Animaux domestiquesNuméro 3Des vétérinaires français procorrida, un groupuscule de 70 membres

Roger Lahana15 avril 202116 min

La France compte environ 19 000 vétérinaires. De façon curieuse, rien dans leur code de déontologie ne vient préciser que leur “premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé” des animaux, pour reprendre les termes du serment d’Hippocrate en médecine humaine. La seule mention de leur devoir envers les animaux apparaît dans une sous-section de leur code de déontologie, de façon plutôt vague: “Le vétérinaire respecte les animaux.” (8e alinéa de l’article 242-33 qui en compte dix-neuf portant sur des aspects pouvant aussi bien s’appliquer à des notaires). Le serment de Bourgelat prêté par les vétérinaires ne parle que de droiture et d’honneur sans jamais mentionner le terme “animal”.

Bien entendu, cela n’empêche pas des vétérinaires de terrain d’être au service de la santé des animaux (mis à part ceux qui servent de caution douteuse à leur exploitation industrielle). Le fait de respecter les animaux pouvant s’interpréter de multiples manières, rien n’empêche non plus certains vétérinaires d’exalter la pratique de “sévices graves et actes de cruauté sur des animaux“, un délit réprimé par le code pénal partout en France, sauf s’il est commis sur des bovins lors des 120 à 130 corridas avec mise à mort qui se tiennent tous les ans dans onze départements du sud du pays (la même immunité protège également les organisateurs de sanglants combats de coqs dans le nord). 

À la fois vétérinaire et procorrida, un groupuscule d’environ 70 membres

De tels praticiens sont fort heureusement peu nombreux: l’Association Française des Vétérinaires Taurins (AFVT) regroupe environ 70 membres, à comparer aux plus de 2600 qui font partie du Collectif des Vétérinaires pour l’Abolition des Corridas (COVAC).

Comment ces vétérinaires procorrida concilient-ils leur mission première – celle de soigner des animaux ou, au minimum, de les soulager lorsqu’ils souffrent – et leur passion pour un spectacle de torture rituelle sur des veaux, taurillons ou taureaux transpercés par diverses armes blanches pendant vingt minutes avant d’être achevés ?

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Une corrida se pratique en trois phases appelées les tercios ou tiers:

  • Le premier tercio est celui où un cavalier, le picador (ou piquero), enfonce à plusieurs reprises une lance de 2m60 de long munie d’une pointe en acier, ceci afin de “châtier” le taureau d’on ne sait quelle faute, en réalité de léser les muscles de son cou pour qu’il ne puisse plus garder la tête haute, lui donnant ainsi un air plus menaçant et favorisant sa mise à mort par le matador en exposant la zone où l’épée sera enfoncée.
  • Dans le second tercio, des hommes plantent des harpons (les banderilles) dans le dos du taureau afin de l’affaiblir un peu plus par hémorragie et d’accentuer son stress face à la douleur.
  • Le troisième tercio est celui où le matador (tueur en espagnol) finit d’épuiser l’animal en le faisant charger de façon répétée, puis plante à la base de la nuque son épée jusqu’à la garde pour le faire s’effondrer, les poumons transpercés. Le taureau est ensuite achevé à coups de poignard dans le cervelet.

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Les membres de l’AFVT trouvent à cette agonie épouvantable des occasions de s’extasier médicalement dans une série de textes détaillés, mis en ligne pendant plusieurs années sur le site terredetoros.com, mais supprimés depuis la refonte de ce site début 2021. Fort heureusement, nous en avions réalisé une sauvegarde auparavant.

L’un d’entre eux analyse en détails les “causes d’épuisement physique du toro lors du premier tiers “. Il explique qu’il ne faut pas trop forcer sur la pique si l’animal est en mauvais état physique, non pas par bonté d’âme mais pour éviter que le spectacle ne s’arrête trop vite.

En revanche, si le taureau est en forme, le picador peut y aller carrément: “Quand le toro pousse, que le cheval s’arqueboute et que le piquero use de son quintal pour manier la pique, la profondeur de la trajectoire malgré la cruceta peut atteindre 30 cm, voire plus (il m’est arrivé […] d’entrer ma main puis la moitié de l’avant-bras dans des plaies)“. La cruceta est un butoir proche de la pointe de la pique, supposé empêcher que cette dernière ne s’enfonce trop profondément, en vain comme on le voit.

Et il continue son cours d’anatomie par ces mots: “Si cette pique est portée dans une zone telle que l’épaule, le thorax, les parties postérieures au garrot, le risque est réel que la blessure du châtiment soit irréversiblement invalidante donc éthiquement scandaleuse, sans compter que là il n’y a plus de suite au combat. Ce risque n’existe pas pour des piques plus antérieures, soit dans le morillo [zone responsable des mouvements d’extension de la tête] (mais un tel toro si par extraordinaire [il est] gracié, les lésions quelle que soit leur position et l’infection de la plaie à une profondeur considérable donc sans drainage possible rendent l’animal irrécupérable)“. En clair, l’animal n’a plus aucune chance de survie, même s’il est prétendument gracié.

