ActualitésDroit animalierL’animal face aux violences conjugales : quelles perspectives juridiques ?

N'nan Tessougue29 janvier 202412 min

« Dieu créa l’Homme »[1] et l’Homme créa à son tour, l’animal de compagnie. Il n’a certes pas le statut d’être humain doté d’une personnalité juridique mais, cet animal de compagnie a su nouer des relations avec l’Homme au fil des années.

Au XVIIe siècle, l’animal de compagnie désignait tout animal servant à la distraction contrairement à l’animal domestique qui renvoyait à tout animal, vivant dans la maison et son voisinage[2]. Aujourd’hui, l’article L214-6 du Code rural et de la pêche maritime définit l’animal de compagnie comme « tout animal détenu ou destiné à être détenu par l’homme pour son agrément ». Et l’article 1er de l’arrêté du 11 août 2006 sont ceux « appartenant à des populations animales sélectionnées (…) »[3].

Selon le Professeur Jacqueline Studer, Conservatrice au musée d’histoire naturelle de la ville de Genève, la domestication du chien ne fut point volontaire[4]. Donc, l’intérêt de l’animal pour l’Homme découlerait des attributs[5] de l’animal dans certains domaines tels que la chasse[6] ou l’agriculture[7].

A l’inverse, les animaux considérés comme inutiles dans ces domaines occupaient une place affective dans les ménages[8]. C’est ainsi qu’en France, émerge le concept de l’animal de compagnie[9]. L’abbé Senault désapprouvait la proximité Homme-Animal[10].  

Au déplaisir de l’Abbé Senault, certains personnages notamment la Princesse Palatine[11] croyait fortement en la sensibilité de l’animal[12] et s’opposait d’ailleurs, au concept de l’animal machine[13]. Ce regard familier accordé à l’animal a été pérennisé. En effet, selon une étude réalisée par FACCO[14] en 2022, 50% des foyers en France possèdent un animal familier[15]. Et une étude réalisée par IPSOS démontre que 68% des Français considèrent leur animal de compagnie comme un membre de la famille[16].

Les animaux de compagnie font inéluctablement partie de la vie de famille de sorte qu’ils sont concernés par les faits qui y surviennent et peuvent être considérés comme des victimes certes non humaines, mais des victimes de violence conjugale[17].

Dans une interview, Annick BRAZEAU, Présidente du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale et Directrice de la maison d’aide et d’hébergement pour elles des Deux-Vallées en Outaouis au Québec au Canada, établit un lien entre les violences animales et les violences intra-familiales. Elle aborde ainsi l’instrumentalisation de l’animal par le partenaire violent. C’est l’hypothèse selon laquelle, l’auteur des violences va « frapper l’animal et le tuer et dire à sa victime : ‘’la prochaine fois, ça va être toi’’ (…) »[18]. En conséquence, la violence physique causée à l’animal constitue un trouble psychologique chez la personne victime ainsi que le rapporte le Sénateur Arnaud BAZIN[19].

Dans le cadre des violences conjugales entre personnes, l’ordonnance de protection permet de protéger les victimes. De ce fait, traiter l’animal à l’aune des violences conjugales renvoie à s’interroger sur le champ d’application de l’ordonnance de protection qui semble se limiter aux seules personnes, excluant ainsi l’animal (I). Les amendements proposés par le Sénateur Arnaud BAZIN ont tenté d’y remédier vainement (II).

Pour rappel, la loi n°2010-769 du 9 juillet 2010 modifiée par la loi n°2019-1480 du 28 décembre 2019 a permis d’instituer l’ordonnance de protection délivrée par le juge aux affaires familiales afin d’octroyer aux personnes victimes de violence conjugale, une protection judiciaire[20]. Elle peut être délivrée dans les six jours sous réserve que soient vraisemblables les faits de violence et le danger encouru par la victime[21]. Dans ces conditions, le juge aux affaires familiales pourra prononcer des mesures d’éloignement, le port d’un dispositif électronique mobile antirapprochement[22].  

Malgré l’apport de ces dispositions, elles n’incluent nullement l’animal dont le sort n’est aucunement saisi par le législateur en matière de violence conjugale. Et pourtant, une étude réalisée par la Professeure Amy FITZGERALD[23] a relevé que les victimes de violence conjugale tardaient à « échapper à la violence en raison de leurs animaux »[24] qu’elles ne peuvent emmener[25].

Outre la loi n°2021-1539 du 30 novembre 2021 modifiant l’article 226-14 du Code pénal, aucune mesure similaire à l’ordonnance de protection, ne permet de protéger les animaux victimes de violence conjugale.

