Nous vivons dans une société paradoxale vis-à-vis des animaux : certaines personnes aspirent pour eux à plus de reconnaissance et de protection, alors que d’autres les considèrent (encore) comme des biens, voire du jetable. Cette dualité touche tous les animaux, même ceux qui sont a priori les mieux protégés, nos animaux de compagnie. Parmi les « sujets qui fâchent » au quotidien dans la pratique vétérinaire lorsqu’on parle de protection individuelle de l’animal émerge le sujet de l’identification de ces animaux de compagnie, entre obligation ou non, refus des propriétaires, ou au contraire demande peu commune. Petite analyse…
L’animal de compagnie, qui est-il ?
Le définir est indispensable pour savoir si son identification est obligatoire ou non selon la loi. La Convention européenne pour la protection des animaux de compagnie et le Code rural et de la pêche maritime le définit comme étant « tout animal détenu ou destiné à être détenu par l’homme pour son agrément »[1]. De ce fait, les animaux de compagnie traversent les catégories dans lesquelles les enferment les hommes : ils peuvent être domestiques (appartenant à une espèce ayant subi des modifications, par sélection, de la part de l’homme) ou non domestiques, c’est-à-dire sauvages. Les animaux domestiques sont listés dans l’annexe de l’Arrêté du 11 août 2006 fixant la liste des espèces, races ou variétés d’animaux domestiques. Si un animal n’y apparaît pas, il est non domestique (ce qui n’est pas très logique pour certains comme l’octodon ou les hamsters nains, par exemple). Par contre, la liste positive des animaux non domestiques dont la détention en animal de compagnie est possible, prévue par la loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes n’a toujours pas été publiée deux ans après, tout comme son décret d’application…
Enfin, il faut également penser aux animaux qui ne sont pas, d’un point de vue légal, des animaux « de compagnie » mais que la société commence à considérer comme tels : les chevaux, les poules par exemple. En effet, la loi, a minima concernant les soins vétérinaires, les considère comme des animaux de production (viande, œufs…) ou de travail car ils ne sont pas à nos côtés uniquement pour «notre agrément». Ce statut sera amené à évoluer sans aucun doute sous la pression sociétale !
Identification obligatoire : pour qui ? et comment ?
Concernant les animaux de compagnie domestiques, seuls les carnivores domestiques, chiens, chats et furets doivent être obligatoirement identifiés : avant l’âge de 4 mois pour les chiens, 7 mois pour les chats, et 7 mois également pour les furets nés après le 1er novembre 2021. Notez qu’aucune autre espèce parmi les animaux de compagnie, même les plus représentés dans les foyers, n’a l’obligation d’être identifiée : lapin, cobaye et tant d’autres… L’identification est gérée par le fichier I-CAD[2], et la loi prévoit qu’elle soit réalisée avant la cession. Elle se fait par tatouage ou par transpondeur carnivores domestiques (puce électronique) mais seul le transpondeur est officiellement reconnu en Union Européenne pour tout animal né après le 3 juillet 2011, et ce même si son tatouage est lisible. En cas de voyage à l’étranger, il est possible de coupler ces deux identifications lors de la pose du transpondeur.
Pour les animaux de compagnie non domestiques, les choses sont plus compliquées. En effet, c’est un arrêté bien obscur de 2018[3] qui indique les conditions qui rendent l’identification d’un animal donné obligatoire : « les mammifères, oiseaux, reptiles et amphibiens des espèces ou groupes d’espèces inscrits sur les listes établies en application des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l’environnement ou sur les listes des annexes A à D du règlement n° 338/97 du 9 décembre 1996 susvisé, doivent être munis d’un marquage individuel et permanent, effectué, selon les procédés et les modalités techniques définis en annexe 1, sous la responsabilité du propriétaire, dans le délai d’un mois suivant leur naissance. » Autant dire qu’il n’est pas facile de s’y retrouver, à moins d’être très formé en droit animalier ! Heureusement, le fichier responsable de ces identifications, I-FAP[4], offre une liste déroulante des animaux concernés par cette identification obligatoire. Par contre, attention, la liste est sous une forme un peu complexe où il faudra connaître la taxonomie[5] des espèces ! Néanmoins il apparaît déjà que seules les espèces protégées ou susceptibles de présenter un danger physique ou sanitaire pour l’homme sont concernées. Là encore, l’identification est à réaliser avant toute cession. Les procédés d’identification sont tous spécifiés dans l’arrêté de 2018 selon l’espèce : le tatouage (bien moins fréquent à présent) pour les mammifères, mais surtout le transpondeur faune sauvage qui est utilisable sur quasiment toutes les espèces de mammifères, oiseaux, reptiles et amphibiens. Les chiroptères et oiseaux peuvent également être identifiés par bague ouverte ou fermée. Dans le cas des reptiles et des amphibiens, lorsque le marquage par transpondeur ne peut être pratiqué en raison de leurs caractéristiques biologiques ou morphologiques, l’identification photographique, datée et accompagnée d’une échelle graduée est possible.