Quant à l’hémorragie qui en résulte, l’auteur cite ce dicton: “Il n’y a pas de bonne pique s’il n’y a pas de sang jusqu’aux sabots“.

Un autre vétérinaire aficionado s’interroge sur l’utilité du second tercio, celui des banderilles. En effet, après avoir eu les muscles du cou sévèrement lésés, “il s’agit d’un intermède pendant lequel le toro se repose, s’aère, récupère“. Vous avez bien lu: pour un vétérinaire fan de corrida, rien de mieux pour se reposer que de s’enfoncer des harpons dans le dos.

Un expert appelé en renfort “prend bien la précaution d’ajouter que sa théorie n’a de sens qu’avec des banderilleros habiles, adroits, intelligents, rapides, précis, ce qui, avouons-le, n’est pas la majorité de la profession…” Cela se veut drôle, pour décrire un grade de plus dans l’horreur.

Qu’en est-il de l’aspect purement médical? “Ses membres, en particulier les antérieurs, ont été soumis à des chocs avec le sol lorsqu’il sortait des premières passes, puis à des torsions lorsque, capté par l’étoffe, il se retournait vivement pour y revenir de nouveau […]. Au niveau musculaire, il a fortement entamé sa réserve de glycogène […] les muscles de ses membres sont engourdis. Au niveau circulatoire, l’effort produit […] provoque une hyper congestion, une hyperhémie et une cyanose, au niveau notamment du morillo, mais aussi de tout l’avant du taureau.

Le praticien en conclut que dans la plupart des cas, « la pose des banderilles est inutile et peut même être parfois néfaste. » Enfin un peu d’humanité? Pas du tout, puisqu’il ajoute: “Mais reconnaissons qu’elle nous manquerait pourtant“.

D’autres vétérinaires de l’AFVT analysent dans leurs publications la façon idéale d’engraisser un taureau pour qu’il pèse autour de 500 kg arrivé à l’âge de 4 ans, celui où il sera envoyé aux arènes ; ou discutent doctement des bons et mauvais côtés de la consanguinité dans les élevages destinés aux arènes ; ou encore, de l’emplacement anatomique parfait où doit être enfoncée la pique lors du premier tercio, juste assez pour lui faire baisser la tête, mais pas trop pour qu’il survive jusqu’au bout.

Voilà donc ce que signifie pour un vétérinaire aficionado le fait qu’il “respecte les animaux“: tout faire pour que les suppliciés des arènes succombent selon les règles.

Le Conseil de l’Ordre des vétérinaires se positionne clairement contre la corrida

L’Ordre des vétérinaires français a répondu fin 2016 à la demande du COVAC portant sur l’engagement de certains vétérinaires pour la corrida par la voix de son président le Dr Michel Baussier. Il se positionne clairement contre la corrida, et invite chaque vétérinaire à s’interroger sur sa position face à la corrida, du point de vue de l’éthique personnelle comme du point de vue de la dignité de la profession. Voici un extrait particulièrement significatif de ses conclusions :

« Dans les spectacles taurins sanglants, la douleur infligée aux animaux n’est pas contestée. Dans la pratique de la corrida, c’est précisément cette douleur qui augmente les réactions défensives des animaux, leur stress psychologique et physique et donc leur agressivité. Elle conditionne ainsi le succès du spectacle. […] Les spectacles taurins sanglants, entraînant, par des plaies profondes sciemment provoquées, des souffrances animales foncièrement évitables et conduisant à la mise à mort d’animaux tenus dans un espace clos et sans possibilité de fuite, dans le seul but d’un divertissement, ne sont aucunement compatibles avec le respect du bien-être animal. »

Photos © Jean-Marc Montegnies, Animaux en Péril, Alès 2013

Roger Lahana
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Président de No Corrida
Secrétaire fédéral de la FLAC (Fédération des Luttes pour l’Abolition des Corridas)
Référent pour la France du Réseau International contre la Tauromachie
Membre plénier de la World Federation for Animals

Il y a un commentaire

  • Krajewski

    25 avril 2021 à 3h37

    Dans le domaine médical que cela soit pour les hommes ou les animaux, il faut bp de mémoire!!!
    MALHEUREUSEMENT le but n’est souvent pas le même pour tous! Il y a ceux qui le font pour l’argent car c un métier assez lucratif !
    Il y a ceux qui le font pour briller en société, et d’autres pour assouvir un besoin de domination sur les faibles! Je met en dernier ceux qui le font par vocation et ceux là sont le moins nombreux . Faire ces métiers de soignants veto ou humain exigent une dévotion sans réserve hors dans le domaine véto avoir ce désire inavouable de plaisir quand on voit des animaux souffrir est criminel et la justice devrait s’en préoccuper au même titre que ceux qui tuent par plaisir!!! L’état d’esprit de ces gens devraient être psychanalysé ! Leur métier ne doit pas servir de rampart et de protection pour assouvir leur déviance psychologique !!!!

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