Numéro 4Animaux domestiques« On fonctionne tous de la même manière. » – La bataille de l’information sur l’expérimentation animale

Nicolas Marty15 juillet 202114 min

Merci à Savoir Animal pour cette opportunité de parler d’expérimentation animale, à l’occasion de la publication de ma traduction du livre ‘On fonctionne tous de la même manière.’ de Rick Bogle, de l’ouverture du site web https://experimentation-animale.info et de la chaine de La volière des écureuils bleus.

En tant qu’antispéciste, j’ai une position assez radicale concernant l’expérimentation animale. Nous avons interdit les expériences menées sur des personnes non consentantes. Nous avons restreint drastiquement la possibilité d’expériences sur des personnes qui ne sont pas en mesure de donner leur consentement aux seules expériences susceptibles d’aider ces mêmes personnes. Rien ne justifie donc moralement de continuer d’utiliser des animaux qui, eux non plus, ne peuvent pas donner leur consentement. Cette position sur l’expérimentation animale ne dépend ni de la validité scientifique de ses résultats, ni des détails de sa réglementation – qui considère par défaut que l’on a le droit d’infliger des souffrances à des animaux si cela peut apporter quelque chose d’intéressant pour nous. Pourtant, je sais que ces aspects sont importants pour beaucoup de gens, dont les opinions varient selon les espèces utilisées, le niveau de souffrances infligées et le but des recherches, en particulier. Il faut donc pouvoir les aborder de manière rigoureuse.

Depuis plus d’un an, j’ai demandé aux administrations publiques de me fournir des documents pour pouvoir creuser ces questions au-delà des clivages entre « c’est inutile » et « c’est nécessaire », entre « c’est strictement réglementé » et « on peut faire n’importe quoi aux animaux » – pour pouvoir, donc, informer le public de manière aussi fiable et détaillée que possible sur ce sujet et sur le débat qui l’entoure depuis au moins 150 ans. Cette idée, je la dois à Rick Bogle, et à son livre We All Operate the Same Way, que j’ai traduit et auto-publié récemment, tellement je l’ai trouvé enrichissant. C’est pourtant un livre qui parle de l’expérimentation animale dans une grande université états-unienne, bien loin de la France. Mais que ce soit aux États-Unis ou en France, on retrouve les mêmes grandes lignes dans le débat : l’expérimentation animale aurait été à l’origine de « bénéfices tangibles » importants (que Bogle analyse et démonte point par point) et la réglementation serait particulièrement stricte avec des inspections fréquentes des laboratoires (ce qui ne semble pas empêcher la moindre récidive, puisque les amendes sont tout à fait insignifiantes à l’échelle du budget des universités). Les États-Unis font aussi partie des précurseurs des lois « baillons » qui cherchent à faire taire les lanceurs et lanceuses d’alerte en les présentant comme des terroristes en puissance – d’où l’intérêt des lois sur l’accès à l’information ou aux documents publics (en France, il s’agit de la loi Cada), dont je ne connaissais pas l’existence avant de lire l’ouvrage de Bogle.

Cet ouvrage est aussi l’occasion de revenir sur l’histoire récente de l’expérimentation animale, avec une analyse en profondeur des expériences de Harry Harlow (qui étudiait la « déprivation maternelle » en séparant des bébés macaques de leurs mères et en les soumettant à des isolements traumatisants), ainsi que des récits détaillés de différentes campagnes animalistes de ces trente dernières années – autour des macaques d’un zoo utilisés pour l’expérimentation animale, de la bataille judiciaire pour obtenir des images désormais bien connues d’une chatte ayant subi des expériences relatives à l’audition, de la protestation contre les expériences illégales de décompression de brebis menées par l’université, de la tentative de mettre en place un centre d’informations sur l’expérimentation animale en face d’un laboratoire de primatologie… Avec ces récits, on aperçoit le déséquilibre des moyens : il s’agit généralement de quelques personnes luttant avec leurs moyens réduits contre une grande université publique qui n’hésite pas à déformer la réalité et à faire modifier la loi pour ne plus avoir à s’en soucier.

Il ne s’agit pas de dire que tous les chercheurs et toutes les chercheuses qui utilisent des animaux sont des monstres. Le plus probable est que la plupart sont des personnes qui croient à ce qu’elles font d’une manière ou d’une autre et qui, quand elles n’en sont plus convaincues, sont déjà prises dans une série d’engrenages qui gangrène le milieu de la recherche depuis longtemps, entre course à la publication et recherches de financements au prix de prétentions irréalistes et de titres racoleurs. Heureusement, beaucoup de gens travaillent, en interne, à enrayer ces dynamiques pour mettre en place un fonctionnement plus sain, qui sera bénéfique à la recherche.

Pourtant, certains organismes défendent bec et ongles l’expérimentation animale, quitte à justement employer des arguments au moins aussi fallacieux que ceux des « antis ». Combien de fois avez-vous entendu que la plupart des prix Nobel ont employé l’expérimentation animale (ce qui ne veut pas dire  qu’ils en avaient besoin, seulement que c’était une méthode admise), ou que les grandes découvertes biomédicales ont été réalisées « grâce à » l’expérimentation animale (comme si on pouvait décider après coup qu’elles n’auraient pas pu être réalisées autrement), ou encore que si on arrêtait l’expérimentation animale, il ne pourrait plus y avoir de recherche (ce qui fera tressaillir tous les chercheurs et toutes les chercheuses qui n’utilisent pas d’animaux) ?

La dernière en date, c’est la « charte de transparence » émise par le Gircor – belle transparence, quand je suis obligé de passer par les tribunaux administratifs pour obtenir la moindre réponse de la part de nombreuses préfectures et ministères suite à mes demandes d’accès à des documents jugés publics par la Cada.

Certaines personnes croient sincèrement que l’expérimentation animale permet de sauver des vies. Fort bien. Quoi qu’il en soit, cela n’en fait pas une pratique acceptable. L’argument du plus grand bien a bon dos quand c’est systématiquement le même groupe qui en fait les frais au bénéfice du groupe dominant.

Nicolas Marty
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Musicologue, compositeur et militant animaliste

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