Numéro 13Animaux sauvagesLoup : « potentiellement dangereux » ?

Jacques Baillon16 octobre 20237 min

Petit billet d’humeur…

La question de la dangerosité présumée du loup vient de refaire massivement surface dans l’actualité médiatique avec une déclaration  de la présidente de la commission européenne Ursula Von der Leyen qui a déclaré le carnivore « potentiellement dangereux » pour l’homme, sous les applaudissements de ceux qui veulent à tout prix condamner l’espèce. 

Potentiellement dangereux ? Petite phrase qui tue, illico assortie d’un encouragement à l’intention des groupes sociaux hostiles aux loups qui réclament le retour des tirs avec en corollaire une promesse à peine voilée de l’Europe de ré-étudier la protection juridiction de l’espèce !

Sa déclaration est ici

Son propos a été entendu cinq sur cinq en France puisqu’il est intervenu à quelques jours près au moment de la présentation du «  Plan loup » 2024-2025 qui prévoit d’augmenter notablement les prélèvements. Ainsi d’ailleurs qu’en Suisse où des bruits de bottes mortifères se font également entendre.

Certains « amis des loups » se sont gaussés de ce positionnement, possiblement dû  selon eux au fait qu’un poney appartenant à Mme Von der Leyen avait été tué par un loup ! C’est puéril ! On ne définit évidemment pas une politique européenne sur la base d’une anecdote à caractère personnel. On a probablement plutôt  à faire avec cet intense lobbying politique « anti-loup » qui fait le siège des autorités européennes sur cette question depuis des lustres et qui vient donc de marquer des points.

Depuis cette déclaration, on assiste d’ailleurs à une recrudescence d’articles dans les médias français dans lesquels on ne parle que du possible déclassement du loup en tant qu’espèce protégée mais où les réactions des défenseurs du canidé sont absentes ou peu audibles…

Par contre personne ne souffle mot d’une étude pourtant co-financée par l’Europe qui explique très clairement que le loup n’est pas un danger pour l’homme ! Etrange..

Voici le début de ce document que manifestement la commission européenne n’a pas lu. Je cite :

« Dans les documents d’archives (chroniques, annales, ordonnances, avis, édits, archives paroissiales, etc.), des attaques de loup sur l’homme sont signalées à partir du Moyen Âge, mais dans des contextes ruraux et alpins très différents de ceux de nos jours, avec une présence humaine alors nettement plus importante et répandue ainsi qu’une disponibilité bien moindre de proies sauvages. Dans les campagnes et les montagnes cultivées et déboisées des siècles précédents, les gens et les loups (ainsi que probablement les chiens errants) étaient en concurrence directe pour l’espace et les ressources alimentaires.

La documentation de l’époque relate des épisodes d’agression lupine dont la motivation serait alimentaire : les victimes étaient souvent des enfants et des femmes laissés seuls pour garder le bétail, une pratique répandue en Italie, en France et dans d’autres pays alpins jusqu’au début du XX siècle. Pourtant, les méthodes employées pour déterminer l’espèce responsable d’une attaque étaient alors complètement subjectives, contrairement à celles utilisées aujourd’hui, basées sur l’analyse génétique des échantillons biologiques (par exemple, de la salive trouvée sur une morsure) qui permettent d’attribuer ou non la responsabilité au prédateur de façon robuste et objective. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe, aucune attaque de loups sur l’homme à des fins alimentaires n’est à déplorer (à l’exception d’une cas douteux en 1946).

Il faut savoir aussi qu’un nombre important d’attaques (létales ou pas) de loup sur l’homme documentées par le passé en Europe ont été causées par des loups atteints de la rage. De nos jours, des attaques sur l’homme se produisent essentiellement dans les parties du monde où la rage est encore bien présente et dans des contextes très différents de ceux de l’Europe (par exemple, en Asie). En dehors de ces zones critiques, en Europe et en Amérique du Nord, le risque de se faire attaquer par un loup est considéré très faible étant donné le nombre de cas documentés vis-à-vis du nombre de loups présents dans chaque population. Néanmoins, ce risque n’est pas nul pour autant, notamment en ce qui concerne des loups dits hardis ou problématiques. Prenons l’exemple de l’Amérique du Nord, où vivent environ 60 000 loups : pour la période 2002-2012, seules deux attaques létales sur l’homme par des loups non atteints de maladie y sont répertoriés (source : Alaska Department of Fish and Game). Ces épisodes ont eu lieu dans des régions lointaines et isolées où le niveau d’anthropisation du paysage n’est aucunement comparable à celui que nous trouvons dans les Alpes ».

