure de questionner, d’entendre et de confronter différents points de vue, d’interroger les sources des connaissances, de conforter les savoirs par l’expérience et d’interroger la légitimité morale de pratiques communément acceptées.
Les derniers programmes en Education Morale et Civique de l’école primaire ouvrent plus franchement la porte à différentes formes de débats, dilemmes moraux, débats argumentés, discussions à visée philosophique…
Depuis les travaux de Matthew Lipman, la philosophie avec les enfants a connu un véritable essor. Elle apparaît en France, dans les années 1990, sous l’influence de Michel Tozzi mais se développe encore timidement. « Il ne s’agit pas de faire un cours de philo à des élèves de primaire. Il s’agit d’éveiller en eux le goût de la réflexion, du débat collectif respectueux des uns des autres, de l’échange, de l’écoute, de la construction collective sur un thème à caractère philosophique, sur lequel ils ont envie de discuter. »
Néanmoins une recherche des pensées de philosophes sur la question choisie est un préalable nécessaire. L’exigence d’une certaine rigueur dans la « philosophicité » du débat est également importante si on ne veut pas verser dans une discussion qui serait un simple échange d’opinions souvent radicales et peu interrogées à cet âge. Des formations telles que celle dispensée par la fondation SEVE Savoir Être et Vivre Ensemble, initiée par Frédéric Lenoir pour les élèves de l’école élémentaire et le programme ADER, Philojeunes permettent aux enseignants d’animer des ateliers philo dans leurs classes.
« Quand on est jeunes, il ne faut pas remettre à philosopher, et quand on est vieux il ne faut pas se lasser de philosopher. Car jamais il n’est trop tôt ou trop tard pour travailler à la santé de l’âme » [1].
Absente des programmes, mais pertinente au regard de nombreux objectifs pédagogiques
Si l’éthique animale n’est pas explicitement inscrite dans les programmes scolaires, la compétence « Adopter un comportement éthique et responsable » visée en Education
Morale et Civique, n’exclut pas la sphère des animaux et permet donc d’aborder des questions éthiques à leur sujet. En élémentaire et au collège, les ateliers philo permettent de questionner le statut des animaux et les relations que nous entretenons avec eux dans nos actes quotidiens notamment. L’esprit critique doit aider, et ce dès le plus jeune âge, à nous extirper d’une pensée dominante et normalisée mais devenue irrationnelle au regard des connaissances actuelles et permettre une meilleure compréhension du monde par une pensée raisonnable moins dogmatique.
Le déroulement des ateliers philo et le thème abordé sont bien sûr adaptés au public et à l’âge des enfants. Avec les plus jeunes, on peut s’appuyer sur un support, album, texte, photographie, peinture ou court extrait vidéo. Certains ouvrages de littérature jeunesse constituent un support privilégié pour introduire une discussion à visée philosophique en éthique animale. Certains livres traitent de l’animal pour lui-même abandonnant voire dénonçant sa réification. Ils décrivent les difficiles relations avec les hommes : mise en danger de leur espèce par destruction de leur habitat, pollution, chasse, braconnage, exploitations diverses… D’autres traitent de sujets particuliers pointant les souffrances vécues par l’animal en tant qu’individu, développant chez l’enfant l’empathie et le sens des responsabilités en tant que futur citoyen partageant le monde avec les autres vivants sensibles. Ainsi des sujets tels que l’abandon, la captivité, la chasse, l’élevage intensif sont discutés sur une base de connaissances communes. Ces discussions sur la condition animale sont initiatrices de réflexion éthique.
Des extraits de textes d’auteurs classiques, Condillac (Traité des animaux), Lucrèce, Plutarque, Porphyre, Théophraste…) ou encore Montaigne, Rousseau, Diderot ainsi que des extraits de textes d’auteurs contemporains qui ont théorisé la question animale, Singer, Vilmer, Tom Reagan, Francione, Élisabeth de Fontenay, Florence Burgat, Sue Donaldson et Will Kymlicka, Gibert peuvent être étudiés. Dans ce cas une phase de compréhension du document précède le débat philo. C’est au cours de cet échange qu’émerge le thème de ce dernier et la problématique est alors formulée. En absence de support, on propose directement une question.
Dans tous les cas, il est essentiel de veiller à sa formulation car il faudra nécessairement interroger les termes de la question et définir les concepts. Certaines questions dites « socialement vives » comme la légitimité de l’alimentation carnée posée depuis l’Antiquité, se heurtent à des représentations erronées et doivent être impérativement débattues aujourd’hui. Ces débats riches conduisent ainsi les enfants à s’ouvrir à la souffrance des animaux, à comprendre nos responsabilités vis-à-vis d’eux et à envisager des relations plus justes et respectueuses, considérer les conséquences de nos habitudes et nos modes de vie.
Nombreux sont les écrivains et les philosophes qui ont prêté leur plume à la condition animale, de Pythagore à Derrida en passant par Hugo, Lamartine et bien d’autres.
La question animale est loin d’avoir traversé l’histoire millénaire de la pensée de manière anecdotique et il est urgent de la remettre à l’honneur au vu de son lien avec les enjeux sociétaux actuels. Abordées sous l’angle de la philosophie, les relations de l’homme et des autres animaux convoquent la morale et la justice dont toute société qui veut évoluer a grand besoin.
« C’est seulement lorsque nous nous préoccupons de la totalité des êtres sensibles que notre moralité atteint son plus haut niveau [2]. » disait Darwin il y a plus de 150 ans déjà…
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[1] Lettre d’Épicure rapportée par le poète et biographe Diogène Laërce dans son livre X des Vies et doctrines des philosophes illustres.
[2] Charles Darwin, La filiation de l’Homme,1871
Marie Laure Laprade
Enseignante et cofondatrice de l’association Education Ethique Animale
Il y a un commentaire
Gebe
30 août 2021 à 9h39
Attention , certes il y a de minuscules avancées, très liées à d’éventuels enseignants sensibles à la PA, cependant on est TRES TRES LOIN d’actions efficaces et généralisées dans le sens une sensibilisation animaliste.
Par contre des obstacles énormes subsistent et font que les lobbys et organismes officiels (type industries viandes/ laitiers, éleveurs, syndicats bouchers, assos chasseurs/corridas, producteurs de spectacles animaliers) ont des facilités extrêmes à accéder aux écoles , a envoyer des docs et flyers, a intervenir ponctuellement ou à l’année, et même à valider des options diplômantes ds certaines filières !
Le respect et la fin de l’exploitation animale, c’est programmes/ manuels scolaires a modifier+ ( in)formation des enseignants…. urgent….