Numéro 4Politique & AnimauxL’animal au Conseil municipal

Francis Feytout15 juillet 20219 min

“Les animaux sont là, à nos côtés. Ils organisent leur quotidien en fonction du nôtre, en recherchant notre présence ou au contraire en nous évitant. Domestiques ou sauvages, ils ont toute légitimité à être dans cet espace, ces villes, ces villages qui sont aussi les leurs. Dès lors, comment leur donner une place dans les politiques publiques, eux qui ne peuvent (pas) prendre part aux débats les concernant ? Quelles politiques mettre en œuvre afin de favoriser une cohabitation pacifique des humains avec les animaux ?”

Voici comment débute le livret programmatique “85 propositions pour les animaux” édité par la Commission Condition Animal d’Europe Ecologie Les Verts dont je suis le référent pour la Nouvelle-Aquitaine.

Si mon engagement politique est récent, 2 ans à peine, le substrat empathique est présent depuis toujours. Végétarien depuis 25 ans, je n’imaginais pas que mes actions personnelles puissent compter. Et un jour j’en ai eu assez, assez d’alterner des moments de déterminisme dépressif et d’optimisme écologique. Nous sommes à la veille de la 6ième Extinction, nous avons plus que jamais besoin d’empathie, plus que jamais les gens cherchent du sens. C’était le bon moment, j’ai su convaincre l’équipe de campagne de l’importance du bien-être animal et, ensemble nous avons su convaincre les Bordelais.

Selon Elisée Reclus, ce sont les interactions entre différentes espèces habitant un même milieu qui créent une dynamique d’évolution mutuelle : chaque espèce modifie sa manière d’habiter l’espace au gré de ses interactions avec les autres espèces. L’humain peut donc être décrit comme inclus dans la nature, ce qui exclut de fait le besoin de la dominer. L’éthologie démontre que tous les animaux sont capables d’être acteurs de leur propre milieu, et qu’ils possèdent une forme de sensibilité, certes différente selon les espèces. Depuis la Loi de Grammont de 1850, la condition animale était majoritairement le fait du milieu associatif avec des impacts locaux importants, mais les avancées majeures se retrouvaient ralenties ou bloquées par les politiciens.

Politiser la question animale devenait alors naturellement l’étape suivante. Nos succès électoraux montrent que les électeurs sont prêts à soutenir l’écologie et l’animalisme, que l’empathie n’est pas un vain mot. En France, lors de la campagne des dernières municipales 387 candidats de toute sensibilité politique ont signé la charte « Une ville pour les animaux » de l’association L214. 230 sont maintenant conseillers municipaux et 55 ont été élus maires. Cette dynamique est aussi globale, le groupe européen « Animal Politics E.U. », rassemble 11 partis animalistes européens. Cette politisation des animaux vise à répondre à une question fondamentale. Comment donner une place dans les politiques publiques à ceux qui ne peuvent pas prendre part aux débats les concernant ? En d’autres termes, que peut faire un maire et ses élus délégués pour améliorer la condition des animaux ?

Les animaux comme vecteurs d’empathie

Cette fin mai notre direction de l’éducation organisa une webconférence à destination des équipes pédagogiques et des parents élus des écoles bordelaise sur le thème de « comment la bienveillance avec les animaux peut-elle susciter l’empathie chez les enfants ? ». La présidente de l’association Enfant Animal Nature y présenta des outils pédagogiques pour développer l’empathie des enfants pour les animaux et comment cela entraîne davantage de bienveillance entre eux et améliore la compréhension des mécanismes de harcèlement.

La ville souhaite aussi développer la brigade équestre de la Police Municipale. L’expérience montre que les gens approchent aisément les agents montés pour demander à caresser le cheval ou à prendre des photos. Le cheval permet de faciliter les missions des municipaux. Il impressionne et il fascine à la fois, ce qui facilite le rapprochement entre policiers et usagers.