L’étude complète est ici 

A noter que l’Office Français de la Biodiversité dit la même chose dans une étude détaillée de plus de 3200 cas de rencontres entre hommes et loups ayant donné lieu à une analyse de risque

Donc, il est clair le loup n’attaque plus l’homme à l’époque actuelle, sauf peut-être certains cas rarissimes d’individus devenus familiers ou agissant sous l’empire de la rage là où cette maladie sévit encore..

Pourtant,  les archives françaises sont pleines de récits de cas d’attaques de loups en effet et font les délices de certains historiens en quête d’histoires propres à effrayer et ordinairement prises comme « preuves » ce qui appuie objectivement les velléités de  prélèvements  d’individus en nombre suffisant et influence notablement l’opinion publique.

Qu’en penser ?

Ces « attaques » anciennes de loups sur l’homme recouvrent à l’évidence d’un ensemble de phénomènes différents.

D’abord il y avait manifestement une grosse tendance à appeler « loup » tout et n’importe quoi. Le loup, envoyé du diable, était un coupable désigné d’avance dans les plupart des écrits.

Aujourd’hui il faut une analyse ADN pour différencier en toute certitude un chien d’un loup, alors si on trouve l’appellation « loup » dans les écrits d’un curé d’il y a 3 siècles, on peut se poser des questions sur la réalité de l’affaire et chercher à comprendre avant d’affirmer !!

Ensuite il y avait la rage qui rendait fous les animaux atteints (loups compris).

Et lorsqu’on inhumait les restes d’un enfant d’humain décrit comme « dévoré par les loups » cela ne signifie pas que le loup était le responsable de la mort de l’enfant dans cet univers de pauvreté et de violences générales. Un cadavre laissé à l’abandon pouvait être mangé en une seule nuit par toutes sortes d’animaux détritivores, charognards etc.. loups, sans doute mais aussi chiens, renards, porcs ou sangliers, petits carnivores etc..

Les historiens qui sont de bons dénicheurs d’archives mais qui sont souvent enclins à « casser du loup » sont en général de piètres connaisseurs de la faune sauvage, ce n’est pas leur métier, ils ont donc tendance à tout gober sans analyser de manière critique les archives ou observations disponibles. Il a certes dû y avoir des cas d’enfants tués par un loup mais aussi beaucoup d’autres confrontations dramatiques attribuées à tort à cette espèce !

D’où cette espèce de paranoïa « anti-loups » qui perturbe les esprits et empêche la recherche de solutions partagées quant aux incidences sur le bétail et la vie des éleveurs !!

CQFD.

Jacques Baillon

(auteur de « Drôles de loups et autres bêtes féroces ». ISBN 9782954804255. 134 pages. Réédition 2020).

Dans cet essai l’auteur s’interroge sur la nature réelle de ces « bêtes »  d’autrefois, parfois qualifiées de « loups » de manière incertaine et passe en revue les compagnons de rapine du carnivore sauvage : les chiens ensauvagés, les hybrides de loups et de chiens, enragés ou anthropophages, ou les «bêtes cruelles» de légende. En suggérant que le carnivore sauvage a souvent été décrié à tort cet ouvrage tente  de remettre le loup à sa juste place, celle d’un carnivore qui a, certes, commis dans le passé quelques excès notoires en croquant quelques bergères ou lorsqu’il était atteint de la rage mais que l’on a volontiers rendu coupable de nombreuses exactions dont il ne fut en rien responsable.

Illustrations : collection Jacques Baillon


Jacques Baillon
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