En France, le Sénateur Arnaud BAZIN avait proposé des amendements tendant à modifier l’article 515-11 du Code Civil à travers l’ajout des animaux de compagnie[26]. Lors des débats, l’amendement n° 10 porté par le Sénateur avait pour objectif d’étendre la « compétence du juge au sort de l’animal de compagnie du foyer afin que les victimes ne se sentent pas contraintes de rester en raison des menaces ou des violences pouvant s’exercer à l’encontre de leur animal, instrument de manipulation et de chantage. Le juge se prononcera alors sur l’attribution de la garde de l’animal indépendamment de la propriété»[27].

Ces amendements n’ayant pas été votés, l’article 515-11 du Code Civil pour l’heure, reste applicable uniquement aux personnes humaines.

Octroyer au juge des affaires familiales, le pouvoir de prononcer des mesures d’éloignement en vue de la protection de l’animal victime de violence conjugale, ce n’est aucunement érigé l’animal au rang de personne humaine comme pouvait le croire l’hémicycle[28]. C’est au contraire accorder un sens véritable à la sensibilité de l’animal prévue à l’article 515-14 du Code Civil et lui reconnaître par ricochet, le statut de victime face aux violences conjugales constatées au sein de sa famille.

  • Arrêté du 11 août 2006 fixant la liste des pièces, races ou variétés d’animaux domestiques prévoit que les animaux domestiques.
  • A. BAZIN « Projet de loi Orientation et programmation du ministère de l’intérieur n°1 », Amendement n°10 octobre 2022 senat.fr/amendements/2022-2023
  • Session ordinaire Sénat de 2022-2023 « Débats du 13 octobre 2022 sur l’amendement n°10 », n°49S  senat.fr/seances/s202210
  • AlbertaSPCA « The Cruelty Connection: The Relationships Between Animal Cruelty, Child Abuse and Domestic Violence », August 2013.
  • M. CHATENET, « La Cour de France au XVIème siècle. Vie sociale et architecture » Paris, Picard, De architectura 2002, page 26.

·         C. DELATTRE « Quelle place pour l’animal de compagnie au XVIIᵉ siècle ? » The conversation, 20 septembre 2021.

  • R. DESCARTES, Discours de la méthode partie V, page 1637.
  • A-M FLAMBARD-HERICHER, F. BLARY (dir) C « L’animal et l’homme : de l’exploitation à la sauvegarde », CTHS, page 20.
  • J. MICHALON « Qu’est-il donc arrivé aux chiens ? réflexions sur la condition Canine contemporaine », HAL, 12 novembre 2020. Page 7. shs.hal.science
  • N. MILOVANOVIC, « La princesse Palatine protectrice des animaux, collection les métiers de Versailles », édition Perrin 2012.
  • H. NUNES, Les races de chiens dans la littérature vétérinaire française du XVIIIème siècle (Thèse), Doctorat vétérinaire faculté de Créteil, 2005 page 20.
  • H. NUNES, Les races de chiens dans la littérature vétérinaire française du XVIIIème siècle (Thèse), Doctorat vétérinaire faculté de Créteil, 2005 page 69.
  • Ontario Association of Interval et transition Houses (OAITH) « Femmes et sécurité des animaux familiers, des solutions pour les femmes ayant des animaux domestiques et qui quittent leur conjoint violent », Mars 2018 oaith.ca/assets/library
  • J-F SENAULT (1599-1672) « De l’usage des passions » Gallica BNF page 263-264 gallica.bnf.fr/ark
  • Université de Genève, Campus n°135 « la domestication, quand l’Homme s’empare de la nature », unige.ch/campus

·         A. BRAZEAU Directrice Générale de la maison d’hébergement pour Elles des Deux Vallées « Les animaux de compagnie, victimes collatérales de la violence conjugale », Interview Radio-Canada, 18 février 2023.

·         FACCO « Les chiffres de la population animale en France, un foyer sur deux possède au moins un animal de compagnie ! », Enquête 2022.

 ·         Sondage IPSOS « 68% des Français considèrent leur animal de compagnie comme un membre de leur famille », Enquête du 25 au 27 mai 2023.


[1] Genèse 1 : 27-30

[2] C. DELATTRE « Quelle place pour l’animal de compagnie au XVIIᵉ siècle ? » The conversation, 20 septembre 2021.

[3] Arrêté du 11 août 2006 fixant la liste des pièces, races ou variétés d’animaux domestiques prévoit que les animaux domestiques.

[4] Université de Genève, Campus n°135 « la domestication, quand l’Homme s’empare de la nature », unige.ch/campus.

