Animaux non domestiquesNuméro 3Interview de Madame Christine Grandjean, Présidente de l’association “C’est assez !”

Lalia Andasmas15 avril 202112 min

Christine Grandjean est, depuis 2013, à la tête d’une association française spécialisée dans les cétacés. La proposition de loi votée en première lecture par l’Assemblée nationale qui a pour ambition de remettre en cause l’existence même des delphinariums est, évidemment, une étape fondamentale et l’enchante. Pour autant, des questions restent en suspens dont le sort qui sera réservé à ce texte par le Sénat mais également celui des 21 dauphins présents actuellement sur le territoire français. Christine Grandjean a donc proposé des solutions : un « partenariat » étroit avec le ministère serait notamment envisageable !

Qui êtes-vous Madame Christine Grandjean ?

Je m’appelle Christine Grandjean. Je suis la Présidente-Fondatrice de l’association C’est assez ! Un petit clin d’œil aux cétacés. Notre association milite contre la détention et la maltraitance des cétacés enfermés, contre toute forme de massacre des cétacés dans le monde et contre toutes les atteintes au milieu marin en général.

Pourriez-vous définir les cétacés ?

Les cétacés sont des mammifères marins. Il en existe deux sortes, qu’il faut distinguer : les odontocètes et les mysticètes. Les odontocètes (cachalots, orques, bélougas, delphinidés et marsouins) ont des dents, alors que les mysticètes ont des fanons (ce qui est le cas des baleines).

Aucun Bélouga ne vit en captivité en France. En revanche, il y a des orques et des dauphins, ce qui est déjà beaucoup ! Dans le reste du monde, de nombreux cétacés vivent en captivité : en Espagne, il y a des bélougas et des orques ; en Chine, beaucoup de bélougas ; au Canada, dans l’Ontario, une 50aine de bélougas s’entassent dans une espèce de mini bassin crasseux.

En France, parmi les 21 dauphins, 9 sont à Planète Sauvage (dans un petit bassin), et 12 à Marineland, qui possède également 4 orques. 

Pourquoi avez-vous créé cette association ?

L’idée de créer l’association m’est venue très jeune. J’ai toujours été très intéressée par le sort des animaux. Ainsi, dès l’âge de 4 ans, j’ai commencé à recueillir des animaux malheureux. J’ai toujours milité contre la corrida, la chasse à courre etc. En 2013, j’ai pris conscience qu’on enfermait des dauphins et des orques et qu’ils mouraient dans des bassins. J’ai alors commencé à lire des documents sur des orques captives après avoir vu le film « Sauvez Willy ». J’ai compris qu’ils mouraient par 10aine dans des conditions de tristesse absolue. Lorsque j’ai découvert que l’on enfermait des dauphins et des orques en France dans l’indifférence quasi générale, j’ai eu envie d’en faire ma priorité.  

Je ne peux pas affirmer être la spécialiste en France des cétacés mais nous avons initié le combat contre la captivité en France, rencontré les députés et été à l’origine des amendements proposés à l’Assemblée nationale et du premier arrêté qui a suivi, bien qu’annulé par la suite.

Il est clair qu’avec notre association, nous avons été les précurseurs car personne n’en parlait à l’époque. On en a fait un sujet d’actualité. Par la suite, le film Blackfish a permis d’enfoncer le clou. 

Auprès de quels députés avez-vous œuvré ?

A l’époque, j’ai œuvré auprès de deux députées Mmes Laurence Abeille, élue verte, et Geneviève Gaillard, vétérinaire et présidente du groupe animaux à l’Assemblée nationale. Elles ignoraient la situation. Lorsqu’elles l’ont découverte, elles ont en eu les larmes aux yeux. J’ai été invitée devant cinq autres députés à reparler des conditions de captivités  des cétacés.

Les amendements que nous avons proposés ont été rejetés par l’Assemblée nationale. Toutefois, Ségolène Royale a mis en place un moratoire afin de bloquer la construction de nouveaux delphinariums. En effet, à l’époque, le parc zoologique d’Amnéville voulait absolument en créer un. D’ailleurs, nous avions lancé une pétition à ce sujet et une campagne de mails qui a eu beaucoup de succès.

Nous avons fait partie des premiers groupes de travail des députés. Avec Florian Sigronde et Julie Labille, nous avons eu ensuite d’autres rendez-vous au ministère.

Plus de cent mille signatures ont été remises à Barbara Pompili, alors secrétaire d’Etat auprès du ministère de la Transition écologique. L’arrêté de Ségolène Royal est paru. La première version nous satisfaisait, même si elle n’interdisait pas la reproduction des dauphins. Nous pensions que si nous allions trop loin dans nos demandes, les parcs dénonceraient tout en bloc. Après deux jours, sous la pression de certaines associations et militants, Ségolène Royal a ajouté un article sur la non-reproduction, sans être passée au préalable par la consultation publique. L’arrêté a ainsi été annulé pour vice de forme. Nous avions tout perdu !

