Numéro 3Politique & AnimauxL’animalisme, composante essentielle de l’écologie politique

L’écologie est un mouvement culturel qui s’enrichit et devient politique lorsqu’elle entre en contact avec des luttes sociales. La pensée écologiste a notamment été développée par le géographe anarchiste Elisée Reclus qui décrit l’humain comme inclus dans la nature, ce qui exclut de fait le besoin de la dominer.

Nous, écologistes, ne voyons l’humain ni comme un outil de production, ni comme un simple consommateur. Nous souhaitons le libérer de l’aliénation qui est issue des besoins de production artificiels de notre société, construits pour être insatiables.

Selon Reclus, ce sont les interactions entre différentes espèces habitant un même milieu qui créent une dynamique d’évolution mutuelle : chaque espèce modifie sa manière d’habiter l’espace au gré de ses interactions avec les autres espèces. Cette dynamique d’évolution mutuelle, c’est la capacité continue d’adaptation à son milieu et à l’Autre. Mais de quel Autre s’agit-il ? Aujourd’hui, l’éthologie démontre que tous les animaux sont capables d’être acteurs de leur propre milieu, et qu’ils possèdent une certaine sensibilité (différente selon les espèces). Ces avancées scientifiques sont à l’origine de la Déclaration de Cambridge[1] du 7 juillet 2012, selon laquelle les animaux ont une forme de conscience. Il est donc logique de traiter cet Autre que sont les animaux, comme des personnes juridiques et non comme des choses, comme le proposait David Chauvet[2].

Notre culture occidentale est fondée sur une opposition binaire (entre hommes et femmes, entre nature et culture, entre Blancs et Noirs, etc) qui conduit à la domination de certains groupes sur d’autres. L’écologie politique, telle que décrite par Mick Smith[3], explique que notre compréhension binaire du monde tend à objectiver les non-humains et donc à ne pas reconnaître ni valoriser leurs perceptions. Et encore, l’histoire récente nous montre que l’égalité des droits est loin d’être acquise pour tous les humains.

De plus en plus de chercheurs[4], d’experts et de militants appellent ainsi à étendre la portée de l’écologie politique aux animaux non-humains, dans le but de favoriser leur inclusion dans les décisions politiques. Ce faisant, on améliorerait l’efficacité de celles-ci. En incluant les perceptions des différentes minorités (femmes, personnes racisées, animaux…) on améliore l’efficacité des politiques publiques, puisque celles-ci vont alors mieux répondre aux besoins de chaque acteur.

Le militant animaliste, tout comme le militant écologiste, est “conscient que son combat s’inscrit dans l’histoire de la lutte contre toute forme de discrimination, contre l’esclavage, le racisme, le sexisme, contre l’exploitation des humains par d’autres humains et des nations par d’autres nations, il ne sépare pas la défense des animaux de la défense des droits humains.”[5]

Marc Luhan disait que sur le vaisseau spatial Terre, il n’y a pas de passagers, nous sommes tous l’équipage. Dans le livre 2 des Essais, Montaigne se démarque de l’anthropocentrisme en écrivant que “chaque espèce peut considérer que, de son point de vue, elle est supérieure aux autres”[6]. Pour Corine Pelluchon, la cause animale est la cause de l’humanité dans la mesure où nos rapports aux animaux sont le miroir de ce que nous sommes devenus. L’animal n’est pas seulement un patient moral, qui aurait des droits tout en restant passif. C’est aussi un agent moral qui peut communiquer ses préférences et ses intérêts.

Le système actuel reflète une société fondée sur l’exploitation sans limite du vivant. La course au profit commande la réduction constante des coûts de production, au mépris du bien-être animal ainsi que du sens que l’humain donne à son travail. En particulier, les éleveurs sont autant victimes de ce système que les animaux à travers leurs conditions de travail éprouvantes, autant physiquement, que moralement et psychologiquement. Nous pouvons alors dire que toutes les espèces sont victimes du capitalisme en ceci qu’il est fondé sur l’exploitation illimitée des vivants et de la nature.

L’humanisme du XXIe siècle, indissociable de l’écologie politique au vu de la crise écologique, doit donc être davantage inclusif et embrasser toutes les formes de vie. L’animalisme, de même que le féminisme, l’antiracisme et l’antispécisme, peut ainsi être pensé comme un pilier majeur de ce nouvel humanisme.

Nous conclurons sur cette phrase de Corine Pelluchon : “Un pays qui s’imposerait comme un leader dans la transition vers une société juste envers les animaux aurait tout à gagner, y compris sur le plan économique. Car le nombre de personnes soucieuses du sort des animaux et désireuses de réduire leur consommation de produits animaliers augmente.”[7]


[1] « […] la force des preuves nous amène à conclure que les humains ne sont pas seuls à posséder les substrats neurologiques de la conscience. Des animaux non-humains, notamment l’ensemble des mammifères et des oiseaux ainsi que de nombreuses autres espèces telles que les pieuvres, [les] possèdent également » http://www.cahiers-antispecistes.org/declaration-de-cambridge-sur-la-conscience/

[2] D. Chauvet : ‘Personnalité Juridique des Animaux Juges au Moyen Age Xiiie Xvie Siecles’, 2012

[3] M. Smith : ‘The Face of Nature : Environmental Ethics and the Boundaries of Contemporary Social Theory’, Current Sociology, 49:1, 2001.

[4] Par exemple C. Notzke : ‘An exploration into political ecology and nonhuman agency: The case of the wild horse in western Canada’, The Canadian Geographer, 57:4, 2013.

[5] C. Pellluchon : Manifeste animaliste : Politiser la cause animale, 2017 p.63

[6] M. de Montaigne : “L’Apologie de Raimond Sebond”, Essais Livre 2

[7] C. Pellluchon : Manifeste animaliste : Politiser la cause animale, 2017 p.94

Francis Feytout
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Conseiller municipal EE-LV délégué au respect du vivant et à la condition animale de Bordeaux

Membre de la commission condition animale de EE-LV et référant pour la région Nouvelle-Aquitaine

Sarah Champagne
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Responsable du pôle politique et chargée de plaidoyer à l’Association Végétarienne de France et membre de la commission condition animale de EE-LV

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