Numéro 7Animaux domestiquesRecul de la tauromachie en Espagne, un mouvement de fond indépendant des aléas politiques

Roger Lahana15 avril 202237 min

Le paysage politique espagnol et ses conséquences sur la tauromachie

Le paysage politique espagnol s’appuie sur trois grands axes :

  • la gauche avec le PSOE (parti socialiste ouvrier espagnol) et Unidas Podemos (gauche radicale),
  • la droite avec le PP (Partido Popular, droite conservatrice) et Cs (Ciudadanos, centre-droit)
  • et l’extrême-droite avec Vox.

Il existe aussi des partis de plus petite taille qui complètent le spectre politique, ils ne manquent pas d’intérêt pour notre cause, mais leur impact reste très limité en Espagne. Précisons qu’il ne s’agit pas dans cet article d’exprimer une quelconque préférence politique de notre part, mais du seul effet qu’ont les différentes forces en présence sur la tauromachie, d’où l’importance de les présenter un peu plus en détails.

Comparaison n’est pas raison, mais on peut relever de réelles similarités entre les principaux partis espagnols et français : PSOE / PS, Podemos / LFI, PP / LR, Cs / Modem, Vox / RN.

Le PSOE est le plus ancien historiquement de tous ces partis, il a été fondé en 1879 et a pris le pouvoir en 1936 avant d’être laminé par le franquisme. Il est revenu au pouvoir à partir de 1982 avec Felipe Gonzalez, avant une longue éclipse au profit du PP dès 1996. Après quelques parenthèses d’alternance avec le PP, il est à nouveau aux commandes de l’Espagne depuis 2018, grâce à une alliance avec Podemos.

Le PP a été créé en 1978, trois ans après la disparition de Franco. Six des sept fondateurs étaient d’anciens ministres du dictateur, ce qui en donne la tonalité générale.

Vox est née en 2017 à la suite de la tentative d’indépendance de la Catalogne. Ses déclarations dures à l’encontre des indépendantistes lui valent une énorme popularité qui en font un parti de premier plan en un temps record. Vox ne cache pas une certaine complaisance pour l’époque du franquisme et va attirer rapidement les sympathisants de l’aile nationaliste du PP, un peu comme la porosité grandissante en France entre la branche la plus conservatrice de LR et le RN.

De son côté, Cs est apparu en 2018 et a séduit l’aile libérale de la droite. Après une croissance significative, ce parti a perdu graduellement l’essentiel de son poids. Une perte d’influence que rencontre également Podemos à l’aile gauche, minée par des dissensions internes.

Ce tableau étant dressé, passons maintenant à ses conséquences en ce qui concerne la tauromachie, née en Espagne il y a plusieurs siècles et protégée par la Constitution depuis 2013 en tant que « bien d’intérêt culturel », ce qui soumet de fait son abolition à une réforme constitutionnelle. Cette disposition a été votée sous la houlette du PP, alors tout-puissant dans la péninsule ibérique et très majoritairement procorrida. C’est d’ailleurs à la suite d’un recours du PP auprès du Tribunal constitutionnel que l’abolition de la corrida votée en Catalogne en 2010 a été juridiquement annulée en 2016 (sans aucun impact, fort heureusement, les principales arènes deBarcelone ayant été transformées depuis des années en centre commercial). C’est également à la demande du PP que la loi sur les corridas dites « baléares » a été grandement amputée en 2017. La montée en puissance et les alliances à venir entre Vox et le PP ne peuvent qu’aggraver la situation, puisque Vox est unanimement procorrida, tout comme l’était le franquisme.

La parenthèse enchantée du gouvernement de Pedro Sanchez

En revanche, une large partie des électeurs du PSOE est nettement anticorrida (ce qui n’a pas toujours été le cas), de même que la totalité des sympathisants de Podemos qui a inscrit l’abolition des corridas dans sa charte dès sa création. De ce point de vue, le gouvernement de Pedro Sanchez (PSOE) depuis 2018 en alliance avec Podemos constitue une parenthèse enchantée qui a porté d’importants revers à l’industrie tauromachique depuis sa prise de fonction, refusant en particulier systématiquement d’accorder la moindre aide financière ou la moindre faveur gouvernementales au secteur de la tauromachie pendant toute la durée de la pandémie.

En mai 2020, le ministre de la Culture espagnol, José Manuel Rodríguez Uribes, a reçu une délégation d’organisations procorrida. Les taurins se sont pris une douche froide. Le ministre leur a confirmé leurs craintes après des semaines lors desquelles les annonces venant du gouvernement ignoraient systématiquement de mentionner la tauromachie dans l’inventaire des aides qui seraient attribuées à divers secteurs économiques : la tauromachie ne bénéficiera d’aucune aide spécifique. Le secteur de la tauromachie pourra obtenir uniquement les mêmes prêts que n’importe qui d’autre en Espagne. Et il s’agira bien de prêts, qu’il faudra rembourser. Les partis politiques qui soutiennent la corrida systématiquement ne s’y sont pas trompés. Aussi bien Vox que le Partido Popular ont exprimé leur fureur face à cette décision claire et nette de rejet humiliant d’aides spécifiques par le gouvernement. Quelques mois plus tard, le même ministre a affirmé dans une interview à El Mundo qu’il ne voulait pas recommander d’aller à la corrida mais plutôt d’aller au théâtre car il s’agit d’un spectacle pacifique qui ne suscite pas de polémique. Et fin 2020, alors qu’un groupe de lobbyistes procorrida espagnols tentait en toute discrétion de faire mettre à l’ordre du jour de l’UNESCO l’inscription de la tauromachie au patrimoine culturel immatériel (PCI), cette initiative a été contrée auprès du Bureau du Comité pour la sauvegarde du PCI par rien moins que le gouvernement espagnol lui-même.

