Numéro 13Animaux sauvagesSurvie du Grand Hamster d’Alsace : associations et vétérinaires à la rescousse !

Brigitte Leblanc16 octobre 202310 min

Peut-être connaissez-vous à présent un peu le Grand Hamster d’Alsace[1] ? Ce petit rongeur qui fut autrefois abondant dans l’Est de notre pays, à en être considéré comme nuisible, est à présent classé comme appartenant à une espèce en danger critique d’extinction en France, depuis 2020[2]. Des plans nationaux d’action (PNA) pour le sauver se succèdent, combinant la (re)construction de son habitat et le repeuplement, avec l’association Sauvegarde Faune Sauvage[3], représentée ici par Mme Célia Schappler, et le Dr Quintard, vétérinaire et directeur adjoint du parc zoologique de Mulhouse, qui en sont des acteurs majeurs.

Sauvegarde Faune Sauvage (SFS), l’association « de cœur » du Grand Hamster

SFS, située à Wittenheim, a été créée en 1993 par son président, Jean-Paul Burget, qui a largement contribué à ce que le Grand Hamster soit enfin déclaré protégé cette même année, après sa quasi-disparition des plaines d’Alsace. Cette association agit aussi bien en France qu’en Afrique, contre le braconnage, pour le respect de la biodiversité et des biotopes, et possède également un centre de soins pour les animaux sauvages blessés. Elle mène aussi des procédures juridiques en cas de manquement de l’État, ayant notamment amené à la condamnation de la France par la Cour de Justice de l’Union Européenne en 2011 pour insuffisance de son système de protection du Grand Hamster d’Alsace[4].

Concernant ce dernier, SFS est responsable du plus grand centre de reproduction en vue de repeuplement de cet animal en Europe. L’association participe aussi aux relâchers des hamsters (environ 500 cette année). Pour ce faire, il faut que les terrains aient été préparés, ce à quoi s’attelle le Naturoparc de Hunawihr, partenaire de SFS (tout comme le CNRS), et ce sous l’égide de l’OFB[5]. Les terrains sont protégés des prédateurs terrestres par des clôtures depuis le relâcher jusqu’à la première hibernation des hamsters, des pré-terriers sont creusés au préalable pour leur assurer les meilleures conditions de survie. Les terrains de relâcher ont fait préalablement l’objet de conventions entre l’OFB et les agriculteurs : l’OFB sensibilise ces derniers à l’importance du Grand Hamster et à son rôle d’ « espèce parapluie »[6] pour la biodiversité. Les agriculteurs adhérant au programme devront garder les terrains sans irrigation ou pesticides, et offrir des cultures diversifiées et favorables au hamster : blé, luzerne, et également terrains laissés en jachère. Les négociations sont parfois difficiles à cause des fortes pressions foncières dans la région mais également parce qu’un changement des mentalités est indispensable (il y a peu, les hamsters étaient sauvagement détruits !). Néanmoins, ces campagnes de sensibilisation portent leurs fruits, avec entre 150 et 200 agriculteurs adhérents. Nombre d’entre eux sont conscients de la reconquête positive de leurs terrains par la biodiversité, avec la réapparition des insectes, des lièvres, des perdrix… Certains d’entre eux assistent d’ailleurs aux relâchers avec leurs enfants, grands et petits en admiration devant ce beau spectacle.

Photo : ©Association Sauvegarde Faune Sauvage

Car la sensibilisation passe aussi par les enfants : les PNA prévoient cet axe de communication que SFS est toute indiquée à prendre en main : mener des présentations dans les écoles en basse saison (lorsque les hamsters hibernent), présenter des stands dans les évènements locaux… Mais l’association se heurte au coût des supports de communication, d’autant qu’il serait dommage de se limiter à l’Est de la France : la préservation du Grand Hamster, symbole des espèces en extinction ici même en France, est un enjeu national.

