A mes amies ailées Swimming Poule et Red Poule
Depuis quelques années, nous assistons à une invasion caquetante et colorée de nos jardins : les poules pondeuses y prennent leur quartier, par petites bandes, dans les zones urbaines ou sub-urbaines munies d’un petit lopin de terre. Le capital sympathie de ces oiseaux se double de leur capacité à nous fournir des œufs frais, et aide les citadins quelque peu déconnectés à renouer avec une nature oubliée dans nos cités fortement anthropisées. Beaucoup de personnes ont également suivi les aventures de Monique, la poule rousse voyageuse de Guirec Soudée[1]. Les vétérinaires se penchent eux aussi sur cet animal qui quitte la promiscuité des poulaillers industriels, fussent-ils bio, en mettant en place des formations destinées à la poule « de compagnie », la poule de nos jardins[2].
Mais adopter une poule (ou plutôt deux au moins !) ne s’improvise pas, et l’analyse de ses besoins et de nos intentions à son égard doit permettre de ne pas maltraiter ce nouveau compagnon, de façon consciente ou non.
Des poules dans mon jardin : que dit la loi ?
La poule (pondeuse en ce qui concerne cet article) est en théorie un animal dit de rente, produisant des denrées alimentaires : œufs et chair, car elle est consommée lorsqu’elle n’est plus « rentable ». Il semble que tel ne fut pas toujours le cas dans l’Antiquité où son statut plus proche de celui d’animal de compagnie l’a amenée à être enterrée à nos côtés[3]. Mais qu’en est-il depuis quelques années, depuis que les poules quittent les quelques basses-cours encore existantes et surtout les élevages intensifs pour gagner nos jardins ? Sont-elles considérées dans ce cas comme des animaux de compagnie ?
La définition de l’animal de compagnie par la loi est différente dans les textes français et européens : « détenu pour l’agrément » dans les textes français[4], « détenu pour l’agrément et en tant que compagnon » pour les textes européens[5], description semblant plus proche de notre définition intuitive. Alors qu’en est-il pour la poule ? Textuellement parlant, si elle est détenue pour sa production d’œufs, même destinés à une consommation personnelle, il est difficile de dire que sa seule compagnie importe à son propriétaire. Par contre, si elle est soignée, gardée « juste pour sa personne », même sans ponte (et sans penser à consommer sa chair !), intuitivement la société la considérera comme un animal de compagnie. Son statut dans ces conditions est en pleine mutation et dépendra de l’intention de ses propriétaires lors de son adoption : pour sa production ou pour elle-même ? Que deviendra-t-elle lorsqu’elle arrêtera de pondre ? Le lapin de compagnie a connu cette même mutation de statut il y a peu de temps, ponte d’œufs en moins bien sûr…
Avoir des poules dans son jardin, c’est aussi devoir respecter ses besoins, car elle est un « être vivant doué de sensibilité »[6] et « doit être placée par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce »[7]. Il faut donc lui assurer au minimum le respect des 5 libertés indispensables à son bien-être[8]. Avoir des poules dans son jardin n’est pas non plus en faire un élevage professionnel qui répond à une législation bien précise. Néanmoins, selon le nombre de poules, des règles existent, visant à respecter le Code de l’urbanisme, avec la nécessité ou non d’un permis de construire préalable ou une déclaration préalable de travaux, selon la surface du poulailler prévu. Certaines copropriétés s’opposent par ailleurs à la présence de poules (à la différence des chiens ou chats où cette interdiction est illégale, hors chiens de catégorie), il convient de se renseigner au préalable[9].
Des règles de bon voisinage et de responsabilité civile sont également à respecter : penser aux nuisances sonores ou olfactives possibles, donc installer le poulailler le plus loin possible du voisinage, en assurer une hygiène irréprochable (pour vos voisins bien sûr mais aussi vos poules et vous-même !), bien clore leur jardin pour éviter qu’elles ne s’invitent chez eux[10].
Enfin, il convient aussi de parler d’un aspect sanitaire méconnu : depuis 2006 et l’arrivée de l’influenza aviaire, toute personne détenant des oiseaux ayant accès à un parcours extérieur a l’obligation d’en faire la déclaration en mairie[11]. Actualité brûlante depuis quelques mois…
Des poules dans mon jardin : que dit la science ?
La décision est prise, quelques cocottes vont venir animer votre jardin. La toute première chose à respecter est le caractère grégaire des poules : si elles créent facilement des relations avec d’autres espèces animales, dont la nôtre, elles sont néanmoins et indéniablement plus heureuses en vivant en communauté de poules (malgré le voyage « en solitaire » de Monique !). Il faut donc être prêt à en accueillir au moins 2 ou 3.
