Education des enfantsNuméro 1La pomme ou le lapin ?

Dominic Hofbauer15 octobre 202017 min

Pour un enseignement de l’éthique animale

Pour illustrer le caractère naturel – selon lui – d’une alimentation riche en fruits, le nutritionniste américain Harvey Diamond cite souvent cet exemple : « Donnez une pomme et un lapin à un enfant dans un berceau. S’il mange le lapin et joue avec la pomme, je vous achète une voiture neuve ! »

Les enfants semblent souvent exprimer, en effet, une empathie spontanée à l’égard des autres animaux. Assurément, ils reconnaissent chez eux une volonté individuelle, une curiosité et une inquiétude qui leur sont familières. Animaux proches ou lointains, expressifs, vulnérables, inventifs, curieux ou affectueux : les enfants se reconnaissent dans leur subjectivité.

Ici, là, partout des animaux !

Figurés, dessinés, humanisés, dans l’univers des enfants les autres animaux sont partout. De Peppa Pig au Roi Lion, ils ne sont pas seulement les héros de leurs films et dessins animés préférés : ils sont aussi largement au service du marketing publicitaire qui les cible dès le réveil. Au petit-déjeuner, des animaux leur parlent sur les paquets de céréales. A l’école, les animaux peuplent leurs premiers exercices de mathématiques ou de lecture, pullulent dans les contes qui stimulent leur imaginaire. Des mammifères, poissons, et oiseaux décorent les porte-manteaux où ils accrochent leur anorak ; les bonnets dans les cours d’école évoquent d’étranges oreilles animales ; des chevaux, des loups ou des dauphins bondissent sur leurs trousses ou galopent sur leurs cartables. De retour à la maison, des poissons leur font des clins d’œil sur les paquets de cabillauds, une vache ou une chèvre leur sourit sur les emballages de fromage. D’autres animaux encore évoluent dans les papiers peints de la chambre où ils s’endorment enfin, imaginant d’effrayants crocodiles en embuscade sous leur lit ou serrant dans leurs bras un compagnon en peluche qui les rassure.

Bien souvent, loin des stéréotypes véhiculés par les contes, le marketing et les représentations transmises par les adultes qu’ils côtoient, les enfants cohabitent avec des animaux réels, qui font partie de la famille et sont parfois leurs plus proches confidents. Pour la psychologue Gail Melson : « les enfants sont aux prises avec un mélange compliqué, souvent contradictoire, de codes sociaux gouvernant notre traitement des animaux. Il y a des animaux considérés comme des membres de la famille, d’autres sont écrasés comme des nuisibles, d’autres sont sauvés de l’extinction tandis que d’autres encore sont hachés pour faire des hamburgers. Le résultat en est que les enfants reflètent souvent le malaise de la société à l’égard des différentes utilisations qui sont faites des animaux et qui sont culturellement validées[1]. »

C’est peu de le dire : le conditionnement social et parental creuse un gouffre qui nous empêche très tôt – dans nos vies d’enfants – de faire un lien entre notre empathie spontanée pour les autres animaux et ce que les habitudes alimentaires que nous acquérons par mimétisme, en grandissant, leur coûtent véritablement.

Programmes scolaires : loup y es-tu ?

En France, l’éthique animale a figuré durant 40 ans dans les manuels officiels pour l’école primaire – de 1883 à 1923 – aux côtés de références à la loi Grammont, première loi historique de protection animale dans le droit français.

Mais ça, c’était avant. Aujourd’hui, force est de constater que les autres animaux en tant que tels sont largement absents des programmes de l’enseignement. Certes, le monde animal figure à bon escient dans les chapitres des manuels de science consacrés à l’évolution et à la classification des animaux en règnes, ordres, classes et espèces. De même, les espèces animales sont mentionnées dans les manuels de sciences comme partie intégrante de la biodiversité et des politiques de conservation.

Mais les animaux demeurent évoqués sous l’angle de l’espèce, rarement pour eux-mêmes. Les connaissances acquises dans le domaine de l’éthologie sur les capacités cognitives, les émotions ou la pensée sans langage ne semblent pas, non plus, trouver la porte d’entrée de manuels de biologie qui demeurent mécanistes, centrés sur la physiologie et véhiculant des conceptions naturalistes globalisantes, fixistes, scientifiquement dépassées et sans pertinence éthique en matière de droits ou de justice. « Au-delà du grand méchant loup et du petit lapin, l’animal reste tragiquement absent des classes du primaire, remarque la psychologue Dominique Droz. Rien n’est fait pour assurer la transition entre l’imaginaire enfantin, dans lequel il est très présent, et le respect de l’animal réel avec son altérité et son identité[2]. »

Alimentant la confusion classique entre espèce et individu, cette tendance qui règne sur toute la scolarité culmine dans les cours de philosophie : on y aborde la question animale dans une approche historique – c’est-à-dire par le biais de ce qu’en ont dit les grands auteurs – plutôt que par les travaux les plus récents en philosophie ou même en science. Car un certain nombre de questions abordées en philosophie relèvent aujourd’hui des sciences : la conscience, la pensée, le langage, la mémoire… Il en résulte que les problèmes sont posés en termes binaires périmés (inné/acquis, nature/culture, intelligence/instinct…), que sont présentées comme valables (parce que défendues par de grands philosophes) des théories que nous savons aujourd’hui erronées, et qu’on invite les élèves à se faire une opinion personnelle sur des questions depuis longtemps résolues par la recherche scientifique.