Dans la proposition de loi votée en 1ère lecture le 29 janvier dernier, il est également question des dauphins, pensez-vous (intuitivement) que le texte va être voté ?

Le Sénat va probablement mettre des bâtons dans les roues mais dans la mesure où l’Assemblée nationale a le dernier mot, je pense que ce texte va être voté. Notre crainte est que les parcs (et ils l’ont déjà annoncé), saisissent le Conseil Constitutionnel  sur le fondement de la liberté d’entreprendre et du commerce, en raison de l’interdiction de reproduction.

A défaut de solution, nous ne souhaitons pas fermer les delphinariums. Ce qui s’est passé avec le parc d’Astérix a été dramatique… Nous ne voulons pas mettre en difficulté les soigneurs et les delphinariums. Par conséquent, nous ne souhaitons pas leur fermeture. On ne demande même pas l’arrêt des spectacles. Ce que l’on souhaite, c’est arrêter la reproduction pour que ce soit la dernière génération de cétacés sacrifiés.

Par pure provocation, j’ai envie de vous poser la question de savoir quelle serait la meilleure situation pour les dauphins, finir dans les filets des pêcheurs ou finir dans un parc de spectacles ?

Non, ils ne finiront jamais entourés de bateaux de pêcheurs, ils ne sont pas tous réhabilitables à la vie sauvage. Par conséquent, ils ne retrouveront jamais la liberté. On travaille à la création de sanctuaires avec des pays européens. On demande à ce qu’ils aillent dans des baies marines, fermées par doubles filets, avec leurs soigneurs, afin qu’ils puissent nager en pleine mer et continuer à être nourri par la main de l’homme. Ils ne seront jamais aptes à retourner dans la nature : ceux qui ont été capturés sont aujourd’hui trop vieux et ceux qui sont nés en bassin n’ont aucune chance de survie dans la nature, sauf s’il y avait une mère pour leur réapprendre. C’est ce que l’on appelle la réhabilitation, sinon ils n’ont aucune chance de retrouver la liberté et l’océan. L’objectif est qu’ils aient un espace marin suffisamment grand, dans lequel ils puissent nager, plonger profondément, voir des poissons, des algues bref qu’ils ne soient plus dans un environnement stérile, chloré et qu’ils aient une vie sociale plus correcte. Nous sommes raisonnables.

Connaissez-vous la provenance des 21 dauphins qui sont en captivité en France ?

Deux d’entre eux ont été capturés : elles ont 40 ans. Il faut savoir que dans la nature, les femelles peuvent atteindre l’âge de 60-65 ans et les mâles, 40-45 ans. Les orques, peuvent atteindre 50-70 pour les mâles et jusque 100 ans pour les femelles.

Une des raisons de la grande différence d’âge entre le mâle et la femelle pour les orques réside dans le fait que la femelle allaite, ainsi elle se décharge de tous les polluants à travers le lait alors que le mâle, lui, les accumule.

Les autres sont nés en captivité, certains sont d’ailleurs nés en 2020 au Marineland et à Planète Sauvage.

Vous avez été invitée à une réunion du ministère autour de la question des sanctuaires, pouvez-vous nous en dire plus ?

Dans la proposition de loi, il est question de donner une définition du sanctuaire, mais pour nous, un sanctuaire ne peut être qu’en mer. La question de l’emplacement du sanctuaire se pose : le ministère envisage la possibilité d’un sanctuaire terrestre, avec de très grands bassins. On a dû expliquer au ministère que les parois et l’eau chlorée ne peuvent convenir. Ce serait anti écologique : il faudrait filtrer l’eau en permanence, au moyen de pompes et chauffer l’hiver. Faire un sanctuaire en béton reviendrait beaucoup plus cher que trouver un sanctuaire en mer, avec des doubles filets. Sur ce point, nous ne cèderons jamais, ce sera obligatoirement en mer ou le dialogue n’aboutira sur rien.

Il existe des projets en Europe, en Grèce et en Italie, ils devraient voir le jour dans peu de temps si les conditions de financements aboutissent.

Dans le Sud de l’Italie, il y a un projet, avec entre autres Richard O’Barry, qui a dressé Flipper. C’est un fervent défenseur des animaux depuis 40 ans. Un autre sanctuaire, dont nous sommes officiellement partenaire, est sur le point de voir le jour en Grèce. Un sanctuaire pour les orques et les bélougas est également en train de se monter en Nouvelle Ecosse.

On aimerait travailler avec le ministère sur la création en France d’un sanctuaire pour les dauphins, même si les conditions sont compliquées puisqu’il y les zones protégées Natura 2000. Il ne faut pas qu’il y ait beaucoup de marnage (c’est-à-dire de variations trop importantes entre la marée haute et la marée basse) car les dauphins risqueraient de se retrouver au sec. Il faut également éviter les lieux où il y a des tempêtes. Par conséquent, il faut éviter la côte entre La Rochelle et Hossegor, en raison des grandes plages avec des tempêtes, de l’absence de petites baies à fermer et des grandes marées. Le lieu idéal serait en mer méditerranée, mais il faut trouver des zones bien abritées où il n’y a pas de jet ski.

