Numéro 2Droit animalierUne protection juridique des animaux utilisés à des fins scientifiques mais quels sont les animaux concernés ?

Marion Bourgine15 janvier 20216 min

Pour rappel, dans le numéro 1, a été exposée la sensibilité animale comme la base de la protection juridique animale. Seulement, se pose la question suivante : tous les animaux sont-ils capables de ressentir la douleur ? En d’autres termes, sont-ils tous en mesure d’accéder à la protection juridique organisée par les textes en vigueur ?

La réponse se trouve à l’article R.214-84 du Code Rural et de la Pêche Maritime énonce une liste exhaustive des espèces concernées à savoir :

  • «animaux vertébrés vivants, y compris les formes larvaires autonomes et les formes fœtales de mammifères à partir du dernier tiers de leur développement normal ;
  • formes larvaires autonomes et formes fœtales de mammifères à un stade de développement antérieur au dernier tiers de leur développement normal, si l’animal doit être laissé en vie au-delà de ce stade de développement et risque, à la suite des procédures expérimentales menées, d’éprouver de la douleur, de la souffrance ou de l’angoisse ou de subir des dommages durables après avoir atteint ce stade de développement ;
  • céphalopodes vivants. »

Tel est le texte issu de la directive 2010/63 du Parlement Européen et du Conseil du 22 septembre 2010 et transposé en droit français par un décret de 2013.

Il sera exposé dans un prochain numéro de Savoir Animal la mise en œuvre concrète de cette protection. De façon à mieux comprendre cet article, la protection permet aux animaux de ne pas être utilisés sur la seule volonté des scientifiques, ces derniers devant obtenir une autorisation au préalable.

Tout l’enjeu de la règlementation en matière d’expérimentation animale repose sur un lien inéluctable entre la Science et le Droit. En effet, l’origine du choix des espèces à protéger au nom de leur sensibilité provient des recherches scientifiques. En effet, ces dernières, après des centaines d’années d’égarement[1], ont pu affirmer que les animaux éprouvent de la douleur. Mais, pas tous les animaux, si on en croit les textes…

Un bref historique de la reconnaissance sensible de certains animaux…

Les animaux vertébrés vivants, notamment les mammifères et les oiseaux, furent les premiers à être considérés comme des êtres capables de ressentir la douleur ou la souffrance. Les scientifiques utilisent les concepts d’émotion et de “conscience” pour déterminer la sensibilité animale de façon distincte au processus de la simple nociception. L’utilisation du mot “émotion” met l’accent sur le fait que la perception douloureuse va de pair avec une tonalité désagréable, aversive qui correspond à la catégorie des émotions dites primordiales. La référence au mot conscience attire l’attention sur le fait que l’existence d’une “forme de conscience” est devenue, sous l’impulsion des sciences cognitives, un élément clé dans la démarche de reconnaissance des capacités mentales des espèces animales.

Ce fut plus complexe de reconnaître la sensibilité des animaux invertébrés. Pour autant, la recherche scientifique continuant, la littérature à ce sujet grandissante, les céphalopodes furent les derniers à être pris en compte sur le plan juridique comme des êtres sensibles. Les chercheurs ont ainsi pu établir que les performances comportementales des céphalopodes étaient liées à la prédation et révélaient des capacités cognitives et des capacités adaptatives importantes (discrimination de formes, de couleurs, d’intensité des stimulations, mémorisation de l’espace, apprentissage par observation visuelle, capacités de catégorisation de formes), similaires à celles des espèces vertébrées.

Le lien entre la Science et le droit est donc inéluctable. Il pourrait être discuté sur le fait que la recherche scientifique amène à utiliser les animaux au détriment de leur bien-être tout en amenant à faire évoluer le Droit pour la protection de ces derniers.

Le Droit évolue à un rythme prudent… La France n’est liée que par l’Union Européenne pour le domaine de l’expérimentation, ne prenant aucune initiative d’élargissement de la protection, à la différence de son voisin allemand.

L’idée d’un élargissement du champ de protection à d’autres espèces…

La Fondation Droit Animal (LFDA) a présenté un dossier dans lequel elle propose d’élargir la liste des animaux protégés aux :

  • Embryons d’espèces ovipares (oiseaux et reptiles).

Toujours à l’appui de publications scientifiques, est demandée la reconnaissance de l’embryon d’oiseau et de l’embryon de reptile dans le dernier tiers de son incubation, comme étant un être sensible. 

  • Crustacés décapodes (les crustacés possédant 5 paires de pattes : craves, crevettes, écrevisses, homard, langoustes, galathées).

Les recherches neurophysiologiques et les observations comportementales ont démontré de façon incontestable que le développement neurosensoriel complexe dont ils sont dotés leur permet d’exprimer des capacités d’apprentissage rapide d’évitement, de mutation de motivation, comme de toilette ou de frottement, ce qui implique l’existence de la perception, de la conscience et de la mémorisation d’une douleur. L’une des dispositions de la République fédérale d’Allemagne impose la « notification de projet de recherche sur les décapodes », c’est-à-dire l’application des mêmes règles que celles applicables aux vertébrés et aux céphalopodes.

Les réponses parvenues sont restées négatives sous couvert, pour faire simple, que cela ne relève pas de l’initiative nationale mais plutôt de l’Union Européenne. Par exemple, dans un courrier du 11 décembre 2017, le directeur général de l’Alimentation du ministère en charge de l’Agriculture indiquait « qu’il ne revient pas à la France d’élargir seule le champ d’application de la directive ». Tout est donc entre les mains de la Commission européenne. Or, cette dernière n’a pas déclaré nécessaire d’élargir ce champ de protection, au moment de la 1ère révision de la directive de 2010.

Conclusion…

L’article 2 de la directive de 2010, intitulé « mesures nationales plus strictes » interroge sur la question de savoir si un État membre peut adopter des mesures nationales plus strictes que la directive européenne. Certains États membres l’invoquent pour refuser les demandes de mise en place de telles mesures nationales. Cet article dispose que : « Les États membres peuvent, dans le respect des règles générales fixées par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, conserver des dispositions en vigueur le 9 novembre 2010, visant à assurer une protection plus large des animaux relevant du champ d’application de la présente directive que celle prévue dans la présente directive. » Conformément à l’article 58 de la directive, la rendant ainsi révisable, la Commission européenne a publié son rapport le 8 novembre 2017 mettant en avant notamment la difficulté d’harmonisation entre les États membres, sans pour autant répondre à la question de l’article 2. Il serait pourtant aisé de penser, de façon à répondre au sens directeur de la directive européenne, que l’élargissement du champ de protection à l’échelle nationale ne devrait pas poser de contrariété envers le droit européen. Ce dernier vise à remplacer, dès que ce sera possible sur le plan scientifique, l’expérimentation animale par des méthodes alternatives [2].


[1] Longtemps, la sensibilité de l’animal a été niée. Il s’agissait d’un héritage des « penseurs » comme Descartes décrivant un animal machine. En effet, Descartes et ses successeurs expliquaient que la réponse de l’animal n’était qu’une réponse automatique à des stimuli extérieurs. Ce point renvoie à la notion de « nociception » exposée dans le numéro 1 de Savoir Animal.

[2] « l’objectif final [est] le remplacement total des procédures appliquées à des animaux vivants à des fins scientifiques et éducatives » (considérant 10)

Marion Bourgine
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Juriste chez Chevreux Tours Métropole

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