L’animal en ville, le partage de l’espace événementiel

Où se situe la limite entre travail et exploitation ? La ville de Bordeaux reçoit beaucoup de demandes d’événements et nombre d’entre eux concernent des animaux. Pour ma part, j’ai une vision pragmatique de cette question : l’exploitation arrive quand l’animal ne se retrouve ni dans le travail à fournir ni dans les conditions de l’exercer. Séparer le monde animal du monde humain agrandirait le fossé qui existe déjà dans la compréhension des animaux, de leur sensibilité et de leur individualité. Nous savons que l’inconnu engendre la peur et que la peur nourrit la haine. Il me semble donc contre-productif et irréaliste de porter une séparation des deux mondes. Dès que les acteurs animaux y trouvent leurs comptes, que les conditions de travail, de vie et de prise en charge incluent l’intérêt de l’animal, son bien-être et son caractère, ce travail est positif pour l’animal. Et je pense que l’impact à moyen terme améliorera la relation entre animal humain et animal non-humain.  

Photo © TS-Mairie de Bordeaux

Par exemple, une jeune photographe équestre a approché la ville de Bordeaux avec un projet intéressant : faire venir un cheval en ville pour réaliser des photos artistiques. Après concertation avec les services de la ville et l’artiste, j’ai fait ajouter l’article suivant dans l’arrêté d’autorisation :

« La ville de Bordeaux s’engage à garantir les conditions de vie et de travail des animaux. Lors des séances, l’organisateur s’engage à faire travailler le cheval sans l’exploiter. La définition de travail sans exploitation correspond aux points suivants :

  • la charge de travail, les horaires de travail et les temps de pause doivent correspondre aux besoins physiologiques et éthologiques communément admis pour l’espèce,
  • le cheval doit être bien traité de manière générale et en particulier dans le respect de son caractère et de son individualité,
  • le cheval n’est pas objectifié et son individualité est mise en valeur autant que faire se peut,
  • le cheval ne doit pas apparaître comme une ressource ou une valeur marchande.

L’organisateur s’engage à fournir une attestation sur l’honneur du propriétaire du cheval s’engageant à fournir une retraite paisible et en accord avec ses besoins physiologiques et éthologiques à l’issue de la période de vie professionnelle communément admise pour l’espèce. »

Les animaux de compagnie

Bordeaux est passé de la 12e à la 4e place au palmarès 2021 des villes où il fait bon vivre avec son chien. Action majeure depuis l’année dernière, l’arrivée de ma délégation à la condition animale y est pour beaucoup. Cette délégation est loin d’être insignifiante, car elle montre une meilleure compréhension des enjeux de cette portion de la politique urbaine.

La ville est actuellement en partenariat avec la SPA pour sa première campagne de stérilisation de chats errants. C’est une première car les chats sont identifiés au nom de la Ville de Bordeaux qui en devient responsable. Nous avons choisi de nous limiter à 30 chats afin d’étudier notre capacité à capturer et à gérer le bien-être de nos chats libres sur le long-terme. Les conclusions que nous pourrons tirer de cette action nous permettront d’être ambitieux sans risquer le bien-être des animaux. Autre enjeu, créer un statut de nourriceur-soigneur pertinent et conventionné. Le travail est encore embryonnaire à ce stade, mais de nuisance le chat deviendrait un auxiliaire municipal favorisant la solidarité et la sociabilisation.

Les animaux liminaires

Vivant à nos côtés, profitant et subissant des activités humaines, ces animaux font l’objet d’un mépris social et juridique. Le cas des pigeons illustre parfaitement ce manque de prise en compte et de considération. Compagnons des villes, les pigeons ont subi dans l’histoire la représentation que l’Homme s’en fait. Allié à la guerre, symbole de paix, puis de richesse, ennemi des agriculteurs, puis source de nourriture du peuple, il est désormais considéré par beaucoup comme un « rat-volant ». Ce terme dévoile le rejet de la cohabitation des Hommes avec cette espèce qui a pourtant toujours été à nos côtés. Le changement de perception à leur égard est primordial, notamment sachant qu’il s’agit, en ville, de l’animal le plus présent en dehors de nos animaux de compagnie.

