ActualitésPolitique & Animauxinterview de Sandra Krief, conseillère municipale déléguée à la condition animale , conseillère métropolitaine de Grenoble

Marion Weisslinger7 décembre 20209 min

Je me suis simplement donnée comme devoir de semer des graines dans la bienveillance.

Quel est votre parcours professionnel ?

Mon parcours professionnel n’est pas le résultat d’une passion mais est plutôt le fruit du hasard. Comme beaucoup d’enfants, je voulais être initialement vétérinaire. En troisième, j’ai fait mon stage dans un cabinet vétérinaire, mais lorsque j’ai assisté à la stérilisation d’un chien, je suis presque tombée dans les pommes… Donc, malheureusement, j’ai changé d’avis. Par la suite, comme j’ai toujours adoré les sciences et la biologie, j’ai obtenu un Bac+2 en biochimie bactériologie. Cependant, je n’ai pas trouvé de poste dans la branche dans ma région. Je suis donc rentrée dans une entreprise de micro-électronique en tant qu’opératrice en salle blanche. En parallèle, j’ai continué mes études et je suis devenue ingénieure en électrochimie. Je suis restée dans mon entreprise et j’ai eu un poste en rapport avec mes compétences. J’évolue actuellement toujours au sein de cette entreprise, bien que mes fonctions ne soient plus les mêmes puisque, aujourd’hui, je suis en charge du marketing technique. J’ai régulièrement besoin de neuf, de vie et que ça bouge.

Mon profil est donc celui d’un ingénieur bien que cela se soit fait plutôt par hasard car je ne me destinais initialement pas à ce métier. J’ai plutôt toujours cru à l’idée que j’allais vivre ma passion, c’est-à-dire aller en Afrique m’occuper d’une réserve pour animaux sauvages. Je voulais notamment survoler les grandes réserves pour trouver les animaux malades, pour chasser les braconniers. Je suis quand même devenue pilote de « coucou » à Grenoble et je me dis qu’un jour je pourrai réaliser mon rêve, celui d’ouvrir une réserve et acheter un avion « Cessna Caravan » pour aller soigner les animaux et aider à la sauvegarde de la vie sauvage en Afrique. J’ai de fait passé la licence de pilote privé uniquement dans cette optique. Malheureusement, cette licence n’est pas suffisante. En réalité, même pour les missions humanitaires, il faut avoir un diplôme professionnel. J’ai d’ailleurs entamé des études en candidat libre pour l’obtenir. J’ai eu toute la partie théorique, cependant, pour des raisons personnelles, je n’ai pas pu poursuivre. Mais, je me dis que rien ne se produit par hasard. Finalement, tout est arrivé dans ma vie pour m’amener là où je suis aujourd’hui, c’est-à-dire en politique, même si c’était initialement malgré moi. J’espère ainsi que je vais réussir à mettre en place des mesures en faveur des animaux.

Quand le désir de s’impliquer politiquement pour les animaux a-t-il émergé ? Quel était votre principal objectif ?

D’abord, je me suis impliquée d’un point de vue personnel car j’ai arrêté de manger des animaux à 17 ans suite à un stage que j’ai réalisé dans un laboratoire vétérinaire départemental à l’occasion duquel je suis allée en équarrissage et ai découvert le piston à étourdissement… Avant, je ne connaissais pas tout cela car je n’avais personne autour de moi qui y était sensible, même si mon père a toujours été proche des animaux. D’ailleurs, quand il était jeune, pour vivre, il a dû travailler dans un laboratoire d’une grande marque qui effectuait des tests sur les lapins et il en a extrêmement souffert toute sa vie, ce qui m’a profondément marquée. J’ai ainsi commencé mon cheminement personnel et j’ai arrêté de manger tous les animaux progressivement. Quelques années plus tard, c’était les sous-produits, comme les œufs, le lait. A l’époque il y avait beaucoup de réticence de la part des gens. Vous étiez considéré comme un illuminé. Aujourd’hui, il y a une communauté quand même déjà bien soudée. Parallèlement, je suis rentrée dans les milieux associatifs il y a une dizaine d’années déjà. J’ai fait du bénévolat, soutenu les associations financièrement, participé à quelques manifestations. Mais au fond de moi j’ai toujours su que si nous attendions le bon vouloir des gens pour que les choses évoluent, la cause animale n’avancerait jamais. Une société doit être structurée, avec des lois, des limites à ne pas franchir. Il faut que la loi vienne réglementer les actions car si nous attendons que les belles choses viennent des gens cela n’arrivera jamais. J’ai ainsi toujours été persuadée qu’il fallait légiférer pour les animaux. J’ai entendu parler du Parti Animaliste, je me suis inscrite et tout est allé très vite. Comme il n’y avait personne en Isère, on m’a demandé si je voulais être représentante Isère du Parti Animaliste. J’ai accepté et, comme c’était pendant la campagne des municipales, j’ai été contactée par des candidats à la mairie de Grenoble dont Eric Piolle. Il m’a convaincue et j’ai eu raison de le suivre car il a été élu. Il est d’EELV et je me retrouve de fait dans les idées écologistes et humanistes qui me correspondent parfaitement.

