Le 8 juillet 2021, plusieurs associations, rejointes par le parti animaliste, ont organisé une manifestation tendant à attirer l’attention sur la nécessité de mettre à l’ordre du jour du Sénat la proposition de loi dite « PPL Animaux » adoptée en première lecture par l’Assemblée Nationale le 29 janvier précédent. Concomitamment, une pétition a été créée dans le même but sur le site internet du Sénat le 27 mai 2021.
Plus précisément, ce projet de loi vise, comme son nom l’indique, « à renforcer la lutte contre la maltraitance animale ». Ce titre n’est pas sans rappeler un projet personnel que j’ai eu l’occasion de rédiger en 2018 lors de la préparation du Diplôme Universitaire créé par le professeur Jean-Pierre Marguénaud et l’enseignante en droit privé Lucille Boisseau-Sowinski. Il s’agissait plus particulièrement d’un mémoire intitulé « proposition de réforme visant à renforcer la réponse pénale contre la maltraitance sur les animaux » et ayant pour objet de créer un « stage de sensibilisation au respect de l’animal » en tant que peine complémentaire mais également au stade des mesures alternatives aux poursuites.
Postérieurement à la rédaction et à la présentation de ce projet personnel, ce dernier a été soutenu directement à l’Assemblée Nationale dans le cadre d’un amendement cosigné par plusieurs députés et déposé lors des discussions sur le projet de loi de programmation 2019-2022 et de réforme pour la justice [1]. Quelques voix ont malheureusement manqué afin que cet amendement soit adopté [2].
Mais très récemment, le projet de création de stage a de nouveau été discuté au sein de l’hémicycle, cette fois-ci lors de la présentation de la « PPL Animaux » susvisée. Cette proposition de loi, dans sa version adoptée en première lecture par l’Assemblée Nationale, comporte en effet un chapitre II intitulé « renforcement des sanctions dans la lutte contre la maltraitance à l’encontre des animaux domestiques » dont l’article 9 vise à compléter le Code pénal [3] par la création d’un « stage de sensibilisation à la prévention et à la lutte contre la maltraitance animale ».
Les faits de maltraitance animale sont sanctionnés par les peines principales que sont l’emprisonnement pour les délits [4] d’une part et l’amende pour les délits et contraventions [5] d’autre part. Des peines complémentaires sont également prévues par les textes répressifs, notamment deux peines qui permettent plus particulièrement de limiter les risques de récidive de maltraitance à l’égard des animaux : il s’agit tout d’abord de la confiscation « d’un animal ou d’une catégorie d’animal », sanction qui concerne non seulement « l’animal qui a été utilisé pour commettre ou tenter de commettre l’infraction ou à l’encontre duquel l’infraction a été commise » mais également « les animaux dont le condamné est propriétaire ou dont il a la libre disposition, si ces animaux étaient susceptibles d’être utilisés pour commettre l’infraction ou si l’infraction aurait pu être commise à leur encontre » [6]. En outre et surtout, le délinquant peut être condamné à une interdiction de détenir un animal. Mais si le Code pénal réprime par « deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende la violation, par le condamné, des obligations ou interdictions résultant des peines (…) d’interdiction de détenir un animal » [7], la sanction d’interdiction de détention est confrontée à une difficulté tenant à l’absence de tout contrôle de son respect, outre le fait qu’elle peut n’être que temporaire ou ne concerner qu’une catégorie d’animaux. Si afin d’y pallier les idées de mise en place d’un permis de détention d’un animal et d’une base de données afférente sont pertinentes, elles seraient toutefois confrontées à une importante lacune tenant à l ’absence d’accompagnement pédagogique du délinquant qui pourra en effet, le cas échéant, de nouveau acquérir un animal à l’issue d’une interdiction temporaire de détention ou simplement croiser sur son chemin d’autres animaux quand bien même il ne les détiendrait pas …
Il apparait donc indispensable qu’une réponse pénale éducative soit créée afin, a minima, de limiter au maximum les risques de récidive. Il est en effet inacceptable qu’aucune peine éducative ne soit proposée à ce jour par les textes qui répriment la maltraitance animale nonobstant la spécificité de ces infractions constituées d’atteintes à des « êtres vivants doués de sensibilité » [8]. L’intérêt de telles peines est pourtant de limiter de manière significative les risques de récidive au sens large du terme en apportant une réponse pédagogique à l’auteur d’infractions, important apport des prises en charge collectives. Elles permettent au délinquant d’échanger sur la gravité et les conséquences de son comportement sur son environnement et à son encontre, et de prendre conscience de son rôle au sein de la collectivité. Cet apport qui n’est pas limité à un contact avec les acteurs judiciaires est primordial en ce qu’il génère une transmission d’enseignement strictement adapté à l’intéressé [9].
