Le 25 mars dernier lors de la publication de la mise la jour de la liste rouge des espèces menacée de l’IUCN (International Union for Nature Conservancy), le statut de l’éléphant de savane d’Afrique (Loxodonta africana) est passé de « vulnérable » à « en danger ». La diminution annuelle de sa population est estimée à 8% en 2015 (IUCN). Elle est alimentée par le trafic international d’ivoire et le morcellement des espaces de vie. Les réponses apportées aux situations conflictuelles qui les opposent aux humains avec lesquels ils partagent leur habitat est un des enjeux clefs de l’existence de futures populations libres de mouvement.
Comment se déroulent ces conflits et quelles réponses apporter ? Est-il possible de promouvoir des formes de coexistence qui garantissent aux populations de demain d’occuper l’espace en accord avec leurs manières d’être vivant et si oui, dans quelle mesure ?
Au nord du Mozambique, dans la savane boisée du Parc National de Gilé, le miombo, la population d’éléphants n’est plus que l’ombre de ce qu’elle a pu être dans le passé. En 2014, déjà, elle n’était plus estimée qu’à 80 individus. La faiblesse de cet effectif est en partie l’aboutissement de la persécution incessante des pachydermes pour leur ivoire depuis le début du XVIII ème siècle ainsi que la résultante de la politique d’éradication de la mouche tsé-tsé dans les années 1960 qui reposait sur l’élimination des espèces porteuse de la bactérie du genre trypanosome, cause de la « maladie du sommeil ».
Actuellement, la situation dans laquelle se trouve cette population est complexe. Les tensions croissantes que leur voisinage provoque peut se traduire par des incidents mortels. Ainsi, en 2016, quatre carcasses d’éléphants écornées ont été retrouvées à proximité du Parc.
Le cas particulier du Parc National de Gilé met en lumière les enjeux transverses entourant les conflits homme/éléphants. Afin de pacifier la cohabitation, les agents du Parc ont cherché à mieux comprendre les éléphants. L’écoute est une composante essentielle dans l’établissement d’un dialogue avec une autre espèce : elle laisse une place à l’expression de l’autre, posant les jalons d’un échange.
Une situation conflictuelle typique
Ricardina est la matriarche qui mène le plus grand troupeau du Parc de Gilé. Ses déplacements sont suivis par la balise GPS qu’elle porte autour du cou et qui transmet sa position. Cet outil permet de comprendre sa manière d’occuper l’habitat avec son groupe. Ils vivent dans l’ouest du Parc et de façon saisonnière à l’extérieur de l’aire protégée. Des individus solitaires comme Alessandro, un grand mâle au tempérament aventureux, ou José, un jeune ayant quitté le troupeau il y a quelques années, tous deux également suivi par GPS, gravitent occasionnellement autour du groupe de Ricardina. Il y a aussi tous les autres, les anonymes qui ne sont pas équipés de balises, dont le passage se lit dans les empreintes ou dans la courbure des troncs brisés.
A proximité du Parc de Gilé, on circule librement, aucune clôture n’enfreint le déplacement des populations humaines et non-humaines. Cette liberté induit de nombreuses tensions entre les espèces. Le passage de la famille de Ricardina est une calamité pour les membres de la communauté villageoise de Ratata dont les récoltes ont été dramatiquement dévastées par le troupeau. Or la subsistance des hommes dépend principalement de la vente saisonnière de produits agricoles. La nécessité où se trouvent les éléphants de se nourrir en même temps qu’eux menace directement l’alimentation de foyers déjà précaires.
Les mouvements du troupeau de Ricardina sont motivés par des contraintes liées à l’habitat. Au cours de la saison sèche, de Août à Novembre, le Parc brûle dans son intégralité. Bien qu’il s’agisse d’une des caractéristiques écologiques du miombo (K.Käll, 2016), le phénomène impose un stress alimentaire important à l’ensemble de la communauté des êtres vivants qui le peuple.
Les incendies, souvent d’origine humaines, sont utilisés pour la chasse et la mise en valeur de surfaces agricoles. Savamment protégées des flammes par leurs propriétaires, les productions des champs apparaissent comme les dernières ressources disponibles pour les herbivores de l’aire protégée. Dans cette situation paradoxale, la cause du conflit inter-espèces résulte d’une habitude humaine évitable.
Vers un modus vivendi conditionné
L’espace de vie occupé aujourd’hui par les éléphants ne correspond pas à ce qu’il était dans le passé. Pour se nourrir, les humains ont rationnalisé les espaces, utilisé les lits de rivière pour la fertilité de leur sol et « valorisé » certains espaces forestiers du coup transformés en champs. La satisfaction des besoins primaires des éléphants a été progressivement conditionnée par les usages des « services écosystémiques » humains (V.Maris, 2014). De ce fait, les tensions liées à la coexistence entre humains ayant besoin davantage de terres et de ressources et les non-humains subissant l’émiettement de leurs espaces de vie sont devenues de plus en plus prégnantes.
De ce fait, l’éléphant a pris une image monstrueuse dans l’imaginaire collectif au fil des années : « agressif », « carnivore », « mangeur d’enfant ». Sa présence est crainte et suscite des réactions émotionnelles fortes alimentées par les récits parfois romancés des accidents mortels passés. Lors de rencontres fortuites et souvent lointaines, les blessures des chutes lors des bousculades engendrées par la fuite que suscite son approche, alimentent la représentation féroce de l’éléphant.
Afin de limiter les interactions, à la fin de la guerre dans les années 1990, plusieurs communautés villageoises de la zone périphérique du Parc de Gilé avaient déplacé zones de cultures et maisons loin des parcours des pachydermes. Toutefois, à l’heure d’une nouvelle phase d’étalement humain, l’efficacité de ces mesures se retrouve nuancée.
linkedin.com/in/basile-guillot
Basile Guillot
Préservationniste engagé pour le respect des cultures indigènes @ Parc National de Gilé