Quel que soit l’animal de compagnie identifié, il est important et obligatoire de procéder aux changements d’adresse ou de coordonnées, aux changements de détenteur (d’autres formalités peuvent être également à accomplir, notamment concernant la faune sauvage protégée), de déclarer la perte ou le décès de l’animal.
Enfin, en ce qui concerne les animaux d’élevage « de compagnie en devenir », les chevaux ont une obligation d’identification (fichier SIRE)[6] ainsi que les bovins, ovins, caprins, ce qui n’est pas le cas pour les lapins et les oiseaux de ferme, tels que poules, oies…qui sont souvent plutôt considérés en « lots ».
Quels intérêts à l’identification ? Et qui contrôle ?
Pourquoi certains animaux sont-ils donc identifiés de façon obligatoire et d’autres non ? Parce qu’à la base l’identification n’a pas été mise en place pour protéger son porteur mais pour protéger l’homme : on identifie les carnivores domestiques suite au risque de rage, les animaux « exotiques » sont quant à eux identifiés pour « tracer » d’éventuelles transmissions de zoonoses[7] aux humains, mais aussi dans le risque éventuel que, relâchés de façon volontaire ou accidentelle, ces espèces deviennent des Espèces Exotiques Envahissantes[8], prenant la place des espèces autochtones (comme la désormais célèbre tortue de Floride et notre Cistude d’Europe). Néanmoins, comme l’a signalé le sénateur Bazin lors du dernier colloque dédié à l’épidémio-surveillance des animaux de compagnie[9], tout animal est susceptible d’être porteur de pathogènes possibles, même nos NAC domestiques comme les lapins nains. L’identification permet également de lutter contre le trafic d’animaux, tant sauvages que domestiques (les chiots des fermes-usines des pays de l’Est), 3ème trafic mondial[10]…
Mais bien sûr, le rôle le plus connu et reconnu de l’identification par tout un chacun est celui de « personnaliser », d’individualiser l’animal qui acquiert une identité propre aux yeux des humains. C’est un signal fort qui permet de passer de la considération que l’on peut porter à une espèce à la considération d’un individu-animal pour lui-même. Même si le but premier de l’identification n’était pas celui-là, force est de constater que l’animal en retire de nombreux avantages, dont celui de pouvoir nous accompagner dans la plupart de nos voyages.
Cette identification est également une preuve de « propriété », même si seule elle ne suffit pas à asseoir ladite propriété : en cas de litige, un juge prendra ce document en compte mais se penchera également sur d’autres faits : qui a signé le certificat de cession, qui soigne l’animal au quotidien, qui paie ses aliments et ses soins vétérinaires…En cas de vol d’animal, l’identification est nécessaire et obligatoire pour toute plainte et recherche. Et dans le cas d’un animal perdu ou trouvé, elle constitue le seul lien qui permette de retrouver son propriétaire : à cet effet, tout animal qui arrive dans les services de fourrière doit voir son identification recherchée, et son propriétaire doit être contacté au plus vite (dans le cas où les cordonnées sont à jour, d’où l’importance de les actualiser !). Pour mémoire, le fichier I-CAD qui gère l’identification des carnivores domestiques (chiens, chats, furets) annonce en 2020 41119 animaux retrouvés grâce à leur identification, dont 61.5% de chats[11].