Pour résumer, je suis rentrée en politique car je suis persuadée qu’il faut légiférer pour faire avancer la cause animale, pour contribuer à introduire la condition animale dans l’esprit humain, sinon cela ne se produira jamais. Je souhaite porter la voix de ceux qui n’en ont pas. La mouvance écologiste parle ainsi de protection de la biodiversité mais j’ai l’impression que l’on entend par là les animaux qui vivent dans l’environnement de l’être humain, les animaux dont on a besoin, les animaux que l’être humain a envie de regarder et qui ne le gênent pas car, s’ils gênent, ils sont désignés comme des nuisibles (aujourd’hui dits « susceptibles d’occasionner des dégâts », ndlr) et on a, alors, le droit de les tuer. Ce n’est pas ma vision. Pour moi, l’animal est une personne et ça ne se discute pas. Ce n’est pas un bien, ce n’est pas une propriété, ce n’est pas un objet. A l’instar des êtres humains, il ne doit pas forcément remplir une fonction pour avoir le droit de vivre et d’exister. Je souhaite que l’animal ait cette place sur la planète et je me battrai pour cette idée jusqu’à la fin.

Comme avez-vous vécu la campagne municipale à Grenoble ? Avez-vous senti les citoyens particulièrement ouverts à la question animale et environnementale ?

Je suis arrivée assez tard dans la campagne. J’ai rejoint « Grenoble en Commun », le groupe d’Eric Piolle, en décembre 2019. La campagne avait déjà bien commencé. Il a ainsi fallu s’intégrer à la dynamique. J’ai participé, j’ai distribué des tracts. J’ai dû faire face à certaines réactions négatives d’autant plus que j’étais étiquetée de gauche et d’ « écolo » du fait de ma présence dans la coalition.  En ce qui concerne ma position d’animaliste, j’ai eu la sensation que les gens n’ont pas saisi tout de suite la pertinence d’un programme municipal à destination de l’animal. Le Parti Animaliste n’était pas encore assez connu et les politiques étaient assez frileux à l’idée de mettre en avant le Parti Animaliste dans leur campagne. Finalement, au cours de cette dernière, j’ai dû surtout m’efforcer de faire connaître le Parti Animaliste en expliquant la pertinence de son programme. Cela ne va aujourd’hui d’ailleurs toujours pas encore de soi. Mais, il ne faut pas baisser les bras. Je me dis que le Parti Animaliste est précurseur et que sans nous, il ne se passera rien. Il faut vraiment qu’on occupe le terrain. Je me sens dans l’obligation de communiquer sur le sujet, de faire passer des informations. C’est mon devoir d’éduquer, d’informer mes proches, les élus, les citoyens.

Quel sont aujourd’hui vos fonctions à Grenoble ?

Je suis conseillère municipale à Grenoble, déléguée à la condition animale. Eric Piolle a créé pour moi une délégation spéciale, c’est-à-dire que je vais avoir des moyens, un budget, un chargé de mission qui vont m’aider à déployer mes mesures. Je suis également conseillère métropolitaine. La métropole, c’est 40 villes et villages et je souhaiterais que la condition animale y soit davantage prise en compte.

Comment envisagez-vous votre fonction de déléguée à la condition animale ? Quels sont les grands axes principaux sur les lesquels vous envisagez d’agir ?