Pour leur bien-être et leur sécurité, quelques aménagements sont à préparer : de nombreux sites[12] conseillent sur les poulaillers, les perchoirs, les pondoirs, retenons donc surtout que l’espace à leur offrir est gage de leur bien-être, qu’il doit être le plus grand possible et sécurisé, tant pour éviter des fugues que vis-à-vis des prédateurs ! N’oubliez pas les bains de terre, l’herbe et les terrains à picorer pour les petits gravillons qui aideront à leur digestion. Il faut également prévoir des abris, pour la pluie ou le soleil, de l’eau fraîche et propre en grande quantité, et une alimentation équilibrée. Attention, les poules ne sont ni des poubelles, ni des composteurs sur pattes, même si elles sont réputées pouvoir faire disparaître 150 kg de déchets alimentaires par an ! Bien évidemment, elles apprécieront certains de vos restes de table de qualité mais il faut prendre garde à ne pas déséquilibrer leur alimentation et leur assurer une alimentation de base de haute qualité, riche en protéines, en acides aminés et acides gras essentiels, pour leur santé tout d’abord et aussi pour leur ponte : n’oubliez pas que « créer » quasi un œuf par jour nécessite beaucoup d’énergie.
Certaines poules d’ailleurs, issues de réforme, seront incapables, quelque temps ou définitivement, de pondre, d’où l’intérêt de savoir quelle est la motivation profonde à les adopter. En effet, leur corps, après 18 mois de production intensive dans des conditions de vie concentrationnaires, est fatigué, usé, leur ponte diminue voire disparaît (chaque année la ponte moyenne diminue de 20%), ce qui explique leur réforme et leur envoi à l’abattoir à cet âge de 18 mois qui voit également l’arrivée de leur première mue…Il faudra donc parfois un certain temps pour que ces poules se remettent d’aplomb ! De la même façon, il faut savoir que chaque période de mue provoque un arrêt de ponte de 8 à 10 semaines, le travail que représente l’élaboration d’un nouveau plumage expliquant aisément l’impossibilité de produire des œufs en parallèle.
Enfin, avoir des poules dans son jardin ne se limite pas à les loger bien, les nourrir et abreuver bien, leur permettre d’extérioriser leurs comportement de poules (picorer, prendre des bains de sable, gratter la terre, « cotcotter »…), les poules sont également des oiseaux dont l’intelligence a été (trop) souvent négligée, certainement en partie pour moins culpabiliser de les enfermer et les traiter si mal. Des études ont démontré leur intelligence, leur capacité à apprendre (à compter et à évaluer le temps par exemple), leur empathie notamment vis-à-vis de leurs poussins[13]. Et tous les « poules-parents » sont à même de témoigner des rapports étroits, amicaux et tendres que l’on peut développer avec elles, pour peu qu’on leur accorde attention, temps et amour.
Des poules dans mon jardin : que dit mon cœur ?
Nous en venons donc à la question cruciale : pourquoi voulez-vous mettre des poules dans votre jardin ? Frédéric Fortunel, chercheur au laboratoire de géographie sociale de l’Université du Mans, a lancé une étude en avril 2022 sur l’évolution du rapport de cet animal aux humains[14], et classe les propriétaires en plusieurs catégories : les producteurs (pour les œufs), les amateurs (pour les poules d’ornement), les jardineurs (pour occuper le jardin), les affectifs (pour avoir une poule de compagnie), et les sauveurs (pour sauver les poules de l’abattoir à la réforme)[15]. Depuis quelques années, cette dernière catégorie semble se développer mais quelle est « l’autre motivation » de ces sauveurs ? jardineur, producteur ou affectif ?
Les poules de réforme proviennent parfois directement des éleveurs qui voient dans cette opportunité deux côtés positifs : sauver ces poules qu’ils savent être bien jeunes pour mourir mais dont ils doivent se séparer pour une question de rentabilité, mais également récupérer une somme plus importante car les quelques euros qu’ils demandent aux acheteurs représentent toujours plus que les quelques dizaines de centimes que leur rapporte leur abattage, il est bon de ne pas se le cacher. Mais cela compense à mon sens le temps qu’ils passent à ce sauvetage ainsi que leur implication dans une meilleure considération de l’animal qu’il faut encourager, signe d’une évolution des mentalités. L’autre « source » de ces poules de réforme est l’ensemble des associations créées dans ce but, de plus en plus nombreuses et efficaces, tels les Caquetteuses, Adopte1poule, Sauvetage de poules[16]… Néanmoins si la motivation de toutes ces personnes est remarquable, il ne faut pas oublier un écueil important : l’éleveur ne prendra guère garde aux conditions de vie qui seront offertes aux poules. L’association bien sûr cherchera à les placer au mieux mais ne dispose pas des capacités logistiques pour vérifier chaque lieu d’accueil, contrairement à ce qui est fait pour les chiens et les chats. Il faut rappeler que les sauvetages de poules se font par centaines d’individus à la fois et que les associations sont composées de bénévoles qui font au mieux mais ne peuvent tout faire, du moins dans les conditions actuelles.
