Numéro 15Politique & AnimauxInitiative législative populaire en Espagne pour abroger la loi constitutionnelle protégeant la tauromachie

Roger Lahana15 avril 20246 min

Depuis 2013, la tauromachie est protégée en Espagne de toute loi qui demanderait son abolition, du fait de son inscription dans la Constitution en tant que bien d’intérêt culturel (BIC).

Mais ce qu’une disposition juridique permet de faire, une autre permet de le défaire. Il est en effet possible de modifier cette disposition constitutionnelle en utilisant l’équivalent espagnol d’un référendum d’initiative populaire nommé initiative législative populaire. Pour être validée, une initiative législative populaire doit recevoir un total de 500 000 signatures dans les neuf mois qui suivent son enregistrement.

Le 4 janvier 2024, une délégation représentant différentes organisations de défense des droits des animaux a déposé l’initiative législative populaire au Congrès des députés espagnols. Parmi elles, citons AnimaNaturalis, représenté par sa directrice Aïda Gascon, et la plateforme La Tortura No Es Cultura qui regroupe 45 associations anticorrida en Espagne, représentée par Marta Esteban.

Marta Esteban (manteau bleu), Aïda Gascon (veste rouge) et les autres membres de la délégation

Le 1er mars 2024, le collectif d’associations anticorrida mentionné plus haut, structuré sous le nom de Commission de Promotion, en collaboration avec l’APDDA (Association Parlementaire de Défense des Droits des Animaux), a présenté l’initiative législative populaire en séance plénière au Congrès espagnol.

Jorge Pueyo, Aïda Gascon, David Calvo, Nahuel Gonzalez Lopez, Ruth Manzanares, Marta Esteban
1er mars 2024 à l’Assemblée, Madrid.

L’APDDA n’est affiliée à aucune tendance politique particulière et est composée de parlementaires et anciens parlementaires – députés et sénateurs – soucieux du bien-être animal. Elle a été créée au Congrès des députés espagnols le 19 décembre 2007, dans le but de promouvoir les initiatives législatives en faveur des droits des animaux. L’APDDA s’engage à travailler avec les acteurs sociaux sensibles à la souffrance animale, en créant un lobby pour dénoncer les mauvais traitements infligés aux animaux – notamment auprès des médias – et en menant, au sein des Chambres, des initiatives parlementaires en ce sens.

La loi 18/2013 du 12 novembre 2013, qui protège la tauromachie en tant que patrimoine culturel, porte atteinte aux pouvoirs régionaux et municipaux d’interdire ou de réglementer des spectacles qui génèrent pourtant un fort rejet social.

En fait, cette disposition étatique prive les conseils municipaux et les communautés autonomes du pouvoir de réglementer les manifestations de leur propre patrimoine culturel. Les compétences régionales sont par conséquent limitées et la tauromachie est protégée au-dessus de toute autre manifestation culturelle ou artistique.

C’est ainsi que l’abolition des corridas votée en Catalogne en 2012 a été annulée de façon rétroactive en octobre 2016 par le pouvoir central au motif que ce vote était inconstitutionnel du fait du statut de patrimoine culturel attribué à la corrida dans la Constitution, alors que la loi l’interdisant n’a été ajoutée qu’en 2013. De même, la réforme des corridas aux Baléares en juillet 2017 qui interdisait, entre autres, toute forme de blessure infligée aux animaux, suite à une action internationale à laquelle No Corrida avait participé, a été en majeure partie annulée en décembre 2018 par le Tribunal constitutionnel, sur saisine du Partido Popular (droite, l’un des soutiens majeurs de la corrida en Espagne avec Vox, extrême droite).

Pourtant, le ministère de la Culture a lui-même indiqué dans sa récente enquête sur la consommation culturelle le faible intérêt des citoyens pour les festivités taurines. Seulement 8 % des Espagnols ont assisté à une festivité taurine en 2018 sous quelque forme que ce soit (en personne ou à la télévision) et seulement 5,8 % y ont assisté dans une arène. Cela signifie que 92 % des Espagnols ne portent aucun intérêt aux corridas, voire s’y opposent, contrairement à l’image qu’on pourrait avoir du pays qui est historiquement à l’origine de ce divertissement cruel encore pratiqué dans huit pays (Espagne, Portugal, France, Venezuela, Mexique, Pérou, Colombie, Équateur).

Les dernières enquêtes d’opinion en Espagne montrent, de plus, qu’environ 80 % se déclarent contre l’utilisation d’animaux dans les corridas (sondage BBVA, 2022). On peut noter que ce pourcentage est sensiblement le même en France où il culmine à 87 % (sondage IFOP, 2022).

La seule façon d’abolir la corrida en Espagne est donc d’abroger auparavant son statut de bien d’intérêt culturel, lui retirant ainsi sa protection constitutionnelle. C’est l’objectif de l’initiative législative populaire décrite ici.

Le 4 janvier 2024, le collectif d’associations a déposé l’ILP visant à abroger la loi 18/2013 sur le patrimoine culturel de la tauromachie.

Début février, le Conseil du Congrès a validé l’enregistrement de cette opération. Un délai de neuf mois court désormais pour recueillir un total de 500 000 signatures afin que la question soit traitée à la Chambre du Congrès des Députés.

Cette initiative est portée par une Commission de Promotion composée de personnes ayant fait leurs preuves en matière de protection des animaux. Un groupe d’activistes anticorrida et de juristes s’est engagé à mener la campagne sociale la plus vaste et la plus ambitieuse pour que la corrida cesse d’être classée en tant que patrimoine culturel de l’Espagne. L’initiative bénéficie du soutien d’un nombre important d’organisations de protection des animaux et de l’environnement, de protection de l’enfance et d’associations culturelles.

Un processus très réglementé permet de recueillir les signatures. Toute personne en Espagne qui souhaite participer au recueil des signatures peut se déclarer auprès de la Commission de Promotion, afin de formaliser son inscription et de recevoir les documents officiels nécessaires au recueil des signatures.

Réunion d’information à Alicante, 23 mars 2024

D’ores et déjà, des dizaines de réunions publiques ont été mises en place. Elles visent à informer la population et à obtenir des signatures en se tenant dans les principales villes d’Espagne. Le calendrier détaillé figure sur le site noesmicultura.org, ainsi que toutes les autres informations relatives à l’ILP, dont son contenu proprement dit. Le hashtag sur les réseaux est #NoEsMiCultura.

La validation de l’initiative législative populaire ouvre la voie à un vote à l’Assemblée qui conduira à l’abolition de la corrida en Espagne.

L’auteur remercie Aida Gascon et Marta Esteban pour leurs apports majeurs au contenu de cet article et pour l’extraordinaire énergie qu’elles déploient depuis des années pour obtenir l’abolition des corridas en Espagne.

Crédit photos : AnimaNaturalis


Roger Lahana
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Président de No Corrida
Secrétaire fédéral de la FLAC (Fédération des Luttes pour l’Abolition des Corridas)
Référent pour la France du Réseau International contre la Tauromachie
Membre plénier de la World Federation for Animals

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