Photo : ©Association Sauvegarde Faune Sauvage

La pouponnière de l’association Sauvegarde Faune Sauvage

C’est dans cette même optique que le centre d’élevage de Jungholtz[7], chaque année, amène à se reproduire (après moultes précautions concernant cette espèce solitaire) environ 100 couples, choisissant les reproducteurs parmi les animaux les plus équilibrés (ayant eu une hibernation sans problème), les moins imprégnés à l’espèce humaine, tout cela en privilégiant un brassage génétique important pour la survie de l’espèce. Environ 600 bébés sont nés en 2022, en moyenne 400 sont relâchés chaque année (l’année 2023 ayant été une année « record » avec 552 hamsters relâchés), les autres participant à leur tour au programme de reproduction. Il est important de noter que tous les hamsters sans exception retrouveront la liberté, reproducteurs ou pas. Les femelles ne feront jamais plus d’une portée par an, pour ne pas fatiguer leur organisme. Si certains ne peuvent pas revenir à la vie sauvage, pour des raisons physiques, l’association propose de les placer dans des parcs zoologiques pour qu’ils y deviennent les ambassadeurs de cette espèce méconnue, à condition bien évidemment que leurs conditions de vie soient compatibles avec leur bien-être.

Les périodes les plus critiques dans la vie des hamsters dans l’élevage sont l’entrée et la sortie d’hibernation, moments où la mortalité peut être importante (comme dans la nature). Pendant cette période, le hamster ne se réveille qu’une fois par semaine pour s’alimenter. Pour éviter au maximum toute imprégnation à l’humain, seules deux visites hebdomadaires sont effectuées pendant toute leur hibernation, permettant également de vérifier qu’aucun n’est mort, ceci sans les toucher ou les déranger, avec le « test de l’oignon » : un morceau d’oignon dont ils sont friands est coincé dans les barreaux de la cage, s’il n’a pas disparu en 8 jours, il faut vérifier que le hamster soit vivant ! L’hygiène de la cage est également à assurer régulièrement, mais un seul grand nettoyage par hibernation est effectué en janvier, pour ne pas déranger leur sommeil. Les conditions de température, d’hygrométrie, sont contrôlées et graduellement adaptées pour accompagner ces moments critiques, en s’ajustant au mieux aux conditions naturelles. Il faut noter la difficulté de ces tâches qui doivent être menées en minimisant au maximum l’impact du contact humain : faire en sorte que la mise à disposition de l’aliment ne soit pas associée au bruit de la porte de la cage qu’on ouvre, contrôler la présence de bébés par le seul bruit de leur tétée (bruyante !) afin de supplémenter l’alimentation de la maman en boulettes d’ortie, favorable à la lactation… Aucun visiteur n’est accepté pour les mêmes raisons et pour d’évidentes précautions sanitaires. Les rares manipulations seront celles en cas de blessures ou celles, obligatoires, que le vétérinaire de l’élevage, le Dr Quintard, devra pratiquer pour leur suivi et leur santé.

Pédiatre et médecin du Grand Hamster

Le Dr Quintard, vétérinaire et directeur adjoint du parc zoologique de Mulhouse, est responsable du suivi sanitaire et logistique de cet élevage.

Photo : ©M2A/Marie Nussbaumer

Comme tout vétérinaire sanitaire, il a en charge les visites sanitaires et d’audit de l’élevage de Jungholtz, la mise en place d’un cahier des charges conjoint avec les deux autres élevages français de Grand Hamster et ce dans les moindres détails, de l’environnement à l’alimentation et aux enrichissements proposés. Quelques semaines après les naissances, il faut assurer sur le site de l’élevage le premier examen : sexage, identification par transpondeur, bilan médical avec examens complémentaires si besoin. Par la suite, les soins médicaux nécessaires seront effectués dans la clinique du parc zoologique de Mulhouse, pour des pathologies variées : éversion des abajoues, abcès, fractures… La surveillance des hamsters continue aussi après le relâcher : par exemple, une suspicion de teigne sur des individus libérés, visualisée par caméra-trappe, amène à rechercher une origine éventuelle de cette dermatose au sein même de l’élevage. C’est un travail complexe qui nécessite une bonne coopération entre les intervenants (élevage, praticien, CNRS,OFB…) et dont le relâcher des hamsters dans leur milieu naturel constitue l’aboutissement : le Dr Quintard y assiste, non pas que sa présence soit indispensable, mais pour la beauté du moment.

