Préfacé par Hélène Thouy, mon livre met en lumière le lien insécable entre le destin de l’humain et celui de l’animal. Pourquoi cette proximité a-t-elle débouchée sur un assujettissement de l’animal ? L’exploitation outrancière de l’animal ne met-elle pas l’humain en danger ? N’y a-t-il pas un risque de perte d’humanité quand l’ensemble de la société cautionne une cruauté indicible sur des êtres innocents ?
Interdépendance humain/animal
Un lien si fort, que ne pas avoir souci de l’animal reviendrait, pour l’humain, à sa propre déshumanisation voire à sa propre destruction. Je ne me ne se borne pas dans cet essai à décrire et dénoncer les conditions d’exploitation de l’animal, mais je cherche à reconstituer l’imaginaire collectif où seraient enfouies les raisons plus ou moins avouées qui ont conduit l’humain à anéantir l’animal sans considération de sa sensibilité, de sa souffrance et de ses intérêts propres. Pour ce faire, je remonte à la Grèce antique, aux prescriptions des religions polythéistes et monothéistes, à l’humanisme de la Renaissance, aux théories de Descartes, et même aux traditions culinaires pour comprendre pourquoi la bienveillance à l’égard des autres animaux réclamée par de nombreux penseurs a été anéantie. L’incohérence du mépris de toute compassion à l’égard des autres animaux sera immortalisée par Lamartine : “On n’a pas deux cœurs, un pour les animaux et un pour les humains, on a un cœur ou on n’en a pas“.
S’opposer à la souffrance animale s’avèrera difficile car il faut déconstruire des croyances, non fondées, ancrées dans l’imaginaire collectif pour lesquelles la vie de l’animal ne vaut rien. Pourtant, de tous temps, depuis l’antiquité, la problématique du traitement de l’animal a suscité des débats passionnés, longtemps réservés à une élite. Aujourd’hui, le débat se démocratise car l’exploitation animale a atteint un niveau outrancier jamais égalé dans l’histoire. Dans le règne animal, l’humain se juge au sommet, différent et supérieur, en maître absolu, sur les autres animaux. Ignorant les travaux de Charles Darwin sur l’origine des espèces pour qui l’appartenance de l’humain au monde animal s’impose comme une évidence, l’humain a décidé qu’il y aurait deux catégories, d’un côté l’espèce humaine et de l’autre l’espèce animale – sans distinction du gorille à l’huitre – sur laquelle il s’arroge tous les droits. Pourtant, chaque découverte, ne cesse de confirmer l’idée d’une continuité, sans rupture, entre l’humain et les autres animaux.
Les revers de l’exploitation animale
L’élevage intensif est destructeur de l’environnement, aboutit à une surconsommation d’eau, de céréales pour animaux au détriment de cultures vivrières, conduit à l’émission de 14,5% des émissions de gaz à effet de serre, à la déforestation de 63% de la forêt amazonienne, au réchauffement climatique et à l’accaparement des ⅔ des terres agricoles dans le monde. L’élevage intensif est un foyer d’infection, réservoir de virus et présente un risque inquiétant pour l’humain. De nombreuses études scientifiques nous révèlent que les produits animaux sont responsables de pathologies chroniques et mortelles. En sur-stress permanent, ces animaux sont soulagés par une grande surconsommation d’antibiotiques, d’antidépresseurs et de vaccins divers, impropres à la consommation humaine.
L’expérimentation animale, quant à elle, est devenue un enjeu pour la science de demain et des chercheurs s’opposent sur ce débat scientifique[1]. Peut-on continuer à croire que le modèle animal est le modèle biologique de l’Homme ? Pourquoi, au 21ème siècle, le vaccin contre la polio est-il fabriqué à partir de cellules de singe alors que les chercheurs Enders, Weller et Robbins ont reçu le prix Nobel de médecine en 1954 pour leur découverte de l’emploi de cellules humaines pour la fabrication de ce dit vaccin ? La prise de médicament est la 3ème cause de mortalité humaine dans les pays développés, n’est-ce pas la preuve de l’échec du modèle animal ?
La déshumanisation de l’humain
L’humain ne risque-t-il pas de perdre son humanité en déconsidérant l’animal, en l’humiliant, en s’amusant de sa misère ? La corrida est encore autorisée dans 10 départements français et bénéficie d’importantes subventions publiques en totale contradiction avec la loi qui punit le fait d’exercer des sévices graves ou actes de cruauté envers un animal domestique, apprivoisé, ou tenu en captivité mais permet cette torture et justifie l’injustifiable sous couvert de l’onction de la tradition. Cette réflexion permet de s’interroger sur le propre de l’Homme et sur les postures philosophiques qui sous-tendent les différents courants, l’humanisme rationaliste, l’utilitarisme et l’abolitionnisme. Depuis la nuit des temps, l’humain a recherché ce “propre de l’homme” qui le distingue de l’animal. Cette césure totale entre l’humanité et l’animalité et ce regroupement entre des animaux radicalement différents les uns des autres ne serait-elle pas un préjugé et non le fruit d’un raisonnement philosophique garant de ce droit ?
Nous sommes colocataires de la Terre au même titre que toutes les autres espèces vivantes de la planète et non propriétaire de la nature et des animaux. Qu’est-ce qui nous autorise à exploiter, à torturer des êtres vivants sensibles ? Nous dégradons la nature et diminuons les espaces qui sont nécessaires à la survie des espèces sauvages. Nous massacrons des populations entières d’animaux, nous détruisons peu à peu leurs territoires, jusqu’à leur rendre la vie impossible. Des scientifiques nous alertent pour arrêter ce massacre qui nous fait courir un grand danger et lie les destins des humains et des animaux vers un sombre déclin.
Comment éviter une catastrophe annoncée sans repenser le lien insécable qui attache le destin de l’humain à celui de l’animal ? L’humain ne peut continuer à se considérer comme l’ennemi des autres animaux, mais au contraire doit vivre en harmonie avec eux pour survivre et ne pas détruire notre milieu de vie. Les destins des humains et des animaux ne devraient plus être unis par des rapports de soumission et d’exploitation mais par des notions de justice et de liberté. Ce changement de perspective induirait inévitablement de reconsidérer notre cohabitation avec les animaux et donc à partager les richesses et les territoires. Protéger les ressources naturelles et les gérer de façon durable pour tous ouvrirait des perspectives plus optimistes de survie harmonieuse.
[1] Libération, décembre 2017, “Expérimentation animale, une controverse scientifique” en réponse à la tribune de 400 scientifiques “Assez de caricatures sur l’expérimentation animale“.
Béatrice Canel-Depitre
Essayiste
Déléguée du Parti animaliste du Nord-Ouest
Correspondante du Parti animaliste de Seine-Maritime