Servie par les comédiens Hadi Rassi et Laura Flahaut, « Ami des lobbies » utilise l’humour noir et le sarcasme pour sensibiliser les internautes aux enjeux environnementaux. En prenant le contre-pied de l’écologie, le réalisateur et scénariste, Jérémy Bismuth, souhaite dénoncer et se moquer des méthodes employées par les lobbies.
Lancée en janvier 2019, votre web-série met en scène deux personnages détestables corrompus, un lobbyste et une prétendue scientifique, qui font l’éloge du pire. Comment a émergé l’idée ?
Jérémy Bismuth : Je voulais créer une web-série sur l’écologie depuis très longtemps, la protection du vivant me passionne. J’ai donc pris contact avec Hadi car j’avais très envie de retravailler avec lui et qu’il soit le personnage principal de mon nouveau projet. J’ai ensuite cherché une comédienne et j’ai remarqué Laura en assistant à une pièce de théâtre en Aveyron. Elle avait une patate incroyable, une super énergie.
Le lobbying n’est pas le point de départ du projet, c’est la protection de la biodiversité. En s’y intéressant de près, on se heurte rapidement aux forces qui lui nuisent et c’est comme ça que l’on en vient à dénoncer les lobbies. Au fur et à mesure, nous nous sommes aperçus qu’en tournant les choses à l’envers, ça marchait mieux scénaristiquement. Cela permettait d’être plus incisif et percutant. Du coup, pour évoquer les sujets environnementaux, nous sommes partis sur un personnage qui montre tout ce qu’il ne faut pas faire.
Le ton humoristique et provocateur du programme permet-il, selon vous, d’impacter davantage de personnes ?
Les messages anxiogènes sont toujours plus audibles avec une note d’humour. Ce procédé permet une adhésion et d’embarquer le spectateur avec soi. Au travers de cette web-série, nous voulions aussi montrer qu’il était possible de s’attaquer à des sujets difficiles, comme le braconnage, sans pour autant vouloir se jeter par la fenêtre. Il faut avoir de l’énergie et ce ton humoristique permet plus facilement de passer à l’action et de s’intéresser au sujet.
Certains pourraient vous reprocher d’être conspirationniste. Comment évitez-vous de tomber dans les théories complotistes ?
Certains nous le reprochent parce qu’ils n’ont tout simplement jamais vu d’épisode. Et ils seraient probablement déçus car nous ne parlons pas de complotisme. Ce n’est pas notre créneau. Pendant ces deux ans de pandémie, un nombre incalculable de vidéos sur les laboratoires ou encore les vaccins ont été partagées sur les réseaux mais nous n’avons jamais mis de l’huile sur le feu pour ne pas envenimer le débat.
Nos informations sont véridiques et vérifiées plusieurs fois. Le travail de documentation est vraiment la phase la plus longue, un mois et demi en moyenne. Ce temps ne nous permet pas de maîtriser le sujet à fond mais de faire le tour des enjeux et de ne pas dire n’importe quoi. Depuis le quatrième épisode, pour notre crédibilité, nous faisons aussi vérifier nos dires par des professionnels du secteur grâce à la pratique du fact-checking. Nous essayons de le faire systématiquement et c’est vraiment super. Puis, nous partageons sur les réseaux les sources qui nous ont été les plus utiles. Les internautes peuvent aller vérifier par eux-mêmes.
Votre rapport au vivant prend une place importante dans vos vidéos. Est-ce pour vous une manière de vous engager et de participer à la défense des animaux ?
L’expression de la biodiversité est un sujet qui nous tient vraiment à cœur mais qui nous fait beaucoup de peine aussi. On essaye d’en parler et de faire comprendre aux Français que c’est important. Par exemple, dans notre épisode réalisé avec Sea Shepherd, une de nos séquences portait sur l’intelligence des dauphins. Ce sont des individus à part entière. Ils ont de la peine et s’inquiètent pour leurs enfants. Prendre un dauphin dans un filet n’est pas rien. Il faut penser qu’il avait une famille à qui il va manquer. Certains d’entre eux pourraient même se laisser mourir. Ce sont des choses à savoir.
Les animaux sont des individus mais pour beaucoup, c’est difficile à entendre. Je m’en rends compte dans mon village et dans l’Aveyron. Ils sont nombreux à avoir vu, depuis tout petit, leurs parents tuer des animaux devant eux pour les manger. L’animal n’est pas du tout considéré comme un être sensible, c’est donc beaucoup plus compliqué de faire passer ces idées-là, notamment en milieu rural.
D’un point de vue personnel, la France fait-elle assez d’efforts pour améliorer la condition animale ?
Certaines avancées font plaisir. Mais lorsque l’on défend la cause animale, on a toujours cette impression de « pas assez » car il y a encore des millions d’animaux maltraités. Ce qui est rageant, c’est que la France se targue d’avoir une belle agriculture. On pourrait déjà commencer par supprimer les élevages intensifs. C’est inhumain, honteux et la population est massivement contre. On ne peut pas être fier de notre agriculture et de notre élevage quand 80% des animaux sont élevés de cette façon. On doit faire beaucoup plus et beaucoup plus vite. Le processus est trop lent.
Depuis la création de votre chaîne et la diffusion de vos vidéos, avez-vous reçu des pressions des lobbies ?
Nous avons eu un gros coup de pression virtuel après la diffusion de la vidéo sur les pesticides. C’était clairement des attaques venues d’agences pilotées par des lobbies avec un harcèlement très violent. Les messages étaient récurrents, quelqu’un a même donné rendez-vous à Hadi dans un parking. C’était incroyable surtout que ces gens-là n’existent pas dans la réalité mais uniquement sur Internet. Selon eux, les pesticides sont merveilleux pourtant, moi qui vis en zone rurale, je ne connais aucun agriculteur qui défend bec et ongles les pesticides même si certains en utilisent.
Nous avons eu aussi des menaces des chasseurs. C’était plus frontal, moins vicieux et donc moins angoissant. Enfin, l’épisode sur la viande a aussi eu des répercussions. Nous sommes actuellement en procédure car Interbev, le lobby de la viande, nous fait un procès, il nous attaque pour diffamation. L’audience aura lieu dans très longtemps.
Vous avez récemment fait appel à la générosité du public pour créer de nouveaux épisodes. Les problèmes de trésorerie pourraient-ils compromettre l’avenir de la web-série ?
Le temps que l’on y consacre et le manque de moyens commencent à poser problème. De mon côté, je suis photographe vidéaste indépendant. La web-série m’a pris beaucoup de temps et m’a fait perdre de l’argent car l’énergie que je mets d’un côté ne peut pas être mis de l’autre. Financièrement, c’est aussi compliqué. Pour travailler plus sereinement, nous avons donc créé cette cagnotte grâce à laquelle nous réaliserons trois épisodes. Je ne sais pas encore comment nous allons tenir sur le long terme mais nous allons essayer de traiter tous les sujets qui nous tiennent vraiment à cœur.
Pouvez-vous nous en dire plus sur les épisodes à venir. Le prochain aura-t-il un lien avec le dernier rapport du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat ?
Dans l’un des trois épisodes à venir, nous parlerons certainement du climat mais le tout prochain sera axé sur le lobby industriel le plus ancien et le plus sournois, celui qui a tout appris aux autres. Leurs méthodes de lobbying ont vraiment été innovantes dans les années 50 et ont été reprises par tout le monde.
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Couverture Photo © Cécile Flahaut
Amandine Zirah
Rédactrice freelance