Numéro 6Droit animalierCaptivité des animaux sauvages et incarcération : même combat ?

Estelle Derrien17 janvier 20226 min

Début 2020, le Doyen François-Xavier Roux-Demare de l’Université de Bretagne Occidentale (UBO), a lancé un appel à contributions pour son projet d’ouvrage collectif intitulé « Animal & Santé » paru en septembre 2021 aux éditions Mare & Martin. Plusieurs angles d’études ont été proposés et se retrouvent aujourd’hui dans trois chapitres[1] suivis des propos conclusifs du Professeur Jean-Pierre Marguénaud, Directeur de la Revue semestrielle de droit animalier. Il m’est immédiatement apparu que ce thème ne pouvait pas être développé sans aborder celui des conséquences et par là-même des fondements juridiques de la captivité à l’égard de tout animal, c’est-à-dire en incluant les humains. Nous oublions en effet trop souvent que l’Homme est un animal et que les animaux non humains devraient plutôt être qualifiés, d’un point de vue sémantique, de bêtes afin de les différencier des animaux humains.

Quoi qu’il en soit, au vu du nombre de caractères autorisés pour sa rédaction, la contribution proposée s’est limitée à une comparaison entre les animaux sauvages tenus en captivité d’un part et les humains incarcérés d’autre part. L’un des arguments sur lesquels repose l’opposition à toute forme de captivité des animaux, que ce soit dans les cirques, les zoos ou les delphinariums, tient aux conséquences de cette captivité sur la santé animale qui peuvent notamment se manifester par des stéréotypies ou une faible espérance de vie. Or de tels constats ne sont pas sans rappeler les alertes régulières de l’Observatoire international des prisons (OIP) sur les conditions d’accès à la santé et le taux de suicides en milieu carcéral. C’est ainsi que ma contribution commence par rappeler une étude présentée par le Professeur Nouët et le Docteur Proust en 1976 lors des Assises internationales de l’environnement[2]. Nonobstant son ancienneté, elle est en effet toujours d’actualité et a permis de relever des similitudes entre les maladies contractées par des prisonniers d’une part et par des primates tenus en captivité d’autre part. Et elle est d’autant plus d’actualité que concomitamment à l’envoi des propositions de contribution, les humains étaient confrontés à une pandémie mondiale les contraignant à être confinés, confinement qui a engendré, du moins pour certains, une prise de conscience des conditions imposées aux animaux captifs contre leur gré.

Mais si les conséquences de l’incarcération sur la santé humaine d’un côté et de la captivité sur la santé animale de l’autre sont comparables, les origines de ces enfermements ne le sont nullement. Et c’est non sans spoiler ma contribution qu’il en ressort qu’une analyse des fondements juridiques d’une peine de prison ou d’un emprisonnement provisoire d’un côté et des raisons de la captivité des animaux sauvages d’un autre côté, démontre que l’enfermement de ces derniers n’est pas acceptable. Les motifs arbitraires de cette captivité sont en effet à l’origine d’un risque accru sur leur santé alors que les lois nous imposent de prévenir l’apparition de maladies à leur égard. Plus généralement, l’on ne peut sérieusement maintenir un animal sauvage « dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce »[3] en milieu fermé, alors même que l’origine de l’altération de sa santé est la captivité elle-même…

Par ailleurs, outre l’atteinte à la santé de l’animal, la captivité des bêtes apparait également injustifiée vis-à-vis de la santé humaine. Cette présentation tendant à chosifier l’animal et le constat des symptômes dus à cet enfermement engendreront pour toute personne douée d’un minimum d’empathie, un réel choc et un mal-être certain. Le Professeur Marguénaud rappelle ce point dans ses propos conclusifs de la manière suivante : « l’enfermement des animaux qui est si néfaste à leur équilibre psychique peut également exercer une influence funeste sur la santé mentale des hommes qui sont plus souvent surpris à rire en les voyant derrière les grilles et les barreaux qu’à s’en émerveiller et à les admirer ».

En conclusion, si les atteintes à la santé des prisonniers doivent être palliées par une amélioration des conditions de détention et d’accès à la santé, la captivité des animaux sauvages doit purement et simplement cesser compte tenu notamment de l’atteinte qu’elle engendre sur leur santé. C’est un devoir de l’Homme d’apporter une réponse aux maux générés aux animaux non humains par leur enfermement arbitraire.

Des prémices se profilent petit à petit, et ce comme simultanément à la rédaction de ma contribution puisque le 29 septembre 2020 la Ministre de la Transition écologique et solidaire a annoncé, lors d’une conférence de presse intitulée « bien-être faune sauvage captive », la fin progressive de la présence de la faune sauvage dans les cirques itinérants, la fin de la présence d’orques et dauphins dans des delphinariums inadaptés à leurs besoins de mammifères marins et le soutien aux actions collectives des parcs zoologiques pour l’amélioration des conditions de détention des animaux. Cette annonce n’a cependant pas été suivie d’effet immédiat, quoiqu’elle ait peut-être permis à certains de prendre conscience de ces questions … Mais plus récemment la loi du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale[4] a imposé diverses mesures dans son « chapitre III : Fin de la captivité d’espèces sauvages utilisées à des fins commerciales ». Plus précisément, le Code de l’environnement dispose désormais, dans une section intitulée « dispositions relatives aux animaux d’espèces non domestiques détenus en captivité à des fins de divertissement »[5], notamment l’interdiction de détenir des animaux sauvages dans les établissements itinérants ou de les acquérir, de les commercialiser et de les faire se reproduire en vue de les présenter au public, ainsi que l’interdiction des spectacles incluant une participation de cétacés et les contacts directs entre ces derniers et le public. Elle a également défini le « refuge ou sanctuaire pour animaux sauvages captifs » pour lequel « toute activité de vente, d’achat, de location ou de reproduction d’animaux est interdite »[6].

Ces avancées majeures, bien qu’atténuées par une application sous certains délais, sont évidemment à saluer mais elles apparaissent partielles et pour le moins lentes alors que déjà en 1976 Emilio Sanna rappelait dans son ouvrage « Cet animal est fou », que « l’animal est la victime innocente de nos maux obscurs »[7]. Ces réformes doivent donc être développées et accélérées, sans oublier les animaux domestiques captifs. Il en va de la santé animale, humaine comme non humaine.


[1] I. L’animal et la protection de la santé de l’homme ; II. Aux frontières de la santé de l’animal et l’homme ; III. L’animal et la protection de sa santé

[2] A. Proust et J.C. Nouët, « Pathologie humaine et pathologie animale en milieu carcéral », Assises internationales de l’environnement 1976

[3] Article L.214-1 du Code rural et de la pêche maritime

[4] LOI n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes

legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000044387560/2022-01-04/

[5] Articles L.413-9 et suivants du Code de l’environnement

legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006074220/LEGISCTA000044389818/#LEGISCTA000044389818

[6] Article L.413-1-1 du Code de l’environnement

legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000044389851/2022-01-04

[7] Emilio Sanna, Cet animal est fou, FAYARD, 1976, p.1929

Estelle Derrien
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