Numéro 1Droit animalierLa base du droit de l’expérimentation animale : la sensibilité animale

Marion Bourgine15 octobre 20205 min

Tout être humain sensible ne peut être indifférent au sort de l’animal. La question de l’utilisation de ce dernier à des fins scientifiques, ce qu’on appelle plus communément l’expérimentation animale, est sensible. Ce choix porté sur l’adjectif « sensible » est volontaire car il est la qualité primordiale partagée entre l’Homme et l’Animal, et celle à l’origine de la protection juridique de ce dernier. La notion de « sensibilité », associée à celle de la « vie », deux notions interdépendantes, constitue la base de la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques et sera le maître-mot de ce premier article dans « Savoir Animal ».

La base : la qualité d’ « être sensible »

Avant, il convient de rappeler la reconnaissance juridique des animaux comme des « êtres vivants doués de sensibilité », tel qu’énoncée à l’article 515-14 du Code civil. Ainsi, c’est un point qui ne fait plus l’objet de discussions.

Pour autant, il est nécessaire de marquer l’importance du mot « sensible » dans le domaine de l’expérimentation animale. Les animaux « modèles » sont amenés à subir des souffrances, des douleurs ou des angoisses. En effet, la sensibilité renvoie à ces connotations négatives. Elle présente trois degrés de sensibilité : la nociception, la douleur et la souffrance. La nociception existe chez la plupart des animaux.  Elle permet d’éviter, de façon réflexe, les stimulations portant atteinte à l’intégrité de l’organisme et se traduit par des réponses de fuite ou de retrait d’une partie du corps. La douleur apparaît chez tous les animaux qui possèdent des réactions émotionnelles associées à la nociception. La souffrance apparaît chez les animaux qui possèdent des fonctions cognitives associées à la douleur, donc une certaine conscience de leur environnement avec sans doute un développement particulier pour les mammifères et les oiseaux.

La problématique : la douleur

L’expérimentation animale est inéluctablement liée à cette notion de douleur, qui ne peut laisser indifférent le public. Pourtant, l’utilitarisme, cette notion philosophique qui répond à la question de la moralité d’une action, permet de légitimer la pratique de l’expérimentation animale. Plus simplement, il s’agit de justifier le recours au modèle animal dans le domaine des sciences. Par exemple, Florence Burgat parle d’un « mal nécessaire ». Pourquoi n’a pas été fait le choix d’interdire toute expérimentation animale afin d’éviter la souffrance animale ? La réponse se situe dans son utilité. Effectivement, cette option n’est pas envisageable en raison des progrès significatifs dans des domaines fondamentaux tels que la santé publique, la sécurité et l’environnement… Néanmoins, elle reste discutable que ce soit dans la communauté scientifique ou à plus large échelle. Le débat de l’expérimentation animale est loin d’être clos et chacun reste libre de son opinion à ce sujet.

Le Code rural et de la pêche maritime, quant à lui, définit les finalités justifiant ainsi le recours à l’expérimentation animale à son article R.214-105 :

  • a) La recherche fondamentale ; 
  • b) Les recherches translationnelles ou appliquées menées pour :
    • i) La prévention, la prophylaxie, le diagnostic ou le traitement de maladies, de mauvais états de santé ou d’autres anomalies ou de leurs effets chez l’homme, les animaux ou les plantes ;
    • ii) L’évaluation, la détection, le contrôle ou les modifications des conditions physiologiques chez l’homme, les animaux ou les plantes ;
    • iii) Le bien-être des animaux et l’amélioration des conditions de production des animaux élevés à des fins agronomiques ;
  • c) L’une des finalités visées au b lors de la mise au point, de la production ou des essais de qualité, d’efficacité et d’innocuité de médicaments à usage humain ou vétérinaire, de denrées alimentaires, d’aliments pour animaux et d’autres substances ou produits ;
  • d) La protection de l’environnement naturel dans l’intérêt de la santé ou du bien-être de l’homme ou de l’animal ;
  • e) La recherche en vue de la préservation des espèces ;
  • f) L’enseignement supérieur ou la formation professionnelle ou technique conduisant à des métiers qui comportent la réalisation de procédures expérimentales sur des animaux ou les soins et l’entretien de ces animaux ainsi que la formation professionnelle continue dans ce domaine ; g) Les enquêtes médico-légales ; ».

Ce texte montre la volonté du législateur d’encadrer l’utilisation des animaux à des fins scientifiques. Au-delà de l’indispensable protection de la santé publique, de la sécurité ou de l’environnement, il convient de préciser que la moralité publique pousse le législateur à limiter l’expérimentation animale.

C’est pourquoi, une protection juridique s’est mise en place.

Une solution : les « 3 R »

Les scientifiques ont été les premiers à proposer une pratique éthique de l’expérimentation animale par les fameux 3 R :

  • Reduce (Réduire) le nombre d’animaux en expérimentation ;
  • Refine (Raffiner) la méthodologie utilisée, ce qui implique la notion de points limites ;
  • Replace (Remplacer) les modèles animaux.

Concrètement, tout scientifique souhaitant utiliser le modèle animal dans ses travaux de recherches ou autres devra en tout premier lieu vérifier qu’il n’existe aucune autre méthode, dite « méthode alternative à l’expérimentation animale ». S’il prouve l’absence d’un autre procédé, il devra dans ce cas assurer le respect des deux autres R c’est-à-dire s’assurer de réduire le nombre d’animaux utilisés et de réduire la souffrance, la douleur et/ou l’angoisse qui seraient occasionnées.

Ces « trois R » sont à ce jour repris par le corps législatif et constituent la règle (suite de l’article précédemment cité : « 2° Respecter les principes de remplacement, de réduction et de raffinement »). Comme a pu le souligner le Professeur Jean-Pierre Marguénaud, les « trois R » ont quitté le terrain éthique pour s’élever au rang juridique. C’est important de mettre l’accent sur ce point car une règle juridique implique des sanctions en cas de non-respect alors qu’une règle éthique nous renvoie à notre propre conscience – toute personne se trouvera sanctionner ou non selon son échelle de moralité.

 Les « trois R » constituent l’outil de protection des animaux utilisés à des fins scientifiques. Ils ne cessent et ne cesseront de faire parler d’eux avec pour but ultime d’aboutir à l’existence unique du R du « Remplacement »…

Marion Bourgine
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Juriste chez Chevreux Tours Métropole

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