[5] M. CHATENET, « La Cour de France au XVIème siècle. Vie sociale et architecture » Paris, Picard, De architectura 2002, page 26.

[6] H. NUNES, Les races de chiens dans la littérature vétérinaire française du XVIIIème siècle (Thèse), Doctorat vétérinaire faculté de Créteil, 2005 page 20.

[7]  A-M FLAMBARD-HERICHER, F. BLARY (dir) C « L’animal et l’homme : de l’exploitation à la sauvegarde », CTHS, page 20.

[8] H. NUNES, Les races de chiens dans la littérature vétérinaire française du XVIIIème siècle (Thèse), Doctorat vétérinaire faculté de Créteil, 2005 page 69.

[9] J. MICHALON « Qu’est-il donc arrivé aux chiens ? réflexions sur la condition Canine contemporaine », HAL, 12 novembre 2020. Page 7. shs.hal.science

[10] J-F SENAULT (1599-1672) « De l’usage des passions » Gallica BNF page 263-264 gallica.bnf.fr

[11] La princesse Palatine, de son vrai nom Elisabeth-Charlotte de Bavière.

[12] N. MILOVANOVIC, « La princesse Palatine protectrice des animaux, collection les métiers de Versailles », édition Perrin 2012.

[13] R. DESCARTES, Discours de la méthode partie V, page 1637.

[14] Chambre Syndicale des Fabricants d’Aliments pour Chiens, Chats, Oiseaux et autres animaux familiers (FACCO).

[15] FACCO « Les chiffres de la population animale en France, un foyer sur deux possède au moins un animal de compagnie ! », Enquête 2022.

[16] Sondage IPSOS « 68% des Français considèrent leur animal de compagnie comme un membre de leur famille », Enquête du 25 au 27 mai 2023.

[17] Définition commune des violences conjugales adoptée en 2006 par les ministres fédéraux, communautaires et régionaux de Belgique : « les violences dans les relations intimes sont un ensemble de comportements, d’actes, d’attitudes de l’un des partenaires ou ex-partenaires qui visent à contrôler et dominer l’autre. Elles comprennent les agressions, les menaces ou les contraintes verbales, physiques, sexuelles, économiques, répétées ou amenées à se répéter portant atteinte à l’intégrité de l’autre et même à son intégration socioprofessionnelle. Ces violences affectent non seulement la victime, mais également les autres membres de la famille, parmi lesquels les enfants. Elles constituent une forme de violence intrafamiliale. Il apparaît que dans la grande majorité, les auteurs de ces violences sont des hommes et les victimes, des femmes. Les violences dans les relations intimes sont la manifestation, dans la sphère privée, des relations de pouvoir inégal entre les femmes et les hommes encore à l’œuvre dans notre société ».

[18] A. BRAZEAU Directrice Générale de la maison d’hébergement pour Elles des Deux Vallées « Les animaux de compagnie, victimes collatérales de la violence conjugale », Interview Radio-Canada, 18 février 2023.

[19] Session ordinaire Sénat de 2022-2023 « Débats du 13 octobre 2022 sur l’amendement n°10 », n°49S  senat.fr/seances/s202210

[20] Article 515-9 du Code Civil.

[21] Article 515-11 du Code Civil.

[22] Article 515-11-1 du Code Civil.

[23] Professeure de Criminologie et de sociologie à l’université de Windsor.

[24] AlbertaSPCA « The Cruelty Connection: The Relationships Between Animal Cruelty, Child Abuse and Domestic Violence », August 2013.

[25] Ontario Association of Interval et transition Houses (OAITH) « Femmes et sécurité des animaux familiers, des solutions pour les femmes ayant des animaux domestiques et qui quittent leur conjoint violent », Mars 2018 oaith.ca/assets.

[26] « 1° À la première phrase du premier alinéa, les mots : « ou un ou plusieurs enfants » sont remplacés par les mots : « un ou plusieurs enfants ou les animaux de compagnie détenus au sein du foyer » ; 
2° Après le 3°, il est inséré un 3° bis ainsi rédigé :
« 3° bis Statuer sur le sort des animaux de compagnie détenus au sein du foyer ».

[27] A. BAZIN « Projet de loi Orientation et programmation du ministère de l’intérieur n°1 », Amendement n°10 octobre 2022 senat.fr/amendements/2022-2023

[28] senat.fr/seances/s202210


N'nan Tessougue
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Audiencière en droit de la sécurité sociale.
Diplômée d'un Master 2 Droit de la Santé et des Biotechnologies, Paris Saclay

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