Retour sur l’un des sujets évoqués pendant les Journées d’été des Ecologistes au Havre fin août 2023 : le lobby de la chasse. Avec comme intervenants, invités par la Commission condition animale d’EELV ; les députés écologistes Charles Fournier et Sandrine Rousseau, Stan Broniszewski le porte-parole d’Abolissons la Vénerie aujourd’hui (AVA), Léa Jaillard et Mila Sanchez du collectif Un jour un chasseur.
La chasse, un lobby « pas comme les autres »
Les différents intervenants ont commencé par évoquer leur rapport avec la chasse et plus précisément avec le lobby de la chasse.
Le collectif Un jour un chasseur a été créé après la mort de Morgan Keane, avec comme objectif de recueillir les paroles et témoignages sur les exactions de chasse. Ce collectif a,permis, comme le rappellent ses cofondatrices Mila Sanchez et Léa Jaillard, une libération de la parole des ruraux vis-à-vis des violences des chasseurs, en recevant de nombreux témoignages. Le collectif s’est également mobilisé sur le plan politique en lançant une pétition sur le site du Sénat, pétition qui a abouti à une audition devant ce dernier. Daniel Salmon, sénateur écologiste présent pendant la conférence, a d’ailleurs rappelé que le Sénat a arrêté le dépôt des signatures de la pétition à 120 000, alors qu’elle aurait pu en recueillir bien plus ! Dans la lignée de leur engagement, la Cour des comptes a également publié un rapport sur le financement des chasseurs, rapport qui témoigne de l’absence de contrôle de l’Etat sur les financements par l’Etat sur les financements alloués aux fédérations de chasse.
Les députés présents ont chacun un lien très spécifique avec le lobby de la chasse.
Charles Fournier d’un côté, est né en Sologne dans la « capitale de la chasse » (tout y était centré sur la chasse) : « Quand on y grandit, on devient soit écolo, soit chasseur » reconnaît l’élu de Tours. Ce dernier a déposé, depuis son élection en 2022, deux propositions de loi visant à mieux règlementer et sécuriser la pratique ; l’une, pour réduire le nombre de jours de chasse (interdiction les weekends, les jours fériés et les vacances scolaires) et interdire les chasses cruelles, traditionnelles et en enclos; l’autre, pour a minima mettre fin à ce “loisir “le dimanche. Il raconte pendant la conférence comment le lobby de la chasse s’est fortement déployé à ces deux occasions, contre lui.
Sandrine Rousseau a eu affaire pour la première fois au lobby de la chasse en 2015 pendant une commémoration sur le Chemin des dames ; cette dernière a dû s’arrêter parce que les chasseurs… souhaitaient chasser à cet endroit ! La députée de la 9e circonscription de Paris décrit une arrivée de plusieurs 4×4, des chasseurs qui installent leur pancarte « chasse en cours » au milieu du passage. L’élue écologiste déplore « l’appropriation sauvage, massive, immédiate d’un espace public ». En février 2022, elle évoque lors d’une matinale radio les 25% des féminicides qui ont lieu par arme de chasse. Quelques mois plus tard, la fédération de chasseurs lui intente un procès, en lui demandant 10 centimes de dédommagement…par chasseur. Le motif ? Cette prise de parole avait « nuit à la communication (?) des chasseurs ».
L’audience est prévue fin 2023 ou en 2024. Nous serons évidemment mobilisés à ses côtés lors de ce combat judiciaire.
Stanislas Broniszewski, porte-parole d’Abolissons la Vénerie aujourd’hui (AVA), a quant à lui grandi à Compiègne où la chasse à courre est omniprésente, et s’organise dans un « état d’esprit féodal ». Concrètement, AVA mène des opérations d’information auprès des habitants des communes concernées (Relais de témoignages, distribution de flyer dans les boîtes aux lettres..etc.) et organise des patrouilles pour contenir la chasse à courre, en lien régulier avec la préfecture et la police.
Le lobby de la chasse ? La défense d’intérêts privés VS intérêts publics
Stanislas Broniszewski revient sur la spécificité de la Fédération Nationale des Chasseur (FNC) « une organisation de type corporatiste » ; toutes les associations de chasse de France sont obligées d’adhérer à la FNC, ce qui crée « un gros bloc monolithique, extrêmement puissant ». Des chasseurs qui peuvent notamment « auto réguler leurs propres pratiques ». Un exemple qui montre également l’unité de ce bloc monolithique de chasseurs ; le soutien de la Fédération nationale des chasseurs à la chasse à courre alors qu’une partie importante des chasseurs (67%) se positionne contre.