Le 23 mars 2022, le gouvernement espagnol a une fois de plus affiché son rejet du monde taurin. Cette fois, il s’agissait de refuser d’inclure les professionnels de la tauromachie dans le régime spécial des artistes, un groupe dans lequel ils étaient inclus jusqu’à présent. Le média protaurin Aplausos a commenté cet énième revers : “Une fois de plus, la tauromachie est à nouveau exclue de cette liste, tout comme cela s’est produit il y a quelques mois avec le Bonus Culturel Jeunesse, dans lequel la tauromachie était également exclue de manière incompréhensible.”

Les subventions régionales et européennes coulent à flots

Ces progrès certains pour favoriser des pratiques plus éthiques ne doivent pas cacher que la route menant à la disparition de la tauromachie en Espagne est encore longue. Si les élevages n’ont reçu aucune aide du pouvoir central, ils en ont récolté à la pelle des différentes communautés autonomes et de l’Europe. Les principales subventions reçues ont été compilées sur le site Estolopagastu.info animé par La Marea Antitaurina. Les données ont été rassemblées par Marta Esteban et, pour la partie relative à la PAC, par Jose Enrique Zaldivar, président d’AVATMA (association des vétérinaires anti tauromachie et contre les maltraitances animales).

Les subventions publiques à la tauromachie en Espagne totalisent environ 440 millions d’euros provenant de l’Europe (principalement au travers de la PAC) et 10 millions d’euros de certaines communautés autonomes d’Espagne.

À titre d’exemple, le gouvernement de la Communauté de Madrid mené par Isabel Díaz Ayuso (étoile montante du PP souvent comparée à Donald Trump) a budgétisé 4 163 826 euros pour la tauromachie. Citons également l’Andalousie (1 400 000 €), Valencia (1 170 000 €), Castilla la Mancha (2 800 000 €), la Navarre (750 000 €), Castilla y Leon (1 500 000 €), Badajoz (950 000 €), Malaga (400 000 €) et l’Extremadura (1 360 000 €).

86% des Espagnols estiment la corrida inacceptable

Combien de temps durera l’embellie apportée par le gouvernement Sanchez ? Les récentes élections locales de la  Communauté autonome de Castille-y-Leon le 10 mars 2022 sonnent comme un signal d’alarme en la matière puisqu’elles ont porté au pouvoir un gouvernement d’union PP-Vox pour la première fois. Pour autant, la bonne nouvelle, est que, indépendamment de ces aléas politiques comme toute démocratie en connait, l’opinion publique est de plus en plus largement opposée à la persistances des corridas, jugées comme étant des vestiges ringardisés du passé et surtout, des pratiques éthiquement inacceptables.

L’enquête d’opinion espagnole “Vision et attitudes envers les animaux dans la société espagnole” initiée par la Fondation BBVA (une fondation parrainée par la BBVA, une des principales banques espagnoles), a été publiée en janvier 2022. On peut la retrouver dans son intégralité en cliquant ici.

Elle a été réalisée en novembre dernier auprès de 2000 personnes représentatives de la population, par téléphone. Une des questions-clés était : “Dans quelle mesure pensez-vous que l’utilisation d’animaux est ou n’est pas acceptable pour chacune des situations ci-dessous ?” (sur une échelle de 0 à 10, où 0 signifie totalement inacceptable et 10 totalement acceptable).

Voici les résultats concernant la corrida (à la page 31 du rapport) :

On voit que 70 % des répondants jugent la corrida très peu ou pas acceptable (0 à 2 sur une échelle de 10) et plus globalement 86 % jugent la corrida peu ou pas acceptable (de 0 à 5 sur une échelle de 10). Si on fait la moyenne pour l’ensemble des répondants, elle est de 1,9.

Parmi les paramètres influençant les réponses, les positions religieuse et politique sont les principaux : les répondants sont d’autant moins opposés à la corrida qu’ils ont une religiosité élevée et qu’ils sont de droite (les corridas figurent sur la troisième colonne, les deux premières se réfèrent respectivement à l’alimentation humaine et aux essais pharmaceutiques sur les animaux).

Photo © AnimaNaturalis

Roger Lahana
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Président de No Corrida
Secrétaire fédéral de la FLAC (Fédération des Luttes pour l’Abolition des Corridas)
Référent pour la France du Réseau International contre la Tauromachie
Membre plénier de la World Federation for Animals

3 commentaires

  • ROSY GONZALEZ

    21 avril 2022 à 9h21

    MERCI à NO CORRIDA pour ce compte rendu référencé, complet, ou la fantaisie n’a pas pas de place, témoin irrévocable de la reculade des moeurs barbares dont le coeur était aussi dur et inculte envers nos frères animaux, sur une terre qui pourtant les a faire naître pour une vie ensemble.
    La religion catholique, prétexte à exorciser la bestialité qui la possède.
    Une page d’histoire à retenir ou imprimer qui retrace une bataille, un combat pour un monde plus juste.
    Amistad.

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  • Pierre Lortic

    18 avril 2022 à 12h25

    Bizarre que la religion rende les gens plutôt favorable à la corrida…
    Ça vaudrait la peine de creuser quelle religion en particulier et si bien sûr la catholique venait en tête, poser quelques questions sur le regard du saint père sur la vie animale…

    Répondre

  • CADET

    17 avril 2022 à 22h01

    Stop à la corrida et à toutes sortes de souffrance animale….Les animaux ne sont ni nos esclaves;ni nos souffres douleur et encore moins nos jeux…..Les hommes qui massacrent impunément sont des monstres.

    Répondre

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