Pour lutter contre le trafic illégal des animaux sauvages, et particulièrement des espèces menacées, nous devons agir, fermement. Maintenant.
Les espèces animales et végétales disparaissent partout dans le monde à un rythme effroyable.
A tel point qu’il est désormais acquis que nous vivons actuellement la 6ème extinction massive de la biodiversité. Par le passé la vie sur Terre a déjà quasiment disparu à 5 reprises, tantôt du fait d’une période glaciaire intense, tantôt du fait d’une météorite qui a rayé de la carte les célèbres dinosaures. La grande différence, c’est que cette fois le phénomène se déroule en un temps record et que c’est uniquement de notre faute.
A cause du changement climatique lié à l’activité humaine, à cause de la destruction des milieux naturels que nous utilisons tant pour l’agriculture, à cause de la surpêche et des pollutions de toutes sortes, en moins de 50 ans nous avons ainsi perdu plus de 60% des populations d’animaux sauvages. Et sur la fameuse liste rouge de l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) qui recense toutes les espèces menacées d’extinction on trouve désormais 41% des amphibiens, 37% des requins et des raies, 26% des mammifères et 13% des oiseaux du monde entier. Notons au passage que la France fait partie des 10 pays hébergeant le plus grand nombre d’espèces menacées …
A toutes ces menaces évoquées concernant la vie sauvage, vient s’ajouter le commerce illégal des animaux sauvages (souvent menacés) qui ne cesse de se développer. Il occupe aujourd’hui la quatrième place des trafics transnationaux les plus lucratifs au monde et représente environ 20 milliards d’euros par an avec une croissance selon Interpol de 5 à 7% annuels, juste derrière le trafic de stupéfiants, de contrefaçons et d’êtres humains.
Pourtant le commerce légal des espèce protégées existe. Il est réglementé par la CITES, la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction. Cela peut surprendre, mais cet accord inter-gouvernemental émet chaque année des quotas de prélèvement de certaines espèces protégées pour alimenter par exemple les secteurs du cuir et de l’alimentation mais aussi des médicaments. En accordant ainsi une valeur marchande aux espèces menacées, la CITES régule le commerce de ces espèces et le suspend si nécessaire pour en assurer le renouvellement des populations, et donc la survie.
Malgré cela, le trafic illicite d’espèces sauvages ne cesse de croître et contribue à l’érosion progressive de la biodiversité. Juridiquement, ce trafic désigne tout crime environnemental qui implique « le prélèvement, le commerce (fourniture, vente ou trafic), l’importation, l’exportation, la transformation, la possession, l’obtention et la consommation de faune et de flore sauvages {…} en violation du droit national ou international ». Mais la faible probabilité d’être arrêté et condamné dans des pays qui manquent de moyens pour cela et les profits importants que le trafic génère ne font qu’encourager les trafiquants qui œuvrent comme de véritables mafias du crime organisé. C’est ainsi que l’imagerie populaire du vilain braconnier colonial avec sa vieille carabine a depuis longtemps cédé la place à des groupes paramilitaires organisés en véritables milices qui chassent le rhinocéros au fusil automatique du haut d’un hélicoptère.
Le trafic des espèces menacées est passé à l’échelle industrielle et concerne tous les pays du monde.
Des lionceaux et des guépards sont arrachés à leurs groupes dans la savane africaine pour être trimbalés en laisse par des influenceurs à Dubaï. Des oiseaux exotiques sont capturés dans les forêts sud-américaines et mourront étouffés dans les minuscules tubes devant les transporter jusqu’aux marchés noir occidentaux qu’ils ne verront jamais. Des crocodiles ou des serpents juvéniles passent les douanes dans de petites boîtes avant de devenir trop encombrants pour l’appartement de leurs acquéreurs malhonnêtes ou mal informés qui les relâchent dans la nature quand ce n’est pas dans les canalisations.
Bien peu de ces individus survivent au voyage organisé par les trafiquants : on estime qu’un individu sur 10 seulement arrive au bout du voyage. Mais les bénéfices sont tels pour les trafiquants que le jeu en vaut la chandelle.
D’ailleurs, le trafic illégal des animaux sauvages ne concerne pas que des individus vivants : des produits dérivés de la faune circulent eux aussi partout dans le monde en toute illégalité. La France est particulièrement concernée en tant que pays de destination et de transit de nombreux vols internationaux originaires de l’Afrique francophone. En 2021, pour le seul terminal T2 de Roissy Charles de Gaulle, 36 tonnes de produits illégaux issus d’espèces sauvages ont été saisies, dont 17 tonnes d’espèces animales.
Des éléphants majestueux meurent par troupes entières pour que leur ivoire finisse sous forme de petites statuettes décoratives sur une étagère en bois exotique de contrebande. Des os de tigres sont broyés et des cornes de rhinocéros dont le cours parvient à dépasser celui de l’or sont pilées pour servir d’obscur remède prétendument stimulant. Des tortues sont massacrées pour que leurs carapaces servent à confectionner des peignes et autres objets souvenirs bien dérisoires, tandis que des requins agonisent mutilés dans les océans alors que leurs ailerons tranchés à vif voguent vers l’Asie pour servir d’ingrédient à un potage traditionnel.