Charles Fournier décrit également un lobby protéiforme, avec des chasseurs présents partout, dans toutes les institutions. Un lobby qui agit au niveau financier, politique et physique (usage de la violence et de l’intimidation par exemple). Lors de l’audition de Willy Schraen au sénat, Daniel Salmon raconte que son ton était tellement menaçant envers les sénateurs qu’ils ont dû le « reprendre »… Ce lobby est également très présent à l’Assemblée nationale ; 129 députés font partie du groupe chasse, en étant issus de tous les bords politiques…en dehors des écologistes. Un lobby associé à toutes les décisions politiques et surtout assumé.
Charles Fournier décrit des insultes quotidiennes et un harcèlement des chasseurs à son encontre, avec un très fort rapport de force qui s’est installé, alors qu’il défendait avant tout le droit d’accès à la nature pour toutes et tous. Et ce d’autant que les Français sont globalement favorables à un jour sans chasse ! Le député raconte s’être heurté à l’opposition des Républicains à l’Assemblée nationale, qui ont défendu le droit des ouvriers à chasser le dimanche … Ouvriers qui ne représentent qu’une partie infime des pratiquants de la chasse (on y reviendra dans quelques lignes).
En résumé le lobby de la chasse ce sont, pour le député « des intérêts privés qui s’opposent à des intérêts publics » (et la régulation en est un très bon exemple, on y revient aussi quelques lignes plus bas).
Un lobby bien organisé donc, et qui bénéficie aussi de fortes subventions : dans un récent rapport (demandé par le collectif Un jour un chasseur), la Cour des Comptes a mis en avant que 6,9 millions d’euros sont versés directement aux fédérations départementales… sans justification des coûts, alors que cette dernière est requise par la loi.
Quand le lobby de la chasse envoie de faux témoignages
Pour Sandrine Rousseau, les chasseurs utilisent tous les éléments possibles, toutes les portes d’entrée dans les lieux de pouvoir (élections…etc). Avec Macron comme Président de la République, la députée estime que ce lobby n’a jamais eu autant de poids.
Le collectif Un jour un chasseur raconte pendant la conférence comment le lobby s’est organisé pour envoyer de faux témoignages et ensuite se servir de cette manœuvre pour décrédibiliser son travail (alors que le collectif n’a reçu que quelques faux témoignages sur des milliers eux bien véridiques). Concernant la mort de leur ami Morgan Keane, les co-fondatrices du collectif expliquent avoir mis du temps à savoir à quelle fédération appartenait celui qui a tiré, et que celui-ci avait fait 60 km en plein confinement. Le chasseur responsable du tir mortel a été condamné à seulement deux ans de prison avec sursis. Le procès nous a appris que son beau-frère l’avait encouragé à passer le permis de chasse pour lui « changer les idées » à la suite d’un drame familial. Il a donc obtenu le permis alors qu’il était potentiellement dans un état dépressif, sans que cela n’émeuve ses examinateurs.
Plusieurs mois après le décès de leur ami, Léa Jaillard et Mila Sanchez racontent n’avoir pas réussi à faire interdire la chasse autour de sa maison alors qu’un arrêté aurait pu être pris en ce sens.
Chasseurs et (non) ruralité
Sandrine Rousseau rappelle les chiffres d’un article du Monde de 2018. Tout d’abord, les chasseurs sont surtout des hommes (2,2% de femmes) et force est de constater que les ACCA (Associations Communales de Chasse Agréées)/AICA (Associations Intercommunales de Chasse Agréées) sont des lieux de socialisation dans lesquels les femmes sont absentes.
Et la députée de rappeler « La possession par l’homme d’un fusil met forcément une pression sur les femmes et c’est encore plus vrai en ruralité car les gendarmes sont souvent proches des chasseurs. Il est donc d’autant plus difficile pour les femmes de porter plainte en cas de violence, cela permet de couvrir les chasseurs ». Pour la députée, « avoir un fusil entre les mains est une violence en soi », elle rappelle que le permis de chasse est tellement peu contraignant que les chasseurs français n’ont pas le droit de chasser dans certains autres pays européens dont le Benelux. Une des « victoires » des chasseurs : les condamnations en cas d’accident sont très souvent clémentes.