Depuis la réforme du lycée en 2019, cependant, le programme de la spécialité Humanités, littérature et philosophie contient un vaste chapitre intitulé L’homme et l’animal. Le programme invite ainsi les élèves de cette filière à explorer la « relation à l’animal » comme « un révélateur de la place que l’homme s’attribue dans la nature et dans le monde, avec de fortes implications philosophiques, éthiques et pratiques. ». Il permet également d’aborder « certaines questions vives d’aujourd’hui : l’exploitation animale, les droits des animaux, les “cultures animales”, etc. »

L214 Éducation, une expérience pionnière en France

Forte de ces constats, l’association L214 développe depuis 2017 la démarche L214 éducation, qui conçoit et diffuse des ressources autour de la question animale pour l’enseignement. Cette offre pédagogique s’arc-boute notamment sur les programmes de l’enseignement moral et civique (EMC), ainsi que sur les cours de géographie, de philosophie et de sciences. Les outils éducatifs de l’association s’appuient sur une approche scientifique documentée (éthologie, biologie, législation), et sont élaborés sous le contrôle d’un conseil scientifique regroupant des spécialistes en sciences naturelles, droit animalier, médecine vétérinaire, pédagogie et psychologie de l’enfant, philosophie et éthique.

Ainsi, du primaire au secondaire, à travers différents thèmes adaptés à l’âge des élèves, les animations, expositions ou ressources proposées cherchent à accompagner chaque enfant dans sa capacité à encourager, par ses choix quotidiens, une relation aux autres animaux empreinte de respect et de responsabilité. Elles ont en commun de développer l’enthousiasme, l’action positive, de ne pas livrer un message formaté, mais plutôt d’engager la réflexion par une approche informative ludique, interactive, avec des jeux, des débats. Pour l’association, il s’agit d’accompagner le questionnement éthique sans être prescriptif de valeurs ou de comportements.

 Pour un enseignement de l’éthique animale

Les animaux ont-ils des droits ? Ont-ils un statut moral ? Notre responsabilité vis-à-vis d’autrui s’arrête-t-elle aux frontières de notre propre espèce ? Jusqu’où tenir compte de tous les individus capables de souffrir ? Face à ces questions d’une grande actualité, la reconnaissance des animaux comme des êtres sensibles dans le code rural depuis 1976 en France, dans le Traité européen depuis 1992 et depuis le 28 janvier 2015 dans le Code civil français pourrait constituer un socle solide et légitime sur lequel bâtir une démarche pédagogique concertée, fondée sur l’éthique, sur la science et sur l’état de la législation.

Dans une tribune parue dans Libération en 2017, une quinzaine d’intellectuels appelaient ainsi à mieux intégrer l’enseignement de l’éthique animale dans les programmes de l’Éducation nationale. Car si on leur posait la question, beaucoup d’enfants trouveraient que les autres animaux ont une place dans le monde avec nous. Que loin de nous donner des privilèges, notre ascendant sur eux nous confère plutôt une responsabilité : celle de veiller sur chacun avec respect et bienveillance. Avec leur curiosité insatiable, leur capacité renouvelée à s’ouvrir aux autres et à s’émerveiller, le cœur des enfants recèle peut-être un puissant moteur d’empathie, capable de nous inspirer vers un monde plus humain et plus juste.

On parie ?

Pour aller plus loin : https://education.l214.com/

(Adaptation d’un article paru en 2017 dans la revue Véganes)


[1] Gail MELSON, Les animaux dans la vie des enfants (Payot 2009)

[2] Dominique DROZ,  La question animale dans l’enseignement, 2016, Cité des sciences, Cycle « Révolutions animales »,  (video)

Dominic Hofbauer
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Éducateur en éthique animale pour L214 Éducation, chargé d’enseignement à l’Université de Rennes 2.

Il y a un commentaire

  • Galindo Catherine

    21 janvier 2024 à 17h17

    Voici le commentaire le plus idiot qui a répondu à une étude de science 😂😂Alors cet argument sous-entend que les enfants sont des êtres purs et qu’ils n’aiment pas la violence. Alors si c’était le cas, il n’y aurait jamais eu de violence et de harcèlement à l’école mais pourquoi pas, après tout on n’est pas dans la réalité mais dans un film Disney tout le monde le sait. Cet argument est horriblement faux, et triplement faux, pourquoi ?

    1. Parce que c’est une question d’emballage, mettez une pomme et des bonbons, et l’enfant ira manger les bonbons. De plus on peut mettre des choux de Bruxelles et un lapin devant un enfant, je ne pense pas que le lapin va survivre longtemps.

    2. Si on doit prendre les choses dans leur état naturel, la pomme est au sommet d’un pommier et le lapin est au sol. Donc s’il faut manger vite, ce sera le lapin qui sera mangé. Wouah !! 😂😂

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