Les grands singes et particulièrement les chimpanzés payent un lourd tribut à ce trafic. Car au bout de la chaîne, les clients ont une forte responsabilité. Avec une terrifiante capacité à ignorer le lien fraternel qui nous unit dans notre apparence, dans nos comportements et jusque dans notre génome, nous en faisons des animaux de compagnie malheureux ou des attractions embarrassantes pour des touristes de plus en plus mal à l’aise, nous les faisons tourner dans des films ou des publicités ridicules, nous leur coupons même parfois les mains pour en faire des cendriers…
En plus d’aboutir à la mort ou à la maltraitance des espèces concernées, le trafic illégal des animaux sauvages contribue à la destruction de leurs biotopes en supprimant des populations entières sans lesquelles tout l’écosystème vacille. Il ravage les richesses naturelles des pays naturellement dotés mais impuissants ou corrompus. Il compromet la sécurité et la santé économique des États qui ont à faire à des réseaux criminels très organisés. Enfin, il augmente les risques pour la santé mondiale en favorisant une proximité homme/animal sauvage et les risques pandémiques associés.
Dans le monde entier, le trafic des animaux sauvages menace d’extinction de nombreuses espèces et porte gravement atteinte aux communautés humaines. Il est désormais temps d’agir.
Le Jane Goodall Institute agit concrètement sur le terrain avec les communautés et les autorités locales pour aider à prévenir le commerce illégal, en utilisant une approche triangulaire qui promeut l’importance des d’œuvrer conjointement et de façon concomitante avec les forces de l’ordre, les sanctuaires, et les populations locales.
Notre objectif est triple :
- Nous dialoguons avec les communautés locales pour sensibiliser sur l’importance de la protection des grands singes et autres animaux sauvages en voie de disparition, et offrir des ressources alternatives (qu’elles soient économiques ou alimentaires) ;
- Nous travaillons avec les agences qui luttent pour mettre fin au trafic, ainsi que les autorités locales et internationales. En effet, sans mise en œuvre des sanctions prévues par la loi, les interdits restent lettre morte ;
- Nous protégeons et soignons les chimpanzés sauvés. Sans sanctuaire pour accueillir les animaux saisis, la loi et les sanctions prévues ne peuvent être appliquées.
Au-delà de cette mobilisation collective, la lutte contre le trafic exige une réponse mondiale ferme, à la hauteur des conséquences désastreuses et du préjudice engendré. Or, cette lutte ne bénéficie pas des ressources juridiques et judiciaires nécessaires. En effet, la seule application des lois existantes s’avère malheureusement insuffisante.
La solution réside en partie dans nos comportements individuels : ne soutenons plus par notre silence les acteurs de ce trafic ignoble.
Sachons prendre du recul sur les effets dévastateurs du tourisme animalier avant de poser sur Instagram aux côtés d’un tigre étonnamment somnolent d’un monastère asiatique ou des serpents « charmés » mais mutilés en Afrique du Nord. Renseignons-nous avant de partir en voyage sur ce qu’il est autorisé de ramener dans nos bagages avant de craquer sur un souvenir si « local ».
Réévaluons aussi parfois notre utilisation d’Internet et arrêtons « d’aimer » certaines images sur les réseaux sociaux comme celles de chimpanzés habillés et mis en scène qui encouragent indirectement le trafic.
La solution réside aussi dans l’action de la puissance publique, nationale et internationale :
En France, de nombreux acteurs participent à la lutte contre ce trafic en France, parmi lesquels les douanes, l’OCLAESP ou encore les inspecteurs de l’OFB. Un réseau régional de 200 inspecteurs de l’environnement est spécialisé dans la répression du trafic d’animaux sauvages, sous l’égide du Service de Police Judiciaire et Renseignement (SPJR) de l’Office français de la biodiversité. Face à l’ampleur du phénomène, leurs pouvoirs ont été étendus et les sanctions ont gagné en sévérité. C’est une bonne chose et c’est une avancée qui mérite d’être saluée.
Pendant trop longtemps, la criminalité liée aux espèces sauvages a été traitée comme une question liée au commerce plutôt qu’à la criminalité. Nous pensons qu’il est temps de changer cela.
C’est pourquoi nous soutenons l’initiative mondiale pour mettre fin à la criminalité liée aux espèces sauvages (End Wildlife Crime), visant la création d’un quatrième protocole à la Convention des Nations Unies contre la criminalité organisée (CNUCTO). Il s’agirait là de placer le trafic d’espèces sauvages dans le champ d’application du droit pénal international et de fournir un cadre pour les obligations des Etats. L’Europe œuvre en ce sens (adoption en avril d’un protocole additionnel ). Et nous soutenons la résolution déposée par l’Angola, le Kenya et le Pérou qui sera votée à la trente et unième session de la Commission des Nations unies pour la prévention du crime et la justice pénale (CCPCJ) du 16 au 20 mai à Vienne.
Ce protocole additionnel est important.
Il est urgent d’agir.
Maintenant. Ensemble. Fermement.
La France a un rôle à jouer. Chacun d’entre nous aussi.
Par ces actions et ensemble, nous pouvons nous assurer que tous ces êtres sauvages, si précieux, restent #ForeverWild.
En cette journée internationale des espèces menacées, engageons-nous !
Vous aussi, découvrez comment agir de façon concrète pour mettre fin au trafic illicite des espèces sauvages dans votre quotidien et soutenez nos actions pour que les espèces menacées ne le soient plus : janegoodall.fr
Galitt Kenan
Directrice, Jane Goodall Institute France