EthologieNuméro 5Cohabiter avec les éléphants: répondre aux tensions, prévenir les conflits (2/3)

Basile Guillot15 octobre 20215 min

Les problématiques induites par la cohabitation entre les éléphants du Parc National de Gilé et les populations locales mettent en lumière des enjeux inhérents à la coexistence inter espèce.

Grâce aux données GPS transmises par Ricardina, la matriarche qui mène le plus grand troupeau du Parc de Gilé, un « refuge » ou les éléphants se rendent systématiquement après une incursion dans les champs a été identifié. Il s’agit d’un bosquet de quelques dizaines d’hectares qui tapisse les contreforts de formations rocheuses. Une zone inaccessible où l’homme ne s’aventure que pour des chasses risquées. Alessandro et José, les mâles solitaires, fréquentent également le bois, ce qui atteste de son importance sociale. L’interprétation de textes d’éthologie comportementale (Caitlin O’connel, 2018), propose des pistes d’explications à cette habitude qui pourrait être rapprochée de préoccupations humaines. Au-delà de la conception sécuritaire que représente ce pan de forêt, le « passage obligé » des éléphants renverrait à l’histoire du troupeau et à son imaginaire collectif.

Du côté des hommes, des stratégies ont été déployées pour faire face aux incursions des éléphants dans les zones agricoles. L’enjeu est de taille, il vise à suggérer un cadre de partage du territoire perceptible par une autre espèce. Suffiront-elles à permettre de protéger les uns du danger d’extinction qui les menace tout en assurant aux autres de continuer à nourrir leurs familles sans redouter de voir piétiner leurs récoltes ?

La prévention des conflits pose la base d’une cohabitation pacifiée

Les stratégies dites « passives » renvoient à la prévention des incidents. Il s’agit ici d’anticiper les conflits et de mettre en place des mesures visant à les éviter.

La mise en place de ruchers à l’endroit où passaient les confrères de Ricardina pour accéder aux champs a été une première forme de prévention déployée dans le Parc de Gilé.  Le bourdonnement caractéristique d’un essaim d’abeille effraye l’éléphant qui recule face à la menace des piqures. Cette technique a fait ses preuves au Kenya en permettant de canaliser les migrations annuelles d’éléphants.

Les apiculteurs de Ratata présentent le couvain de leur ruche
Photo © Basile Guillot

A travers de l’apiculture, l’homme va adopter un point de vue différent par rapport à son environnement. La recherche des floraisons successives des arbres qui produisent les nectars dont les abeilles se délectent, va le conduire à protéger la forêt des feux. Au-delà de la prévention du conflit, une des causes de la carence alimentaire subie par les éléphants, les incendies, est combattue.

D’autres membres de la communauté sont impliqués dans un programme de champs-pilotes conçus pour canaliser les passages d’éléphants. Les cultures sont entourées de lignes d’arbustes de piment et délimitées par des briques de terre cuite. Ces lignes séparent les zones de production de passages herbeux assez larges pour que plusieurs pachydermes puissent y circuler de front. Cette iniatiative protège la subsistance des hommes sans impacter les déplacements des populations non-humaines. Dans le processus de prise en compte des usages mutuels, les barrières végétales permettent à l’homme de ménager un espace aux éléphants dans sa réalité.

Il existe de nombreuses stratégies « passives » qui ont été déployées avec succès dans d’autres endroits : tranchées creusées dans le sol, suspension de matériaux réfléchissant la lumière, tours à vent qui produisent des sons, etc. Il n’existe pas une solution adaptée à toutes les situations, les populations et les contextes étant différents.

La mise en place de barrières électrifiées a été la solution privilégiée pour répondre aux conflits dans de nombreux cas. Toutefois, en plus d’avoir une efficacité discutable, ce type d’intervention perturbe la continuité écologique de l’habitat. En effet, les barrières éclatent la communauté d’être vivants, isolant l’homme dans un monde moins sauvage et enfermant les non-humains dans des zoos géants. 

Cependant en attendant que les essaims se développent ou que le piment ne pousse, les familles doivent faire face aux éléphants et à leurs incursions.

Les réponses « actives » aux incursions

Des stratégies dites « actives » renvoient aux mesures mises en place en réaction à des situations conflictuelles, elles visent à repousser et à mettre en fuite les éléphants.

Traditionnellement les chefs de familles se juchaient au sommet d’une termitière pour pousser des cris afin de maintenir les éléphants à distance de leur champs. Cependant l’accoutumance de ces derniers aux messages sonores et la faible mobilité du groupe a limité l’efficacité de cette réponse.

Refuge traditionnel de mise en fuite au sommet d’une termitière
Photo © Basile Guillot

Il y a quelques années, les équipes du Parc de Gilé ont enseigné des formes de réponses plus sophistiquées à des groupes d’intervention locaux. Équipés de torches puissantes, de sifflet, d’instruments de musique et de fumigènes, ils allaient au contact des éléphants afin de les impressionner et les faire reculer. Cette pratique expose les participants à des représailles qui peuvent s’avérer mortelles.

De nouvelles techniques moins dangereuses ont été enseignées aux populations. Par exemple, des blocs de bouse de vache mélangés avec de la poudre de piment et de l’huile de moteur sont enflammés ce qui produit une fumée irritante qui repousse les éléphants. Certains représentants des groupes d’intervention ont été formés à l’utilisation de fusils à air comprimé qui dispersent de la poudre de piment. Ces lanceurs fabriqués avec du matériel de récupération ont été pendant plusieurs années les instruments de dispersion les plus efficaces.

Face à l’augmentation des crispations le long des voies d’accès qui lient le « refuge » de Ricardina aux champs de la communauté de Ratata, des nouveaux instruments de réaction plus rapides sont déployés. Des groupes ont été ainsi été formés à l’usage de feux d’artifice qui, une fois tirés, produisent un puissant signal lumineux et sonore, perceptible par toutes les espèces.


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Basile Guillot
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Préservationniste engagé pour le respect des cultures indigènes @ Parc National de Gilé

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