Numéro 19Animaux domestiquesLoi : non, se préoccuper des lapins n’est pas vain !

Brigitte Leblanc15 avril 20257 min

Pour Delphè et tous les petits oubliés…

La loi n’est pas toujours bien faite, et la transposition dans le droit français des textes européens n’est pas toujours fidèle à ces derniers. La règlementation des élevages de NAC domestiques en est un exemple, passé pourtant « sous les radars » depuis bien longtemps[1]. Cette « bavure » a été mise en évidence une première fois lors du dépôt par M. le sénateur Bazin d’un amendement à la loi du 30 novembre 2021visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes[2], amendement refusé de façon dommageable sur la base d’une compréhension erronée de son objet par la rapporteure en session. Mais puisqu’on ne peut abandonner une cause que l’on sait juste, ce même sénateur a déposé le 7 janvier 2025 au Sénat la proposition de loi n°228 visant à rendre obligatoire le contrôle des élevages de lapins de compagnie et leur identification[3]. Dans les couloirs du Sénat et du Parlement, et dans certains médias, certains ont cru bon de se moquer de son « sens des priorités » pour un sujet qualifié ironiquement « d’une urgence brûlante » … Mais y a-t-il plus important que la loi, la justice et la justesse ?

Le premier article est une demande de mise en adéquation de la loi qui règlemente les élevages d’animaux de compagnie avec le droit européen : en effet, ces élevages sont soumis aux dispositions prévues par la Convention européenne pour la protection des animaux de compagnie[4], ratifiée par la France en 2004. Mais sa transposition en droit national en 2008 n’a pas été complète : tous les animaux de compagnie sont concernés pour les activités de vente, mais l’activité d’élevage n’est prise en compte que pour les chiens et les chats. Concernant les NAC non domestiques, leur élevage a fait l’objet d’un arrêté en 2018[5] qui comble cette lacune, mais rien n’a été fait concernant les NAC domestiques dont font partie les lapins. A ce jour donc, aucune règlementation ne protège leur élevage, tant au niveau de la formation des éleveurs que des soins ou des structures d’élevage. Notons que ce premier article pourrait concerner en réalité l’élevage de tous les NAC domestiques, pas uniquement le lapin.

Le second article de cette proposition de loi demande que l’identification individuelle des lapins devienne obligatoire, au même titre que celle des chiens, des chats et des furets. L’identification est le seul moyen de donner une individualité à un animal et permet de le relier à son propriétaire, ce qui est primordial lors de vol, fugue, vente ou pour voyager, assurant de fait une « traçabilité ». Rappelons néanmoins que si l’identification a été rendue obligatoire pour les chiens et les chats, c’est tout d’abord dans le but de lutter à l’époque contre le risque rabique, en assurant justement cette traçabilité, ce qui explique que seuls les carnivores de compagnie de l’époque (chiens et chats) étaient concernés. Pourquoi donc ici le lapin ? Parce que ce NAC devient de plus en plus présent dans nos foyers : en constante augmentation, on peut estimer le nombre de lapins en France à 2 millions environ sur les 3.7 millions de petits mammifères de compagnie. Et parce que l’identification a de multiples intérêts…pour l’animal et l’humain !

La mise en conformité de la législation qui concerne les élevages de NAC domestiques, lapins ou autres, permettrait à ces élevages d’être encadrés et surveillés : leur création nécessiterait, comme pour les élevages de chiens et chats, que l’éleveur ait une formation adéquate, la déclaration ne se limiterait plus seulement à l’immatriculation au registre du commerce et des sociétés (seule démarche à faire à ce jour !) mais à une déclaration en préfecture et donc à la DDPP. L’élevage aurait l’obligation d’être suivi par un vétérinaire sanitaire, et les services vétérinaires de la DDPP auraient la possibilité de contrôler l’état d’entretien et d’adéquation des locaux et l’état de santé des animaux, et pourraient agir également contre d’éventuels trafics d’animaux. Ces mesures sont celles rendues obligatoires par la Convention européenne pour la protection des animaux de compagnie précitée, mais ignorées par la France. Ces mesures éviteraient sans aucun doute bon nombre d’élevages-mouroirs tels que celui découvert « par hasard » en 2018[6]. Pour celui-ci dont les animaux ont été sauvés, combien d’autres restent « en circulation » ?

