ActualitésAnimaux sauvagesDe la maltraitance des NAC exotiques à la disparition d’animaux indigènes !

Béatrice Canel-Depitre1 décembre 20229 min

A l’heure où l’opinion publique prend conscience de la souffrance animale, le commerce des animaux exotiques pour le marché des animaux de compagnie représente une part grandissante du commerce des animaux sauvages, ils sont présents dans 6,6 % des ménages en France[1]. Ces animaux sont aujourd’hui victimes d’un trafic international maffieux planétaire, le trafic des animaux sauvages est au 3ème rang du trafic international, juste derrière les armes et la drogue. Depuis la loi du 30 novembre 2021, la liste positive mentionne tous les animaux sauvages pouvant être détenus ou commercialisés comme animaux de compagnie et dont le commerce est autorisé. Celle-ci précise les espèces qui peuvent être détenues ; elles ne doivent pas :

  • Présenter un risque sanitaire potentiel ou un danger réel pour les personnes ;

  • Etre en voie de disparition dans leur habitat naturel ;

  • Constituer un risque pour les écosystèmes en cas d’évasion ou de relâché.

Cependant, cette liste positive ne garantit pas le bien-être animal, ni même l’arrêt du trafic d’animaux non-inscrits sur la liste, entretenu par des particuliers peu scrupuleux.

Certains animaux exotiques sont élevés en captivité mais d’innombrables animaux sont prélevés dans la nature avant d’être vendus comme animaux de compagnie. Le braconnage effréné pour le commerce des animaux de compagnie exotiques dévaste les populations animales dans le monde entier. Elle a décimé les populations de tortues radiées de Madagascar, par exemple, et a conduit à la mise en danger des perroquets gris d’Afrique, des oiseaux connus pour leurs impressionnantes capacités vocales. L’union internationale pour la conservation de la nature[2] rapporte que, chaque année, 30 000 primates, 500 000 perroquets, 400 à 500 millions de poissons d’aquarium, 1 000 à 2 000 tonnes de coraux et un nombre inconnu de reptiles et de mammifères franchissent illégalement les frontières internationales pour intégrer le marché des NAC. De nombreux animaux souffrent pendant la capture et le transport – et même s’ils finissent vivants à leur destination finale, ils sont souvent en détresse – incapables de manger, de se déplacer et de se comporter comme ils le feraient dans la nature. D’après le Service de la faune et des pêcheries des Etats Unis, 50% à 90% des animaux exotiques, selon l’espèce et la valeur marchande, meurent entre la capture et la distribution. De 2% à 16% seulement des survivants atteignent l’âge de 2 ans. Le commerce et la détention d’animaux sauvages de compagnie vont de pair avec une banalisation de la souffrance animale et un taux de mortalité élevé.

Les magistrats sont de plus en plus sensibilisés à ces questions et un particulier coupable de trafic d’espèce sauvage risque jusqu’à 150 000 euros d’amende et 3 ans de prison, et une bande organisée, jusqu’à 750 000 euros et 7 ans de prison. Mais, les lieux d’accueil existants sont souvent saturés ; les animaux sont donc souvent laissés aux propriétaires qui font les démarches pour régulariser leur possession. Et parfois les animaux saisis sont euthanasiés, c’est l’animal qui paie le prix fort des inconséquences d’une action humaine. Les particuliers se sachant dans l’illégalité ne pourront plus solliciter les services d’un vétérinaire en cas de maladie de leur animal par peur d’être saisis et recevoir de lourdes amendes. Ces NAC vivent toute leur vie dans des conditions déplorables, provoquant mal-être et nombreuses pathologies inhérentes à cet environnement physique et psychologique inadéquat.

Dans ces conditions, qui sont les propriétaires de NAC ?

