Numéro 10Education des enfantsAccueillir un chat en classe : une expérience de vie inégalable !

Dominic Hofbauer16 janvier 20238 min

Marie-Laure Laprade est enseignante et présidente de l’association Éducation Éthique Animale, qui promeut l’enseignement de l’éthique animale en milieu scolaire. Depuis plusieurs années, elle mène dans sa propre classe une expérience originale de sensibilisation des élèves au sort des animaux de compagnie abandonnés : un projet gagnant-gagnant qui permet à des chats sans toit de retrouver une famille grâce à l’implication de toute la classe !

Dominic Hofbauer : Bonjour Marie-Laure, et merci de nous accueillir dans ta classe, même à distance ! Parmi tes nouveaux élèves de cette année, il y a un élève à 4 pattes qui ronronne ! De qui s’agit-il ?

Marie-Laure Laprade : Hé oui Dominic, je te présente Oréo. C’est ainsi que l’ont prénommé mes élèves de CM1/CM2, en raison de son pelage noir ornementé d’une petite étoile blanche sous le cou, et qui rappelle un célèbre biscuit ! Avec sa petite sœur, Oréo a été trouvé devant la porte d’une habitante d’un village voisin. Elle suppose qu’on les lui a déposés pour qu’elle s’en occupe, ayant elle-même déjà 3 chats.

Dominic Hofbauer : Comment t’es venue cette idée d’accueillir en classe un chaton ? Oréo est un chaton en attente d’adoption, c’est bien ça ?

Marie-Laure Laprade : Depuis de nombreuses années, je travaille avec mes élèves sur la question animale, et j’essaie de les y sensibiliser. La compétence “Mettre en œuvre une action responsable et citoyenne, individuellement ou collectivement, en et hors milieu scolaire, et en témoigner (Domaines du socle : 3, 5) me donne l’opportunité de les faire s’engager pour la cause animale de manière concrète. De plus, depuis novembre 2021, la loi contre les maltraitances animales intègre par son article 25 l’enseignement du respect des animaux de compagnie en éducation morale et civique, de l’école élémentaire jusqu’au lycée. Cet article est aujourd’hui transcrit dans le Code de l’éducation :

II.- L’article L. 312-15 du code de l’éducation est complété par un alinéa ainsi rédigé :


« L’enseignement moral et civique sensibilise également, à l’école primaire, au collège et au lycée, les élèves au respect des animaux de compagnie. Il présente les animaux de compagnie comme sensibles et contribue à prévenir tout acte de maltraitance animale. »

Notre classe devient donc une classe d’accueil pour un chaton de rue. L’objectif premier du projet est de placer cet animal, et de lui donner une deuxième chance dans une famille d’adoption de manière définitive. Nous avons déjà placé 8 chatons, sous conditions rigoureuses, en 4 années de cette expérience. Ainsi, Trottinette, Chaton, Minette, Pépito, Fanny, Charly, Souris, Hortense mènent tous une vie heureuse dans des familles d’enfants ou d’enseignants de notre école. Nous avons donc des nouvelles agrémentées de photos régulièrement. Ces actions réussies rendent très fiers les élèves qui y ont œuvré, et les encouragent dans cette démarche qui s’inscrit dans le temps long.

Une option d’adoption est déjà en cours pour Oréo, il devrait être accueilli par la maman d’une petite élève de CP, qui est assistante vétérinaire. Leur chat est décédé il y a quelques mois, et la petite fille reste inconsolable. Il ne s’agira pas de remplacer son chat disparu, mais de garantir une belle vie à un nouveau petit compagnon qui en a besoin.

Dominic Hofbauer : Quelle belle nouvelle ! À ce propos, que disent les textes officiels de l’Education nationale en matière d’accueil des animaux à l’école? Et comment intègres-tu la présence d’Oréo en classe dans ta progression pédagogique d’enseignante ?

Marie-Laure Laprade : La présence d’animaux en classe est autorisée, selon un cadre fixé par l’Education nationale attentif aux conséquences pour la santé et la sécurité des enfants, mais elle est actuellement en recul pour des raisons invoquées d’hygiène, de sécurité ou d’allergie. Un animal en classe engage aussi des responsabilités, notamment sa garde pendant les week-ends et les vacances scolaires.

Comme nous l’avons vu, l’éducation morale et civique permet des débats riches conduisant les enfants à s’ouvrir à la souffrance des animaux, à comprendre nos responsabilités vis-à-vis d’eux, et à envisager des relations plus justes et respectueuses. La valeur intrinsèque de chaque individu animal et ses intérêts sont abordés, favorisant l’amélioration de notre rapport moral à l’animal. L’accueil d’un chaton de rue permet de souligner la problématique et le caractère odieux et illégal de l’abandon. C’est aussi l’occasion de rappeler que la garde d’animaux, de plus en plus répandue, impose des obligations continues, matérielles et morales, relevant des soins et de l’éducation de l’animal. À travers le projet avec Oréo, les élèves comprennent que cet être vivant n’est pas un jouet, et qu’on ne peut en envisager la compagnie sans lui assurer les soins nécessaires et sans lui porter un indispensable attachement.