Dans cette perspective, la Ville de Bordeaux développe un plan de gestion préventif du pigeon. De partout, le pigeon est mis à mort par diverses techniques en raison des désagréments que notre espèce lui prête : saleté et risque sanitaire. Ces méthodes létales caractérisent les relations homme-animal. Dès qu’ils nous dérangent, nous les éliminons. La Ville de Bordeaux souhaite mettre fin à cette solution extrême et créer un vivre-ensemble avec le pigeon. Pour cela, il convient de trouver un équilibre entre les attentes légitimes des citoyens quant à l’action de la Mairie concernant la propreté et la sécurité et une action respectueuse du bien-être des pigeons. A cette fin, de nombreuses mesures peuvent être mises en œuvre. Les méthodes douces se développent, notamment par la création de pigeonniers contraceptifs. Des produits répulsifs sont également largement employés. Mais l’un des aspects fondamentaux afin de pouvoir transiter vers une gestion non-létale du pigeon est la communication et l’éducation.

Ces deux axes doivent permettre une reconsidération du pigeon dans son environnement. Il a toute sa place dans l’écosystème urbain. Par ailleurs, il faut éduquer quant à la source de développement des pigeons. Les amoureux de cette espèce doivent comprendre que les nourrir provoque une double incidence négative. D’abord sur leur santé, car les aliments sont souvent inadéquats pour leurs besoins physiologiques. Le pain par exemple est nocif pour ces oiseaux. De plus, les sources de nourriture favorisent l’augmentation du nombre de pigeons et donc de plaintes. Sachant que ces animaux se nourrissent aussi de nos déchets, il s’agit de limiter l’accès à la nourriture facile pour réguler leur capacité de reproduction. 

Ces actions mettent en exergue deux nécessités : responsabiliser les individus et développer un apprentissage des comportements et besoins d’une espèce. Cette connaissance perdue doit réémerger, car c’est en comprenant l’Autre que nous sommes mieux à même de cohabiter avec eux, de manière respectueuse.

Appel à la Recherche

J’espère vous avoir démontré qu’une ville qui s’empare de la question animale est capable d’agir sur plusieurs fronts ainsi que sur plusieurs espèces. La condition animale est une thématique transverse qui touche de multiple pan de la société. Le Vivant comme lien systémique dans le maillage des politiques publiques. Pour réinterpréter Corinne Pelluchon dans le Manifeste Animaliste : « La ville qui s’imposerait comme leader dans la transition vers une société juste envers les animaux aurait tout à gagner, y compris sur le plan économique. Car le nombre de personnes soucieuses du sort des animaux et désireuses de réduire leur consommation de produits animaliers augmente. » [1]

Je profite de mon intervention pour conclure sur un appel à la Recherche. En tant qu’universitaire et élu animaliste, je souhaite voir se développer des partenariats entre la Ville de Bordeaux et le monde de la Recherche autour de mes délégations. Je suis prêt à accompagner des mémoires de master ou des thèses, dans des sujets aussi variés que, par exemple, la nutrition végétale, l’éthologie et la biologie du lapin, la gestion non-létale de population d’animaux (rats, pigeons, sangliers) ou le tourisme, la présence de l’animal dans la représentation artistique, dans l‘Histoire ou les cultures.

Cet article est une reprise de mon intervention lors du colloque L’animal au travail. Merci à Corinne Marache pour sa confiance et à Sophie Jaunet pour son aide précieuse


[1] La citation originale de Corine Pelluchon se trouve page 94 du Manifeste Animaliste. Elle fait référence au « pays  qui s’imposerait comme un leader »

Francis Feytout
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Conseiller municipal EE-LV délégué au respect du vivant et à la condition animale de Bordeaux

Membre de la commission condition animale de EE-LV et référant pour la région Nouvelle-Aquitaine

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