Il est un levier souvent ignoré, voire insoupçonné mais néanmoins très puissant pour agir en faveur des animaux : le critère du bien-être animal dans la commande publique. Les marchés publics étant un sujet peu connu du grand public, ils sont souvent relégués aux personnes spécialisées. Pourtant, les animaux méritent bien que l’on se penche quelques minutes sur cette question. Ils sont en effet un possible vecteur d’une immense minimisation de la souffrance animale.
Commande publique / marchés publics, késako ?
La commande publique représente les achats passés par les collectivités territoriales (communes, départements, régions), les Établissements Publics de Coopération Intercommunale, l’État et les entreprises publiques. Les marchés publics sont quant à eux les contrats passés par les opérateurs publics (comme une commune) avec des opérateurs économiques (comme les entreprises) pour satisfaire à leurs besoins.
Un certain nombre de règles encadre la passation de ces contrats, pour la raison principale qu’il s’agit de deniers publics qui sont ici dépensés. Ces règles se trouvent dans le Code de la commande publique et dans la jurisprudence. On y trouve notamment les règles de l’appel d’offre, cette fameuse procédure qui permet à une collectivité territoriale de choisir l’entreprise qui réalisera les travaux, ou la fourniture de biens, ou encore la prestation de service.
Le lien avec les animaux
L’intérêt des marchés publics pour les animaux est le suivant :
– les marchés publics peuvent concerner les animaux , au premier rang la fourniture de denrées alimentaires pour les cantines.
– le bien-être animal peut être un des critères de choix des entreprises.
Explications : en 2014, la commande publique a fait l’objet d’une réforme d’envergure sur le plan européen, et sa transposition dans le droit français a été l’occasion de moderniser les procédures de passation des marchés publics.
De nombreuses innovations ont été introduites, et parmi elles, le critère du bien-être animal qui est officiellement reconnu comme pertinent pour sélectionner les offres (décret n°2016-360 du 25 mars 2016, article 62 II 2° a) ).
On le trouve désormais à l’article R2152-7 2° a) du Code de la Commande publique.
En pratique, par exemple lors de la procédure d’appel d’offre, la collectivité territoriale choisit parmi plusieurs offres d’entreprises celle qui correspond le mieux à son besoin.
Le choix de la meilleure offre (la « mieux-disante ») s’effectue selon des critères. Pour la grande majorité des cas, le prix fait obligatoirement partie des critères. On trouve également souvent le critère de qualité, qui peut être décliné en sous-critères.
Les critères de sélection des offres peuvent être par exemple : le prix, la qualité liée à la demande (qualité de construction, qualité du service, des biens fournis), le délai (de construction, de service).
Ici, le choix politique important réside en la définition et la pondération des critères.
Sur une note de 100, chaque critère compte pour un certain nombre de points.
Pour un marché de fourniture de denrées alimentaires, les critères choisis peuvent par exemple être : le prix (50 points), la qualité des denrées dont propriétés organoleptiques (25 points) et bien-être animal (15 points), prestations logistiques (10 points).
L’entreprise dont l’offre totalisera la meilleure note sera l’entreprise choisie pour fournir la collectivité territoriale en denrées alimentaires pour quelques années (généralement quatre ans).
Par exemple, les élus d’une commune peuvent choisir que les restaurants dépendant de la commune (cantines scolaires en écoles primaires et maternelles, repas des crèches et des EHPAD, des CCAS…) soient approvisionnés en produits d’origine animale respectant des critères particuliers de bien-être animal (œufs et ovo-produits issus de poules élevées en plein air, viande issue d’élevages proposant des mesures protectrices pour les animaux durant leur vie, le transport et/ou l’abattage au-delà de la réglementation minimale).
Concernant la fourniture de produits d’entretien, de la même façon, les élus peuvent décider de ne plus s’approvisionner en produits testés sur les animaux.
Les élus peuvent également prévoir dans les marchés publics des obligations de formation liée au bien-être animal pour le personnel, ou encore l’animation ponctuelle d’ateliers sur cette question pour les usagers des services publics.
Les enjeux à la clé
L’utilisation du critère du bien-être animal dans les marchés publics touche :
– les animaux en premier lieu, car la commande publique représente 10% du PIB national : 10 % de l’économie française est ainsi encadrée par le Code de la Commande publique qui permet d’utiliser le critère de bien-être animal comme critère pertinent de sélection des offres.
Concernant la seule restauration collective, il s’agit de 720 millions de repas par an [1] dans les communes , auxquels il faut ajouter 500 millions dans les lycées et collèges, ainsi que les autres repas pris en restaurations publiques (restaurants administratifs et universitaires, restauration dans les hôpitaux publics, les armées, les prisons…).
– les entreprises qui travaillent avec les collectivités car elles doivent pouvoir satisfaire à leurs exigences pour espérer décrocher un contrat et rivaliser avec les concurrentes : à terme, le marché économique entier (national, et privé comme public) peut s’en trouver modifié et plus protecteur pour les animaux en privilégiant les acteurs économiques soucieux des animaux
– les collectivités territoriales et leurs administrés qui cherchent à maximiser le bien-être social entendu comme devant prendre en compte les souffrances de tous les individus [2].
Freins et exemples inspirants
De nombreux freins politiques, techniques ou simplement usuels ralentissent l’intégration du critère du bien-être animal dans la commande publique. Cependant, un nombre non-négligeable de communes, notamment depuis les dernières élections municipales de 2020 et sous l’impulsion d’élus déterminés à agir, ont fait le choix de s’en emparer. C’est le cas de :
– la commune de Bordeaux qui a intégré une clause de bien-être animal au sein des autorisations d’occupation de l’espace public
– la commune de Douai qui a utilisé le critère du bien-être animal pour acheter ses produits d’entretien non-testés sur les animaux
– La commune de Six-Fours-les-Plages qui, dès 2016, a banni pour la restauration scolaire l’utilisation d’œufs issus de poules pondeuses élevées en cages [3]
Conclusion
La commande publique est un instrument économique majeur pour accompagner les transitions écologiques et sociétales, et c’est en ce sens que la modernisation des procédures de passation des marchés publics a été pensée. Ces transitions ne peuvent être conduites pleinement qu’en incluant la question animale et en envisageant de nouvelles relations anthropozoologiques.
Le critère du bien-être animal dans la commande publique est un moyen encore peu exploité et pourtant très puissant au vu de l’impact possible sur les animaux, offrant notamment un potentiel de réduction de souffrance immense pour les animaux dits d’élevage.
Une meilleure compréhension de son utilisation et de ses enjeux permettrait ainsi une grande avancée pour eux, tout en apportant satisfaction aux 72 % de citoyens qui attendent de la part de leur maire des mesures concrètes en faveur des animaux.
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[1] Rapport public annuel 2020 de la Cour des comptes, février 2020 : https://medias.amf.asso.fr/upload/files/Cour_Comptes_Restauration.pdf
[2] Voir page 22 et suivantes de « Comment sauver les animaux ? Une économie de la condition animale », Romain Espinosa, PUF, janvier 2021
[3] https://www.politique-animaux.fr/elevage/les-cantines-scolaires-de-six-fours-les-plages-ne-serviront-plus-d-oeufs-provenant-de-l-elev
Anne-Laure Meynckens
Consultante sur la question animale, fondatrice de Drôle De Zèbre