Numéro 2Droit animalierDémocratie participative : un levier d’action pour la condition animale ?

Hugo Marro-Menotti15 janvier 20217 min

Face à l’absence d’avancées législatives et d’annonces gouvernementales fortes en matière de bien-être animal en France, la société civile s’empare de mécanismes de démocratie participative existant aussi bien à l’échelle nationale qu’européenne.

Au regard de nombreux sondages[1], pétitions et autres manifestations citoyennes[2], la nécessité d’une meilleure prise en compte du bien-être animal semble s’affirmer au sein de la population française. L’émergence de la question animale comme enjeu sociétal tarde cependant à se traduire par des avancées politiques concrètes, comme en témoigne l’accueil réservé aux récentes propositions de loi en la matière[3].  Face à cette dichotomie entre préoccupation des Français et immobilisme d’une partie de la classe politique, les associations et citoyens sensibilisés à la condition animale innovent en se saisissant des outils juridiques à leur disposition.

I. L’utilisation du référendum d’initiative partagée (RIP) en droit français

Introduit par révision constitutionnelle en 2008[4] et entré en vigueur en 2015[5], le RIP permet au peuple français de s’exprimer sur une proposition de loi ”à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement” [6] si celle-ci est soutenue par un dixième du corps électoral dans un délai de neuf mois. Limitée à un nombre défini de sujets, dont la politique économique, sociale ou environnementale de la nation, la proposition de loi ne peut concerner l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an, porter sur le même sujet qu’une proposition de loi soumise au référendum durant les deux années précédentes et ne doit ni être contraire à la Constitution, ni avoir fait l’objet d’un examen par le Parlement dans les six mois suivants la collecte des signatures[7].

C’est par le biais du RIP qu’un collectif constitué de trois entrepreneurs, d’une cinquantaine d’associations et de personnalités publiques a rendu public en juillet 2020 sa ”proposition de référendum d’initiative partagée sur le bien-être animal”. Porté notamment par le journaliste Hugo Clément, la proposition fait état de six mesures pragmatiques et plébiscitées par le grand public, sondages à l’appui. Il est ainsi prévu d’interdire (i) l’élevage en cage et (ii) les élevages de fourrures à l’horizon 2025, (iii) l’élevage en bâtiment fermé sans accès à l’extérieur d’ici 2040, (iv) la chasse à courre, le déterrage et la chasse à la glu, (v) les spectacles avec animaux sauvages et (vi) l’expérimentation animale en présence d’alternatives.

Déjà soutenue par 146 parlementaires sur les 185 nécessaires et par près de 900 000 personnes, cette proposition doit faire face à plusieurs obstacles. Propres au RIP en soi d’une part, ce type de référendum n’ayant jamais été mis en œuvre et étant décrit par le Conseil constitutionnel, comme dissuasif et peu lisible[8];  liés à certains groupes de pression d’autre part, qui s’évertuent à freiner la dynamique d’adhésion des députés et sénateurs à l’organisation du RIP[9].

Si l’issue de la proposition de ce RIP reste incertaine quant à ses conditions de recevabilité, d’autres formes de démocratie directe peuvent être actionnées, telles que les initiatives citoyennes européennes (ci-après ICE), et avoir des répercussions sur le droit animalier français.

II. Le recours aux initiatives citoyennes européennes (ICE) en droit de l’Union européenne

Créée en 2010 comme un outil pouvant réduire le sentiment de déficit démocratique reproché par certains à l’Union européenne (ci-après Union ou UE), l’ICE permet à un million de citoyens provenant d’au moins un quart des États membres de l’Union d’enjoindre la Commission européenne, dans le cadre de ses attributions, à ”soumettre une proposition appropriée sur des questions pour lesquelles ces citoyens considèrent qu’un acte juridique de l’Union est nécessaire[10].

Conformément à l’article 24 du TFUE[11], les modalités d’application de l’ICE sont définies par voie de règlement[12] et suivent une procédure lourde. Après (i) formation d’un comité de citoyens à l’origine de l’ICE, ce dernier (ii) doit s’enregistrer auprès de la Commission européenne qui statue sous deux mois quant à sa recevabilité. Une fois (iii) le seuil du million de citoyens européens franchi au terme de la date butoir de douze mois, l’ICE doit ensuite passer le filtre de vérifications (iv) des autorités locales et (v) de la Commission européenne. Cette dernière a alors six mois pour se prononcer sur les suites à donner à l’ICE en question[13].