L’identification individuelle du lapin, quant à elle, lui donnant une identité, peut lui assurer une certaine protection en cas de perte ou de fugue, en permettant de retrouver son propriétaire. Les personnes coupables d’abandon, délit[7] d’autant plus grave si la vie de l’animal est en danger, ce qui, concernant une espèce-proie, est malheureusement quasi-systématique, pourraient être poursuivies et condamnées (le lapin étant l’animal de compagnie a priori le plus abandonné en France, même si des chiffres précis sont difficiles à obtenir, notamment concernant les plus petits : hamsters, souris, rats par exemple…). De plus, cette identification donnerait un peu de crédibilité au Certificat d’engagement et de connaissance : ce certificat, obligatoire en cas de vente ou adoption d’un chien, chat, furet ou lapin, impose un délai de réflexion de 7 jours afin de limiter les achats impulsifs, délai impossible à vérifier en l’absence d’identification de l’animal auquel il est lié…Notons par ailleurs que le principal syndicat des animaleries, le PRODAF, est, comme la majorité des professionnels des animaux, favorable à la mise en place de l’identification obligatoire, même si cela implique une légère hausse du prix de vente de l’animal, ce qui par ailleurs peut être bénéfique, notre société confondant souvent par malheur valeur vénale et valeur tout court…

L’identification de leurs lapins est un point très rassurant pour les propriétaires, preuve en est le nombre important d’identifications volontaires des lapins de compagnie sur VetoNAC,[8] alors même qu’aucune obligation ne pèse sur les propriétaires. Cela leur donne une chance de retrouver leur lapin en cas de perte ou de fugue, d’autant plus que, si les besoins physiologiques et comportementaux de ces lapins sont respectés, ils vivent en liberté ou semi-liberté, et sont donc plus susceptibles de se perdre…

La réglementation des élevages quant à elle permettra au propriétaire d’être rassuré quant à l’origine de son petit lapin, voire de contrôler plus efficacement certaines dérives telles que les hypertypes qui voient le jour également pour les lapins de compagnie. Mais d’autres facteurs encore sont à prendre en compte : un rapport du CGAAER[9]sur la « mise en place d’une organisation sanitaire visant à la détection précoce et au contrôle des zoonoses majeures transmises par les animaux de compagnie » est paru en juillet 2024 et préconise des actions précises pour la prévention des zoonoses et la protection de la santé humaine. Ce rapport met en évidence l’importance de la traçabilité des NAC domestiques par l’identification individuelle, et la surveillance sanitaire de leur élevage, dans l’éventualité d’une zoonose émergente, sans vouloir pour autant entrer dans la psychose.

Cette proposition de loi, si elle concerne les lapins, pourrait donc en réalité concerner tous les NAC domestiques. Et son importance est évidente, pour les animaux, pour les humains, mais également pour la justice, puisqu’il s’agit de rectifier une erreur du législateur, d’autant que les arguments avancés sont scientifiquement étayés. Alors comment peut-on s’en moquer ? Les parlementaires ne sont pas seulement des « soldats du feu » chargés d’éteindre les incendies sociétaux. Ils sont là aussi et surtout pour les éviter, les prévenir. Alors merci et bravo au sénateur Bazin de porter cette proposition, et aux parlementaires qui l’appuient, et souhaitons que cette proposition de loi se concrétise.


[1]savoir-animal.fr/quelle-legislation-pour-les-elevages-de-nac-nouveaux-animaux-de-compagnie-domestiques

[2] senat.fr/encommission/2020-2021/326/Amdt_COM

[3] senat.fr/dossier-legislatif/ppl24-228

[4] eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF

[5] Arrêté du 8 octobre 2018 fixant les règles générales de détention d’animaux d’espèces non domestiques

[6] bfmtv.com/animaux/nouveaux-animaux-de-compagnie-la-video-choc-de-30-millions-d-amis-sur-l-envers-du-decor

[7] Article 521-1 du Code pénal

[8] vetonac.fr/

[9] agriculture.gouv.fr/mise-en-place-dune-organisation-sanitaire-visant-la-detection-precoce-et-au-controle-des-zoonoses

Photo : ©Carole Tymoigne


Brigitte Leblanc
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