Dans un autre champ disciplinaire, celui des sciences de la vie, les connaissances foisonnantes en éthologie sont utiles pour mieux connaître les besoins spécifiques du chaton accueilli en classe. De ces besoins découle un certain nombre de règles à adopter en classe, et qui sont construites par les enfants eux-mêmes. Ainsi, on ne force pas le chaton à des caresses mais on le laisse venir à nous, on ne dérange pas son sommeil et on respecte son espace. On s’assure qu’il ait toujours de l’eau fraîche et une litière propre, on lui propose des repas et, pour sa sécurité, on veille à ce qu’il ne s’échappe pas (car il est en totale liberté dans la classe). De plus, les enfants rivalisent de créativité pour lui fabriquer des jouets qui permettent de nombreuses interactions, qui génèrent des conduites affiliatives qui participent à la construction psychique de chaque élève.

Dominic Hofbauer  : Comment les élèves et les parents réagissent-ils à ce projet ?

Marie-Laure Laprade : L’annonce de l’arrivée d’un chaton provoque excitation et impatience chez les enfants. Nous prenons donc le temps de préparer cette arrivée par quelques échanges. Certains enfants ont un chat à la maison, et évoquent le comportement de celui-ci, les relations qu’ils entretiennent. Nous réfléchissons ensemble à ce qu’il convient de faire pour assurer une bonne qualité de vie à cet animal que nous allons découvrir ensemble et qui va partager nos vies quelque temps. Après les premiers jours où l’effervescence domine, les enfants respectent parfaitement les consignes édictées, et ne manquent pas de se les rappeler mutuellement. Ils savent que la présence du chaton est conditionnée au respect de ces conduites respectueuses.

L’accueil d’un chat dans la classe est un projet impliquant de nombreuses personnes, ce projet est expliqué aux parents lors de la réunion de rentrée. Je les informe des bénéfices pour le chaton et pour leurs enfants, notamment dans le développement et les régulations de l’affectivité et des systèmes de communication, des processus de socialisation, des systèmes cognitifs des apprentissages, de la créativité, de l’imaginaire et des processus symboliques, comme l’explique le professeur Hubert Montagner[1]. Je laisse aussi des écrits consultables à ce sujet.

Dominic Haufbauer : Quels bénéfices les animaux tirent-ils de cette expérience, et quels apprentissages les élèves en gardent-ils ? Au-delà des avantages pédagogiques de cette démarche, est-ce aussi une riche expérience de vie ?

Marie-Laure Laprade : Les animaux accueillis échappent à une vie dans la rue, exposés aux maladies, au froid et à la faim. Cette période transitoire dans notre classe est un tremplin vers une vie de famille où ils seront soignés et choyés. La cohabitation 6 heures par jour avec un chaton développe de nombreuses compétences et capacités chez les enfants, notamment l’empathie émotionnelle et l’empathie cognitive, si nécessaires au respect d’autrui.

Dominic Hofbauer : Quels conseils donnerais-tu à des enseignants qui seraient intéressés par ton projet pédagogique et souhaiteraient s’en inspirer pour accueillir un animal dans leur classe ?

Marie-Laure Laprade : L’arrivée d’un animal dans la classe est un événement qui engage de nombreuses responsabilités : celle de l’enseignant, du directeur ou de la directrice de l’école et du reste de l’équipe. Et, bien sûr, celles des enfants. Le choix de l’animal accueilli est très important, car cette expérience doit profiter aux enfants et à l’animal, et ne jamais se faire au détriment de ce dernier. Trop souvent, on trouve au fond de la classe un lapin ou un cochon d’Inde, confiné dans une cage la plupart du temps. Il me semble indispensable de bien connaître l’éthogramme de l’animal que l’on souhaite accueillir. C’est d’ailleurs l’occasion de recherches documentaires avec les enfants. L’idéal est de se rapprocher le plus possible des conditions de vie en milieu naturel de l’animal. Pour reprendre l’exemple du lapin, il s’agit d’un animal qui a besoin de creuser la terre, courir et sauter, grignoter. Toutes ces manifestations sont impossibles dans des conditions de claustration.

Concernant le chaton, n’oublions pas que ce petit félin, attaché à son territoire, n’apprécie guère les changements de lieux de vie et aspire à des endroits paisibles et rassurants. L’enseignante doit donc le prendre en charge hors temps scolaire et assurer une ambiance de classe calme et sereine. Mais si toutes ces conditions sont remplies, cette expérience de vie est inégalable pour l’enrichissement individuel et le vivre ensemble !

Dominic Hofbauer : Merci Marie-Laure, bon vent à Oréo et merci à tous tes élèves pour leur implication !

Pour en  savoir plus :

Le site de l’association Éducation Éthique Animale

Entrée officielle de l’éthique animale dans les programmes scolaires : une avancée modeste mais prometteuse (Savoir Animal #8)

Les textes officiels encadrant la présence d’animaux en classe

S’engager pour les animaux en classe, c’est possible !, par Dominic Hofbauer et Marie-Laure Laprade (Savoir Animal #5)

À l’école de l’empathie, par Marie-Laure Laprade (Savoir Animal #2)

[1] [1] Montagner, Hubert. L’enfant, l’animal et l’école. Bayard., 1995.

Entretien réalisé en décembre 2022


Dominic Hofbauer
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Éducateur en éthique animale pour L214 Éducation, chargé d’enseignement à l’Université de Rennes 2.

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