Enfin, notons qu’en cas d’abandon, si l’auteur n’est pas pris sur le fait (et encore…), il n’y aura guère de possibilité de le poursuivre pour ce délit puisqu’aucun lien ne pourra être établi facilement entre lui et l’animal en l’absence d’identification de celui-ci à son nom. D’où la pléthore de lapins, rats, hamsters et autres petits animaux lâchés dans la nature, en toute impunité, alors même que la loi est censée les protéger, avec des peines possibles encore plus sévères si leur vie est mise en danger lors de cet abandon[12], choses indéniable pour ces petits animaux…
Pour finir sur ce volet répressif, qui contrôle de fait que l’obligation d’identification d’un animal donné est respectée ? Quiconque possédant un pouvoir de police : police, gendarmerie, maires, préfets, DDPP…mais en aucun cas le vétérinaire. Ce dernier n’a aucun pouvoir de signalement à cet effet, par contre il a un devoir d’information inscrit dans le Code de déontologie[13]. Pour prouver que ce devoir a été rempli et avertir le propriétaire des risques de contraventions encourus lors de non-identification, le praticien peut l’amener à signer une attestation d’information[14], ce qui constitue son seul pouvoir d’agir pour le bien de l’animal et sa protection…
Par contre, pour tous ceux dont l’identification n’est pas obligatoire (les lapins par exemple), n’y-a-t-il donc aucune protection en cas de perte, aucune protection face aux abandons ? Pourtant, la demande existe…
Et si ce n’est pas obligatoire pour mon animal mais que je veux le faire ?
Cela s’avère possible, par transpondeur faune domestique et sur le fichier VETONAC[15]. Contrairement à ICAD et IFAP, ce fichier est géré par le SAPV[16] et n’a pas de délégation de l’État, puisqu’il est dédié aux animaux dont l’identification n’est pas légalement obligatoire. Mais grâce à lui, on peut identifier les autres NAC domestiques, lapins, rats, cobayes et autres, également les NAC non domestiques qui n’apparaissent pas dans la liste de l’IFAP et dont l’identification n’est donc pas obligatoire, mais aussi les animaux de rente « de compagnie » dans le cœur de leurs possesseurs comme la poule ! Comme sur IFAP, vous pourrez trouver dans la liste déroulante de VETONAC tous les animaux susceptibles d’y être inscrits, et cette liste vous indiquera de surcroît s’il s’agit d’un animal d’espèce domestique ou de la faune sauvage. Bien sûr les espèces sont présentées également selon leur taxonomie, mais quelques recherches sur le web permettent de trouver ces renseignements.
L’identification des animaux de compagnie quels qu’ils soient (dans la limite de la faisabilité technique bien sûr !) s’avère un incontournable virage à prendre pour leur protection, comme l’ont déjà compris de nombreux acteurs du monde des animaux, même au sein des animaleries…
[1] Article L214-6 I du Code rural et de la pêche maritime.
[3] Arrêté du 8 octobre 2018 fixant les règles générales de détention d’animaux d’espèces non domestiques.
[5] La taxonomie consiste à décrire et circonscrire en termes d’espèces les organismes vivants et à les organiser en catégories hiérarchisées.
[6] Décret n°2001-913 du 5 octobre 2001 relatif à l’identification et à l’amélioration génétique des équidés et modifiant le décret n° 76-352 du 15 avril 1976 fixant les modalités d’application aux équidés de la loi n° 66-1005 du 28 décembre 1966 sur l’élevage.
[7] Une zoonose est une maladie infectieuse qui est passée de l’animal à l’homme.
[8] Les espèces exotiques envahissantes (EEE) désignent certains animaux ou végétaux dont leur introduction par l’Homme, volontaire ou fortuite, sur un territoire représente une menace pour les écosystèmes.
[10] code-animal.com/trafic-danimaux-sauvages-des-consequences-multiples
[11] i-cad.fr/uploads/21.05.Barometre.Declarations.Perdus.Recuperes.pdf
[12] Article 521-1 du Code pénal.
[13] Article R242-48 du Code rural et de la pêche maritime.
Dessins : ©Carole Tymoigne Facebook
Brigitte Leblanc
Vétérinaire