Les NAC exotiques attirent l’attention, valorisent leur propriétaire en lui renvoyant une image d’être supérieur, tout-puissant et indispensable. Parmi les propriétaires, on peut trouver, par exemple, ceux qui exhibent leur animal sur Snapchat[3] ou qui les utilisent pour la réalisation d’un clip de rap. Leur grande diversité est un élément non-négligeable pour renforcer les fonctions narcissiques et ostentatoires des propriétaires, il y en a pour tous les goûts ! Chacun peut, en effet, trouver l’animal le mieux adapté à l’image qu’il veut recevoir et donner de lui. Ce compagnon “potiche-miroir”, mis en scène a beaucoup de mal à s’adapter à un milieu de vie qui n’a rien à voir avec les espaces naturels d’où il a souvent été arraché.  Ces animaux ne sont adoptés que pour leur intérêt ornemental qu’ils jouent dans des conditions affligeantes, il ne se noue presque aucune relation entre l’humain et l’animal.

Au-delà des phénomènes de mode, les propriétaires peuvent être rapidement dépassés par leur acquisition. Certains NAC sont dangereux pour l’homme, avec des risques de morsures venimeuses par les araignées et les serpents et de griffures par les crocodiles qui peuvent causer également de graves blessures, sans compter les risques de transmission de pathogènes auxquels notre système immunitaire ou celui de la faune locale n’est pas préparé. L’écureuil de Corée introduit fin XXème siècle via des animaleries, s’est implanté en Europe et pourrait être vecteur de la maladie de Lyme, sa détention est désormais interdite en Europe depuis 2016.

Ces NAC subissent une maltraitance quotidienne liée à l’ignorance de leurs propriétaires. Des oiseaux exotiques passent ainsi toute leur vie dans des cages minuscules, sous des climats qui ne leur conviennent absolument pas ; des poissons exotiques tournent en rond dans un bocal de taille ridicule. Les reptiles sont considérés comme les NAC les plus maltraités dans leur détention, certains les achètent sans posséder de terrarium, indispensable pour recréer à minima le biotope qui leur est nécessaire. La reconstitution du milieu naturel d’un NAC, permettant de satisfaire ses besoins physiologiques et comportementaux, s’avère impossible pour les animaux nécessitant de grands espaces, un hivernage, une vie nocturne, de l’eau de mer, une température, une hygrométrie ou une qualité de lumière données. Maintenir en captivité des animaux exotiques dans de bonnes conditions demande à la fois des installations adaptées, une connaissance approfondie de l’animal – de son comportement et des caractéristiques de son environnement naturel – mais aussi un investissement important en temps.

Assurer une alimentation adaptée à des animaux non domestiques, peut être particulièrement difficile et onéreux. Or, les NAC sont, de l’avis des praticiens spécialistes, des animaux dont la santé dépend en grande partie de leur environnement. De ce fait, plus ils seront “exotiques”, plus il sera difficile de leur offrir des conditions de vie décentes, d’où la difficulté par exemple de détenir des reptiles ou des perroquets en bonne santé. En juillet 2022, on a découvert, suite à une séparation, deux crocodiles détenus dans une cave en obscurité depuis plus de 20 ans en toute légalité ; le conjoint ayant quitté le domicile était le seul à détenir le certificat de capacité. Cette détention était légale mais est-elle légitime ? Où est le respect de la dignité de l’animal ?

Cette maltraitance des NAC découle également de la mauvaise qualité des conseils reçus parfois des professionnels, notamment dans les animaleries. En effet, le capacitaire de l’espèce doit être le gérant de l’animalerie qui n’est cependant que rarement le vendeur. Les informations données par certains vendeurs sont parfois insuffisantes et même erronées. Par exemple, des chiens de prairie sont vendus seuls alors qu’ils sont sociaux et vivent en colonie, ce qui entraine des troubles du comportement tels des démangeaisons et de l’agressivité. Le perroquet gris du Gabon est une des espèces de perroquets les plus populaires chez les particuliers, or cet animal vit dans des groupes pouvant atteindre plus de 10 000 individus. L’impossibilité pour ces animaux d’exprimer un répertoire comportemental de base génère une intense souffrance psychique. En captivité, seuls dans une cage, nourris au bol, les privations sensorielles et émotionnelles liées à un environnement pauvre en stimulations sont à l’origine de dérèglements métaboliques, mais aussi de comportements agressifs, de vocalisations excessives, de développement de stéréotypies ou encore de comportements d’automutilation.