La création d’un stage de sensibilisation au respect de l’animal, ou encore d’un « stage de sensibilisation à la prévention et à la lutte contre la maltraitance animale » pour reprendre la dénomination donnée dans le cadre de la « PPL Animaux », est plus généralement conforme tant à l’objectif des mesures alternatives aux poursuites qu’à celui des condamnations pénales. Le Code pénal dispose notamment qu’ « afin d’assurer la protection de la société, de prévenir la commission de nouvelles infractions et de restaurer l’équilibre social, dans le respect des intérêts de la victime, la peine a pour fonctions » bien évidemment « de sanctionner l’auteur de l’infraction » mais également « de favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion » [10]. La réponse pénale doit ainsi être répressive, réparatrice, dissuasive mais également éducative afin de réinsérer l’intéressé et limiter les risques de récidive. Le projet de création du stage susvisé a donc pour objectif de pallier la carence actuelle des textes répressifs qui n’apportent pas de réponse pénale éducative à l’encontre de la maltraitance sur les animaux.
Le stage n’engendrera bien évidemment pas systématiquement la nécessité de mettre la personne condamnée au contact avec des animaux comme cela peut légitimement être craint. L’approche éducative doit avant tout permettre de rappeler les devoirs de tous vis-à-vis des animaux, les conséquences de nos actes à leur égard et les sanctions afférentes, les besoins des animaux et leurs aptitudes quelquefois, voire souvent, si proches des nôtres, les bienfaits pour tous de vivre en harmonie en respectant tout être vivant, le lien [11] existant entre la maltraitance sur les animaux et la violence à l’égard des humains, etc. Il a également été démontré à plusieurs reprises, tel que dans le cadre de la réinsertion sociale de détenus, les apports bénéfiques d’un apprentissage avec l’animal. Il s’agit, au lieu de se limiter à une interdiction d’approcher les animaux afin de les prémunir de toute atteinte, d’éduquer l’intéressé, en présence d’un animal, afin qu’il modifie son approche et constate l’interaction très bénéfique et réciproque qui est alors créée avec lui. La médiation animale a déjà démontré qu’elle permettait de diminuer de manière significative les taux de suicide et de dépression de détenus, mais également et surtout leur agressivité et leur violence, bénéfices qui sont indispensables afin de diminuer significativement les risques de récidive de maltraitance.
Il reste désormais à espérer que le projet de création d’un tel stage aboutisse par une adoption au Sénat dans un délai raisonnable… projet qui permet d’ailleurs de mettre plus généralement en lumière l’intérêt de l’éducation non seulement au stade des peines prononcées à l’égard des délinquants mais également et plus généralement à tous stades de la vie personnelle [12] et professionnelle afin de développer la protection à l’égard de tous les animaux. En effet, le Diplôme Universitaire en droit animalier, créé en France par le professeur Jean-Pierre Marguénaud en collaboration avec la Fondation 30 Millions d’Amis, est l’un des moyens essentiels pour apporter une réelle connaissance de cette matière afin de l’appliquer en faveur des animaux et de la développer dans le même sens. Rencontrant un réel succès, cet enseignement s’est d’ailleurs développé en France, tel qu’à Brest sous la direction du doyen François-Xavier Roux-Demare qui vient de recevoir en ce mois de juillet 2021, sa première promotion à l’Université de Bretagne Occidentale.
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[1] Voir Revue Semestrielle de Droit Animalier 1/2018, p. 393 : https://idedh.edu.umontpellier.fr/files/2019/12/RDSA-1-2018.pdf
[2] https://www.francesoir.fr/politique-france/exclusif-vers-la-creation-un-stage-de-sensibilisation-au-respect-de-animal#_ftn11 et https://www.francesoir.fr/politique-france/assemblee-nationale-rejette-le-stage-de-sensibilisation-au-respect-de-animal
[3] « L’article 131‑5‑1 du code pénal est complété par un 8° ainsi rédigé : « 8° Le stage de sensibilisation à la prévention et à la lutte contre la maltraitance animale. »
[4] principalement les articles 521-1 et 521-2 du Code pénal, L.215-11 du Code rural et de la pêche maritime et l’article L.415-3 du Code de l’environnement
[5] principalement les articles R.653-1, R.654-1 et R.655-1 du Code pénal et l’article R.215-4 du Code rural et de la pêche maritime
[6] Article 131-21-1 du Code pénal
[7] Article 434-41 du Code pénal
[8] Articles 515-14 du Code civil et L.214-1 du Code rural et de la pêche maritime
[9] Voir André GIUDICELLI, La prévention de la récidive dans sa dimension multipartenariale, Presses Universitaires de Rennes PUR, Collection “L’univers des normes”, 2017
[10] Article 130-1 du Code pénal
[11] Voir Andrew Linzey, Violences sur les animaux et les humains -Le lien, One Voice, 2011
[12] L’association L214 a par exemple développé des outils éducatifs, des animations et des ressources pour l’éducation à l’éthique animale : https://education.l214.com/
Estelle Derrien
Avocate