Eric Piolle a signé avec le Parti Animaliste un protocole d’accords sur un certain nombre de mesures, ce qui constituait la condition sine qua non pour que je le rejoigne. Depuis j’ai étoffé mon programme en rajoutant un certain nombre de propositions. Il s’agit ainsi de mesures que je vais m’efforcer de porter au cours de mon mandat et qui pour l’instant n’ont pas encore été votées ni acceptée. Je voudrais ainsi créer une cellule de police municipale qui serait chargée de la protection des animaux, avec une infrastructure dédiée (numéro vert, site internet). Je compte déposer en janvier un vœu d’interdiction des animaux sauvages dans les cirques. J’envisage également d’intégrer des modules d’enseignement à l’éthique animal au sein des activités périscolaires en partenariat avec des intervenants extérieurs. Je travaille encore à l’instauration de deux menus végétariens et/ou végétaliens obligatoires par semaine dans tous les services de restauration municipales (cantine, EHPAD, services de la ville) ainsi que d’une option quotidienne végétarienne ou végétalienne. J’ai également un projet de création d’un cimetière animalier, qui contribuera à accorder à l’animal un statut de personne. J’aimerais encore que soit autorisée la présence des animaux des salariés et des élus au sein des structures municipales dans le cadre d’un programme que j’ai intitulé « nos animaux dans nos bureaux ». Un test va d’ailleurs débuter dès janvier ce qui constitue une grande victoire. Pour moi ce sont autant de mesures qui permettront de porter un regard différent sur l’animal. J’aspire à ce que la vie animale s’immisce dans la vie humaine et que l’on prenne l’habitude de voir et de vivre les animaux autrement que dans notre assiette ou derrière des barreaux. Je souhaiterais également encourager l’accueil des animaux de compagnie au sein des structures médicales municipales comme les EHPAD afin que les personnes âgées qui y rentrent ne se séparent plus de leurs animaux et que ces derniers ne soient pas abandonnés. Je compte encore mener une politique de stérilisation des chats errants avec création d’espaces de vie de « chats libres », en accordant parallèlement un soutien financier spécifique aux associations de protection animale grenobloises. Il s’agirait aussi d’attribuer à ces dernières des locaux communaux dans lesquels elles pourront exercer leurs activités associatives. De fait, elles font vraiment un travail d’intérêt général alors qu’elles sont constituées entièrement de bénévoles. J’ai ainsi pour projet de créer une « maison des animaux ». Cet endroit proposerait une garderie temporaire pour chiens de personnes en insertion sociale qui effectuent des missions et qui n’ont pas d’endroit où laisser leur chien pendant ce temps. Ça serait également une maison qui accueillerait les associations de protections animale d’accord pour cohabiter. Dans l’idéal, il y aurait également un vétérinaire bénévole avec une pièce dédiée aux soins. Cette maison se chargerait également de récolter des dons tant en nourriture pour animaux qu’en matériels (caisse de transport, bac à litière), redistribués ensuite au plus nécessiteux. Par ailleurs, je travaille à l’instauration, dans les parcs publics, d’espaces dédiés et/ ou de créneaux horaires réservés aux chiens. Ces espaces aménagés seraient de taille suffisante pour leur permettre d’exprimer leurs comportements naturels : il s’agirait de parcs canins clos mais avec des jeux spécifiques, des bassins. J’envisage également de protéger les écosystèmes de la ville avec interdiction de la coupe des vieux arbres, la promotion d’une politique de reforestation et de ré-ensauvagement des espaces par la mise en place, par exemple, d’hôtels à insectes, de nichoirs à oiseaux et à chauve-souris, d’écuroducs. Je voudrais également développer et pérenniser l’installation de nichoirs contraceptifs pour les pigeons afin de bannir la pratique du gazage. J’aimerais enfin organiser à Grenoble un Grenelle de l’animal qui serait d’envergure nationale.

Toutes ces mesures ne sont pas clivantes et je pense vraiment qu’elles pourraient passer. Je souhaite montrer que les animalistes ne sont pas des extrémistes qui cherchent à transformer le monde par la force.  Je me suis simplement donnée comme devoir de semer des graines dans la bienveillance.

Vous sentez vous optimiste concernant l’avenir ? Avez-vous déjà enregistré une victoire en faveur des animaux sur le plan politique que vous souhaiteriez ici partager ?

J’ai obtenu l’adhésion d’Eric Piolle et pour moi c’est vraiment une victoire significative. Également, la création d’une délégation animale constitue réellement un signal fort.  Sinon je suis optimiste concernant l’avenir mais il va réellement falloir que nous soyons forts. Quelque chose est en train de s’amorcer, nous n’en sommes qu’aux prémices. Cela ne se passera peut-être pas de mon vivant mais c’est certain que la cause animale va connaître des avancées significatives !

https://www.grenoble.fr/1816-sandra-krief.htm

https://www.grenoblealpesmetropole.fr/elu/100/1085-sandra-krief.htm

https://twitter.com/sandrakrief

Marion Weisslinger
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Docteur en philosophie

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