A cela s’ajoute la difficulté des soins, les vétérinaires des zones urbaines sont principalement formés et équipés pour les chats et les chiens, ils se retrouvent avec un animal malade dont ils ne connaissent rien. L’introduction dans le cursus des écoles vétérinaires d’heures d’enseignement sur les NAC est récent.

On découvre parfois que le comportement de l’animal, acheté sous le coup d’une impulsion, ne correspond pas à ce qui est compatible avec notre vie. De ce fait, certains NAC sont relégués dans un coin car trop bruyants ou trop salissants. On découvre que le perroquet fait du bruit et s’agite, surtout privé de sa liberté ; il est rapidement déménagé vers un recoin isolé de l’habitat. Ces animaux dont on ne s’occupe que pour leur donner à manger et à boire, deviennent de plus en plus sauvageons, agressifs par manque d’interactions, voire neurasthéniques.

Enfin, une fois le charme passé et la curiosité assouvie, leurs contraintes et leurs nuisances apparaissent vite insupportables. On s’en débarrasse, on les abandonne mais ces animaux sont des êtres vivants, pour certains des prédateurs, dont l’errance incontrôlée peut, directement ou indirectement se révéler dangereuse. Les NAC lâchés dans la nature peuvent former des populations vivant partiellement ou totalement à l’état sauvage, c’est ce que l’on appelle le marronnage. Ils peuvent parfois appartenir à des espèces susceptibles de devenir invasives et peuvent dans ce cas nuire aux espèces locales.

On estime à 500 000 le nombre de tortues relâchées dans les égouts, mares et ruisseaux, où elles ont concurrencé les espèces locales et détruit les écosystèmes. C’est le cas par exemple de la tortue de Floride qui a été importée massivement en Europe par les animaleries à la fin du XXème siècle. Elle a été relâchée en grand nombre dans la nature, par des propriétaires incapables de s’occuper de leur petite tortue devenue grande. Elle a réussi à s’acclimater et elle est devenue invasive en France où elle prend peu à peu la place de la tortue indigène, la Cistude.

Les perruches à collier, relâchées par des particuliers ont envahi certaines villes telle Londres avec environ 50 000 perruches, Bruxelles avec 8 000 et Paris où on en décompte plus de 1 000 ; elles occupent les habitats de certaines espèces indigènes et chassent l’écureuil roux ou l’étourneau. Ainsi, la mondialisation favorise la survenue d’animaux envahissants, dans des milieux où ils ne vivaient pas, entraîne la disparition d’animaux locaux.

Ce qui est en jeu dans la maltraitance animale, c’est tout notre modèle de développement qui engendre la destruction de l’environnement et de l’habitat des animaux, la surconsommation et le gaspillage, et naturellement la souffrance des animaux. Ce modèle nous mène à notre perte et chacun doit agir à son niveau pour revenir à un modèle plus éthique, de partage des ressources et des territoires avec les autres animaux, un modèle plus durable qui fasse passer le bien-être de tous les êtres sensibles avant les intérêts de quelques-uns.


[1] La possession d’animaux de compagnie en France : une évolution sur plus de vingt ans expliquée par la sociologie de la consommation, Nicolas HerpinDaniel Verger Dans L’Année sociologique 2016/2 (Vol. 66), pages 421 à 466

[2] UICN

[3] Exemple du lionceau King sauvé en 2017


Béatrice Canel-Depitre
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Essayiste
Déléguée du Parti animaliste du Nord-Ouest
Correspondante du Parti animaliste de Seine-Maritime

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