La forme juridique n’est pour le moment pas déterminée. Le ministère ne financerait pas seul les sanctuaires, néanmoins il pourrait y contribuer. Le projet de création de sanctuaires pourrait être porté par plusieurs associations et des mécénats. Il faudrait trouver un fonctionnement après la construction, afin de faire vivre les sanctuaires car,  les frais de nourriture et les soins, sont très élevés. Ainsi, certaines formes de visites ne sont pas à exclure, sous condition de ne pas venir troubler la tranquillité des cétacés. On pourrait également faire appel au système de parrainages, mettre en place des visites avec des scientifiques, mettre des caméras sous l’eau et proposer un abonnement sur internet. On peut donc trouver des financements, il faut juste y réfléchir. L’aspect refuge-pédagogique n’est pas exclure si les visites sont respectueuses des cétacés. A partir du moment où les cétacés peuvent se cacher à 200 mètres du rivage, il n’y a aucun souci. Le problème serait de les obliger à rester sur le bord, pour que les gens puissent les voir car cela deviendrait un delphinarium en mer.

Evidemment la reproduction serait interdite dans ces sanctuaires.

A priori, les sanctuaires auraient une existence courte, même si certains dauphins sont nés en 2020.

Il faut savoir qu’il n’est pas possible de mettre dans le même sanctuaire différents cétacés. De toute façon, en Méditerranée, il n’est pas possible de créer un sanctuaire pour les orques car il faudrait un espace beaucoup plus grand et ce sont des animaux qui sont habitués aux mers un peu plus froides, même si on peut en trouver dans le détroit de Gibraltar. Ce sont des animaux que l’on ne voit pas en Méditerranée. Alors que les dauphins, oui.  

Il faudrait au moins trois sanctuaires pour accueillir les 21 dauphins.

Un sanctuaire est à envisager comme un parc de retraite avec double filet distants de dix mètres afin d’éviter les contaminations avec les dauphins sauvages. C’est un espace fermé en mer.

Pour le moment aucune définition juridique du sanctuaire n’existe. Le ministère y travaille et un texte règlementaire va en donner une. C’est à nous de faire ce travail avec le ministère.

A-t-on intérêt à bien définir la notion de sanctuaire ?

Oui mais pour bien définir cette notion il faut au préalable bien définir les besoins de l’animal ; quels sont les besoins d’un dauphin et comment peut-on y répondre dans un espace marin fermé ? Pour ce faire, nous travaillons avec une docteure en biologie marine spécialisée en cétacés qui travaille en lien avec des vétérinaires spécialisés cétacés. De plus des études scientifiques connues existent, portées par des scientifiques comme Naomie Rose.

Ce qui est certain c’est que l’on n’acceptera jamais l’idée de sanctuaires terrestres ! Personne ne peut concevoir que l’on enlève des dauphins d’un bassin pour les remettre dans un autre, même plus grand !

On espère que tout va être voté avant l’été car le risque serait de repartir à zéro en raison des échéances électorales. Cela risquerait de tout remettre en cause.

Vous partez donc du postulat que les delphinariums vont êtes fermés ?

Non, je pars du postulat que l’on va arrêter la reproduction. Si, dans 7 ans, nous n’avons aucune solution pour les dauphins et que la seule solution consiste à les envoyer dans des delphinariums où la reproduction et les spectacles (cf. l’exemple d’Astérix) sont autorisés, cela n’a aucun intérêt ! Soit les cétacés finissent leur vie en France avec une réglementation interdisant la reproduction, soit nous attendrons encore. Si c’est pour les laisser partir en Suède où les conditions sont atroces (un véritable mouroir) et qu’ils continuent les spectacles et la reproduction, je n’y vois aucun intérêt. Nous ne sommes pas pour fermer les delphinariums dans 7 ans s’il n’y a pas de solution adaptée pour les animaux. S’il faut octroyer des dérogations, année après année, pour les dauphins en captivité, pourquoi pas.

Imaginons que la France décide l’interdiction des delphinariums, dans combien de temps les sanctuaires pourraient-ils être opérationnels ?

Normalement d’ici un an. J’espère que d’ici là en Grèce le sanctuaire pourra ouvrir ses portes mais ils n’accepteront les dauphins qu’au cas par cas et ne pourront de toute façon en accueillir que 6 ou 7. Or, il y a 21 dauphins en France. Le zoo de D’attica  en Grèce doit fermer : avec la Covid, ils n’ont plus les moyens de nourrir les animaux et d’autres dauphins sont concernés, dont 2 provenant du parc Astérix. Que vont devenir ces animaux ? On voit bien qu’avec la Covid, la situation des animaux en captivité s’est aggravée car il n’y a plus d’argent qui rentre.

Christine Grandjean, Présidente-Fondatrice de l’association C’est assez !

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Lalia Andasmas
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Juriste spécialisée en droit animalier

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