Cet aspect du rôle de vétérinaire en parc zoologique est peu connu, surtout s’agissant d’une espèce, certes emblématique de l’Alsace, mais bien moins « exotique » que d’autres. C’est un rôle primordial pour une espèce en voie d’extinction, loin de certaines pratiques de greenwashing que l’on peut prêter à certains établissements. Ici s’exerce de façon sincère une vocation et une volonté de préservation de la biodiversité, fût-elle locale et méconnue.

Quelles préoccupations et quel avenir pour le Grand Hamster ?

Malgré les efforts concertés de toutes ces personnes engagées, le constat est encore décevant : le hamster n’est pas encore sorti de la zone rouge, il n’y a pas encore assez d’individus de son espèce pour assurer sa pérennité (il faudrait une population de 1500 hamsters dans une seule zone, alors que pour le moment les terriers se divisent en trois zones en Alsace), le dernier comptage en 2023 comptabilise 802 terriers[8]. Que faire ? Lui proposer d’autres territoires ? Augmenter le repeuplement ? Certes, mais tout cela a un coût qu’il faut pouvoir assumer : l’élevage, la préparation des terrains, les compensations aux agriculteurs engagés, la communication…

Effectivement l’élevage est subventionné à 100% par le DREAL Grand-Est, mais la diminution prochaine du budget alloué va voir diminuer drastiquement le nombre de hamsters relâchés, avec les conséquences que l’on devine. Le programme de création ou réhabilitation de l’habitat du Grand Hamster est également en période de stabilisation, pour les mêmes raisons pécuniaires : le travail se concentre uniquement sur les trois zones historiques de présence du hamster, en axant les efforts sur la reconnexion des zones entre elles, tâche compliquée au vu du caractère peu aventureux du hamster.

Les compensations dues au titre de la destruction des habitats par les entreprises de construction ou de travaux publics sont globalement obtenues, mais ne sont que des compensations, ne permettant pas d’augmenter la population de ces petits rongeurs.

Un système de parrainage est par contre réalisé chaque année pour les bébés nés à l’élevage, rencontrant un vif succès (même s’il n’est connu que de façon locale, il est difficile de résister à des bébés aussi mignons !), cela assure une certaine rentrée de fonds mais insuffisante devant les besoins de l’association et de l’élevage. SFS est pourtant une association reconnue d’utilité publique, à cet effet elle peut recueillir dons et legs, mais elle est desservie par le côté injustement méconnu du Grand Hamster d’Alsace, aussi photogénique soit-il, mais peu porté à la connaissance du grand public et des médias partout en France.

Il ne serait pourtant que justice que de l’aider à retrouver son habitat et sa vie, puisque sa disparition est de notre fait, par toutes les erreurs et mauvaises gestions commises volontairement ou non, sur son habitat et sur lui-même, par les monocultures, les pesticides…Son retour signe la renaissance d’une nature riche, les agriculteurs concernés le remarquent, les promeneurs aussi, qui peuvent admirer dans les champs de luzerne ou de blé la réapparition des animaux sauvages, et non plus des champs de maïs à perte d’horizon.

Alors, même si nous ne vivons pas tous dans l’Est de la France, soyons solidaires de ce symbole de la biodiversité, merci de participer à son sauvetage en aidant cette association, en partageant son histoire, en le faisant connaître comme il le mérite !


[1] savoir-animal.fr/grand-hamster-alsace-discorde

[2]uicn.fr/liste-rouge-france

[3]sauvegardefaunesauvage.fr

[4] actu.dalloz-etudiant.fr/a-la-une/article/la-france-condamnee-pour-non-respect-de-ses-obligations-europeennes-relatives-au-grand-hamster-en

[5] Office Français de la Biodiversité.

[6] Une espèce parapluie est une espèce dont l’étendue du territoire ou de la niche écologique permet la protection d’un grand nombre d’autres espèces si celle-ci est protégée.

[7] dna.fr/environnement/2020/07/22/video-au-coeur-de-l-elevage-de-grands-hamsters

[8] Comptage hamsters.pdf

Photo : ©Association Sauvegarde Faune Sauvage


Brigitte Leblanc
Autres articles

Vétérinaire

Laisser un commentaire

Your email address will not be published. Required fields are marked *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.