Les 2 et 3 décembre 2023, à l’occasion de son conseil fédéral, EELV (les Ecologistes) a adopté une résolution (appelée en interne « motion ») qui reconnaît la sentience animale comme une valeur fondamentale du parti. En venant amender la Charte des valeurs et principes fondamentaux d’EELV, cette motion suppose désormais que « l’ensemble des coopérateurs et des adhérents de EELV (les Ecologistes) déclare constitutive de leur engagement l’adhésion » au principe de « défense de la biodiversité, du vivant, et la reconnaissance de la sentience animale ».
Jusqu’ici, en effet, cette Charte ne se référait qu’à la biodiversité et aux écosystèmes sans mentionner la sensibilité, la conscience ou même l’individualité animale. Le parti n’en appelait pas, en somme, dans sa Charte, à protéger l’animal pour lui-même, en tant qu’individu capable d’état émotionnels variés et doué d’un certain degré de conscience, mais simplement à le préserver en tant qu’élément constitutif de la biodiversité et des écosystèmes. D’une logique de préservation d’espèce, au sein de laquelle chaque animal est finalement perçu comme interchangeable, avec cette motion, nous passons ainsi à une logique de protection de l’individu animal, dont la sensibilité, la cognition, les expériences vécues, le rendent unique et digne d’être considéré en tant que tel. L’animal est ainsi désormais officiellement reconnu par EELV comme une personne avec un appel à mettre fin à sa réification et à revoir son statut juridique (puisqu’il est toujours soumis actuellement au régime des biens sous réserve des lois qui le protègent) et un engagement à intégrer ces considérations dans ses futurs programmes électoraux.
Cette motion constitue donc à n’en pas douter un changement de paradigme pour les Ecologistes. Si, depuis 2015, EELV était bien pourvu d’une Commission Condition animale en son sein en plus d’une Commission Biodiversité, l’adoption de cette résolution marque encore une étape supplémentaire dans l’engagement du parti pour les animaux, engagement qui se veut par ailleurs ambitieux. En effet, plutôt que de se référer à la notion de sensibilité animale entérinée par le droit français (articles L. 214-1 du Code rural et 515-14 du Code civil), le parti se propose d’aller plus loin en ayant recours à celle de « sentience », souvent utilisée en anglais.
Sur les traces d’Astrid Guillaume[1], docteure et fondatrice de la Société française de Zoosémiotique, les Ecologistes partent du constat que « sensible » est souvent une traduction imparfaite et limitée de l’anglais. De fait, le terme « sensible », qui se réfère à la capacité d’un organisme à réagir à une modification chimique ou physique de son environnement, et qui tend aujourd’hui à être considéré par le législateur comme la capacité pour l’animal à expérimenter la souffrance et le plaisir, ne met pas suffisamment l’accent sur les aptitudes cognitives des animaux visés. Il n’appuie pas sur leur capacité à vivre « à la première personne des expériences et des états émotionnels variés, d’en tirer des enseignements, des projections, des attentes, sur [leur] capacité à rentrer en interrelation, à mettre en œuvre une certaine théorie de l’esprit (c’est-à-dire conscientiser les états émotionnels et raisonnements des autres et agir en fonction) »[2].
A l’inverse le terme « sentience », utilisé en anglais, y compris dans des textes fondateurs comme le Traité de fonctionnement de l’Union européenne (article 13) (mais dont la traduction française reprend le terme « sensible »), tend à recouvrir ces réalités. Ainsi, pour Donald Broom, biologiste et professeur émérite de l’Université de Cambridge, rédacteur d’un rapport commandité par le Parlement européen sur le bien-être animal, un être sentient possède la capacité « d’évaluer les actions des autres en lien avec les siennes et celles de tiers, de se souvenir de ses actions et de leurs conséquences, d’en évaluer les risques et les bénéfices, de ressentir des émotions et d’avoir un certain degré de conscience »[3]. On le voit donc, entériner la sentience animale permet d’ouvrir la voie à une meilleure reconnaissance de la conscience et de la métacognition des animaux, qui ne se contentent pas de réagir mécaniquement aux stimuli repérés par leurs sens et issus de leur environnement mais développent bien des processus de conscience. Pour Anne Claire Gagnon, vétérinaire présidente fondatrice de l’Association contre la maltraitance animale et humaine, la sentience est ainsi « l’une des clés pour considérer les animaux comme des individus uniques »[4].
A l’heure où les Français.es souhaitent plus de bien-être animal, cette reconnaissance de l’individualité et des capacités cognitives des animaux par EELV marque une étape supplémentaire que les élus écologistes, partout en France, ainsi que les commissions thématiques au sein d’EELV s’attacheront à traduire dans leurs actions politiques. La Commission condition animale, dont plusieurs membres ont impulsé et rédigé la motion (Francis Feytout, Marion Weisslinger, Laura Rouaux, Laetitia Ben Sadok, Romain Zavallone, Théo Noguer), constituera un soutien en proposant des temps de sensibilisation et de formation pour accompagner la traduction de ces mots en action.
[1] A. Guillaume « Le poids des mots/maux autour de la sentience animale: différences sémantique et traductologique entre bien-être et bientraitance », in Le bien-être animal : de la science au droit, L’Harmattan, 2018, pp. 69-80
[2] Texte de la motion disponible ici
[3] D. Broom, « The Evolution of Morality », Applied Animal Behaviour Science, Vol. 100, 2006, p.26.
[4] compte rendu du colloque L214 du 22 mai 2017 au Sénat paru dans La Semaine Vétérinaire du 8 juin 2017
Photos : ©L214
3 commentaires
Gaut
18 décembre 2023 à 14h40
Quels sont les animaux concernés… moustique , puces, lézards, etc !!!!!
Si ce ne sont que les mammifères, de quel droits disposons nous pour gérer cette discrimination.
Pauvre France, ce ramassis de bobos risque un jour de nous gouverner.
Nanette Bouvier
18 décembre 2023 à 13h37
Enfin… Merci. Alors le végétarisme est la prochaine étape j’espère, chez eelv, si ce n’est déjà le cas…😉
Thiébaut
13 décembre 2023 à 19h04
Tout à fait d accord pour considérer l animal dans sa globalité et en tant qu être vivant conscient, souffrant, aimant, en interaction avec son environnement et avec des besoins et des spécificités propres et donc ne plus le définir en droit comme” un bien”. Il est temps que l homme se décentre et respecte les autres espèces !