C’est donc là que l’éthique de l’adoptant intervient, ainsi que l’analyse de ses motivations : la poule de réforme a été exploitée dans une recherche de rentabilité. A sa sortie, elle est maigre, déplumée, blessée parfois, débecquée souvent. Son organisme, avec de bons soins, va se rétablir plus ou moins complètement et plus ou moins rapidement. Elle pondra peut-être rapidement et régulièrement et peut-être tardivement ou jamais. Elle pourra avoir besoin de soins médicaux plus ou moins onéreux et complexes qui pourront aussi amener à l’impossibilité de consommer ses œufs (pour des problèmes sanitaires de temps d’attente de médicaments et de limite maximale de résidus[17]) mais aussi sa chair (pour ceux qui y penseraient). Alors, adoptants de poules de réforme, accepterez-vous de la considérer comme l’animal de compagnie que vous désirez qu’elle soit et de la faire soigner ? De l’adopter sans contrepartie obligatoire (les œufs) ? De l’accepter pour ce qu’elle est : une poule, un individu avec son caractère, sa personnalité, une poule qui n’est pas interchangeable avec une autre ? Ne mérite-t-elle pas notre considération après ces 18 mois de vie exploitée ?
C’est votre motivation lors de son adoption qui fera de votre poule un véritable animal de compagnie, à l’instar d’un chien, d’un chat, d’un lapin ou tant d’autres animaux, une adoption sans demande de contrepartie autre qu’une relation d’amitié inter-spécifique, sans recherche de profits, d’œufs, de fientes fertilisantes, de « compostage » de nos déchets. Comme pour les lapins de compagnie, c’est le regard que la société porte sur les poules qui peut amener à plus de considération pour elles, tant au niveau de cette même société que de la loi.
[1] « Le Monde selon Guirec et Monique » de Guirec Soudée 10/04/2019 Editions Flammarion.
[2] L’AFVAC a proposé en 2022 deux formations dédiées à la poule de compagnie.
[3] environnement/les-poulets-etaient-des-animaux-de-compagnie-avant-de-servir-de-nourriture
[4] Article L214-6 du Code rural et de la pêche maritime
I. – On entend par animal de compagnie tout animal détenu ou destiné à être détenu par l’homme pour son agrément.
[5] Convention européenne pour la protection des animaux de compagnie article 1
On entend par animal de compagnie tout animal détenu ou destiné à être détenu par
l’homme, notamment dans son foyer, pour son agrément et en tant que compagnon.
[6] Article 515-14 du Code civil.
[7] Article L214-1 du Code rural et de la pêche maritime.
[8] agriculture.gouv.fr/le-bien-etre-animal-quest-ce-que-cest :
absence de faim, de soif et de malnutrition, absence de peur et de détresse, absence de stress physique et/ou thermique, absence de douleur, de lésions et de maladie, liberté d’expression d’un comportement normal de son espèce.
[9] lemagdesanimaux.ouest-france.fr/dossier-496-poulailler-ville
[10] gammvert.fr/conseils/conseils-de-jardinage/poules-au-jardin-que-dit-la-reglementation
[11] Arrêté du 24 février 2006 relatif au recensement des oiseaux détenus par toute personne physique ou morale en vue de la prévention et de la lutte contre l’influenza aviaire – Article 1.
[12] Par exemple : wanimo.com/veterinaire/la-poule-de-compagnie-installation.html, l214.com/animaux/poules-pondeuses/recueillir-des-poules-pondeuses
[13] cervelledoiseau.fr/2018/11/01/qui-sont-les-poules
[14] researchgate.net/project/Geographie-de-la-poule
[15] 18h39.fr/articles/la-poule-est-elle-devenue-le-nouvel-animal-de-compagnie.html
[16] lescaquetteuses.fr, adopte1poule.fr, facebook.com/sauvetagesdepoules, liste non exhaustive !
[17] afmps.be/fr/veterinaire/medicaments/medicaments/procedures_damm :
Les denrées alimentaires d’origine animale dont la viande, les abats, le lait, les œufs ou le miel peuvent contenir des résidus de médicaments administrés à des animaux destinés à la consommation humaine (animaux producteurs de denrées alimentaires ou animaux de rente). Vu que ces résidus peuvent avoir des effets nocifs sur la santé du consommateur et afin de protéger la santé publique, l’AFMPS attribue donc un temps d’attente aux médicaments administrés aux animaux de rente. Le temps d’attente est le temps à respecter entre la dernière administration du médicament à usage vétérinaire et la collecte des denrées alimentaires, ou la période durant laquelle la viande, les abats, le lait, les œufs et le miel ne peuvent pas être utilisés pour la consommation humaine. Au terme de ce temps d’attente, la teneur en substances actives provenant du médicament est suffisamment basse pour être considérée comme inoffensive. Le temps d’attente est entre autres calculé en fonction de la Limite Maximale de Résidus (LMR) établie pour ces denrées alimentaires.
La LMR d’une substance active est la teneur maximale de cette substance (et dans certains cas, de ses métabolites) légalement autorisée dans les denrées alimentaires d’origine animale.
Brigitte Leblanc
Vétérinaire