Conscientes de l’importance du droit dérivé de l’Union sur les législations nationales, de nombreuses organisations de la société civile ont tenté de s’engouffrer dans cette brèche participative (nb: l’ICE doit cependant être portée par des citoyens). C’est notamment le cas d’associations européennes et françaises qui luttent pour la préservation des abeilles[14] ou demandent la fin de l’expérimentation animale[15], du commerce d’ailerons de requins[16] ou encore de l’élevage en cage[17]. L’interdiction de l’élevage en cage fait donc, par exemple, l’objet de campagnes aussi bien en France, via le RIP, qu’au sein de l’UE, via l’ICE, démontrant l’importance d’une coordination à ces deux échelles.

A l’instar du RIP, l’ICE fait état de limitations importantes. Outre sa procédure très complexe[18], elle ne possède pas de caractère contraignant quant aux types de mesures que la Commission européenne se doit d’apporter lorsque l’ICE aboutit.

Conclusion: Des outils juridiques à visée politique

Alors que la condition animale peine à émerger dans les débats politiques, ces mécanismes de démocratie participative, aussi imparfaits soient-ils, permettent de contourner une chape de plomb qui tarde à se lever. S’il n’est pas garanti qu’ils se traduisent par des mesures législatives, ils n’en représentent pas moins un outil actuellement central de la politisation de la condition animale.

Si les initiatives présentées vous intéressent, il est possible de signer :
Le référendum pour les animaux
L’ICE Sauvons les abeilles et les agriculteurs
L’ICE Stop à la pêche aux ailerons – Stop au commerce


[1] Voir, notamment: IFOP, Les français et la condition animale, août 2020 ; IFOP, Les Français soutiennent les animaux, juillet 2020 ; IFOP, La sensibilité des Français à la cause animale à la veille de la séquence électorale, janvier 2019 ; Commission européenne, Attitudes of Europeans towards Animal Welfare, Eurobaromètre n. 442, mars 2016.

[2] Voir par exemple : ESPINOSA R., Vingt mesures pour les animaux, Sciences Po Paris, CNRS, CREM.

[3] Voir: VILLANI C., Proposition de loi n. 3293, Assemblée Nationale, 25 août 2020 ; ROMEIRO DIAS L., Propositions de lois n. 3160 et 3161, Assemblée Nationale, 30 juin et 14 décembre 2020 ; DOMBREVAL L., Proposition de loi n. 3265, Assemblée Nationale, 28 juillet 2020.

[4] République Française, Loi constitutionnelle n. 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République.

[5] République Française, Lois organiques n. 2013-1114 et 2013-1116 du 6 décembre 2013.

[6] Constitution Française, Article 11 alinéa 3.

[7] Ivi, Article 11 alinéas 1, 3, 5 et 6 ; Article 61.

[8] Conseil constitutionnel, Décision n° 2019-1-9 RIP du 18 juin 2020, p. 14.

[9] Voir notamment : Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), Convaincre nos parlementaires de ne pas signer le RIP pour les animaux, Communiqué de presse, 26 août 2020 ; Journal du dimanche, Willy Schraen, président de la Fédération nationale des chasseurs : “Cette écologie ressemble à l’Inquisition”, 15 août 2020.

[10] Traité sur l’Union européenne,  Journal Officiel C 326, 26 octobre 012, p. 13-390, Article 11 alinéa 4.

[11] Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Journal Officiel C 326, 26 octobre 2012, p. 47–390.

[12] Conseil et Parlement européen, Règlement (UE) n. 2019/788 du 17 avril 2019 relatif à l’initiative citoyenne européenne, Journal Officiel L 130, 17 mai 2019, p. 55-81. Pour le règlement en vigueur applicable avant le 1er janvier 2020, voir: Conseil et Parlement européen, Règlement (UE) n. 2011/211 du 16 janvier 2011 relatif à l’initiative citoyenne européenne, Journal Officiel L 65, 11 mars 2011, p. 1-22.

[13] Pour une description détaillée des modalités de fonctionnement de l’ICE, voir: Parlement européen, L’initiative citoyenne européenne, Fiches thématiques sur l’Union européenne, consulté le 5 janvier 2021.

[14] ICE, “Sauvons les abeilles et les agriculteurs” actuellement en cours et soutenue notamment par Greenpeace France ou Les Amis de la Terre.

[15] ICE “Stop vivisection” en 2015.

[16] ICE “Stop Finning – Stop the trade” actuellement en cours et soutenue notamment par l’association Sea Shepherd France.

[17] ICE “End the cage age” actuellement en cours et soutenue notamment par l’association CIWF France.

[18] Depuis la création de ce mécanisme, seules six ICE sont arrivées au terme du processus décrit précédemment. La Commission européenne s’est pour l’instant prononcée pour quatre d’entre elles et n’a jamais fait le choix de présenter des propositions législatives en réaction aux ICE étudiées.

Hugo Marro-Menotti
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Juriste spécialisé en droits de l'homme et droit animalier.

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