Autre réalité rappelée : les chasseurs exercent à 36,3 % des professions libérales et sont seulement 8% d’agriculteurs et 15% d’ouvriers. Peu de personnes issues de la ruralité donc, alors qu’une des victoires du lobby est de se définir comme un loisir, une spécificité de la ruralité. Avec un renforcement volontaire du mythe du loisir « des pauvres », alors que la chasse est appropriée par les urbains.
Dans leur ouvrage “Chasser tue [aussi] des humains” le collectif Un Jour un chasseur rappelle quelques chiffres à ce sujet : « […] En 2015 seuls 4,4% des chasseurs actifs étaient des agriculteurs (ils étaient plus de 12% en 1998), ce qui permet de nuancer l’idée reçue de la proximité des mondes agricole et cynégétique. Selon un sondage IFOP3 datant de 2020 et portant sur le profil et le vote des chasseurs en France, environ la moitié des chasseurs français habitent dans des villes de plus de 20 000 habitants (13% dans des villes de 20 000 à 99 000 habitants, 22,5% dans des villes de 100 000 à 1 999 999 habitants et 10,8% dans l’agglomération parisienne) ».
Qui sont les vrais « nuisibles » ?
Parce que les chasseurs impactent aussi fortement la vie des animaux, plusieurs d’entre eux ont été évoqués lors de cette conférence des Journées d’été des Ecologistes au Havre.
Concernant le déterrage des blaireaux par exemple, il a été rappelé que la préfecture autorise souvent la prolongation de la chasse en se basant sur les chiffres des chasseurs eux-mêmes. Il est donc nécessaire de soutenir les associations de protection des animaux pour apporter des chiffres scientifiques autres que ceux fournis par les fédérations. Charles Fournier précise qu’une loi transpartisane arrive bientôt pour mieux protéger ces animaux. A noter que les dégâts dans des exploitations sont par ailleurs basés sur des auto déclarations. Des missions de service public sont également confiées aux chasseurs (comme surveiller la grippe aviaire considérée comme « le covid des animaux »).
A noter que la France comptabilise 89 espèces qu’il est possible de chasser, bien plus que les pays voisins. Concernant les oiseaux par exemple, 66 espèces sont déclarées « chassables » en France, contre une moyenne de 39 en Europe !
Francis Feytout, élu de Bordeaux en charge de la condition animale, rappelle qu’on ne connaît pas en France le nombre exact des sangliers, et qu’il est en réalité difficile pour les ACCA (Associations Communales de Chasse Agréées) /AICA (Associations Intercommunales de Chasse Agréées) et fédérations de déterminer le réel niveau de dangerosité.
« Le nuisible c’est l’humain » ; au lieu de parler de nuisibles (tel qu’on les surnommait avant, aujourd’hui le terme utilisé pour ces animaux est « susceptibles d’occasionner des dégâts »), il serait préférable selon l’élu de parler de « nuisances» quand animaux et humains se rencontrent et de davantage travailler l’interface entre les deux. Francis Feytout recommande par ailleurs la lecture de la thèse « Le sanglier dans l’espace urbain » de Carole Marin, docteure vétérinaire et géographe.
Les différents intervenants réclament une réglementation de la chasse au niveau national et pas local, car la lisibilité des règles est importante. La spécificité du local ne fonctionne pas, serait peu pratique et trop dangereuse pour ceux qui profitent de la nature : par exemple en ayant des jours de chasse différents d’un territoire à l’autre.
Unanimité également des intervenants de cette conférence sur la nécessité de partager la nature alors que nous atteignons un fort moment de raréfaction. La nature doit être protégée et doit pouvoir se partager, comme tous les biens communs !
La Commission condition animale d’EELV adresse un immense merci aux députés écologistes Charles Fournier et Sandrine Rousseau, à Stan Broniszewski, Léa Jaillard et Mila Sanchez pour leur participation à cette conférence et pour leurs éclairages précieux sur le lobby de la chasse !
Il y a un commentaire
RAOUL Jean-Philippe
1 octobre 2023 à 7h22
Il ne manquait plus que solveig hallouin sur la photo et toute la team était là 😂
Finalement c’est la meme stratégie entre les écolo et l’extrême droite: utiliser des cas isolés pour cracher sa haine sur une communauté.
Je déteste la politique et quand je lis ça je sais pourquoi.