La loi du 6 janvier 1999 qui a instauré le régime des chiens catégorisés prévoit que certains chiens doivent être considérés comme intrinsèquement dangereux en raison de leur appartenance à certaines races et critères morphotypaux définis dans l’arrêté du 27 avril 1999. Ce régime offre la possibilité aux pouvoirs publics – et notamment au maire – d’ordonner, en vertu de l’article L211-11 du code rural, l’euthanasie d’un chien catégorisé « qui se trouve dans un lieu où sa présence est interdite […] ou qui circule sans être muselé et tenu en laisse […] ou dont le propriétaire ou le détenteur n’est pas titulaire de l’attestation d’aptitude » dans la mesure où ce chien est dès lors « réputé présenter un danger grave et immédiat ». A noter également que ce même article précise que « l’euthanasie peut intervenir sans délai, après avis d’un vétérinaire désigné par le préfet » et surtout qu’« à défaut, l’avis est réputé favorable ». Nous voyons bien là que la mise à mort du chien catégorisé en cas de manquement du maître apparaît finalement aisé à obtenir sans de réel garde-fou. Tout le nœud de la problématique réside finalement dans la désignation des chiens catégorisés comme « dangereux », appellation qui ouvre la voie à tout un régime d’impunité pour l’administration mais également pour le juge. En effet, l’article 131-21-1 du code pénal qui traite de la confiscation d’un animal comme peine complémentaire dispose que « lorsqu’il s’agit d’un animal dangereux, la juridiction peut ordonner qu’il soit procédé à son euthanasie ». nous pouvons encore citer le code de procédure pénal qui, dans son article 99-1, prévoit également que le juge peut ordonner l’euthanasie de l’animal placé au cours de la procédure judiciaire « lorsque les conditions de placement sont susceptibles de rendre l’animal dangereux ». Ainsi, le chien catégorisé, par essence considéré comme dangereux, se retrouve avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête tout au long de son existence en payant potentiellement de sa vie le moindre manquement de son maître, ce qui est fondamentalement injuste.
Cela étant, au-delà de la difficulté que pose l’emploi du terme « chien dangereux », il convient également de souligner que le régime actuel du chien catégorisé apparaît présenter quelques contradictions et soulever des problématiques bien réelles. En effet, là où des races de chiens sont définies comme intrinsèquement dangereuses par la réglementation en se fondant uniquement sur des critères morphotypaux et raciaux, et non comportementaux, il existe en réalité certains chiens non catégorisés comme dangereux au sens de la loi qui développent une certaine réactivité à l’homme ou aux autres animaux domestiques par défaut de socialisation, d’éducation et/ou par le renforcement involontaire de la part des propriétaires de certains comportements inappropriés. Ainsi, des chiens parfaitement éduqués mais relevant de la catégorie 1 ou 2 se trouvent contraints toute leur vie d’être maintenus en laisse et de porter une muselière, tandis que d’autres, par naissance ne relevant d’aucune catégorie, mais non, voire mal, socialisés et éduqués seraient en réalité susceptibles de représenter un véritable danger. En outre, peut être pointé le fait qu’en raison de leur catégorisation et des rigidités administratives qui encadrent leur adoption, les chiens catégorisés 1 ou 2, lorsqu’ils font l’objet d’un abandon dans les refuges ou fourrières, se retrouvent en réalité souvent dans le couloir de la mort.
Ce tour d’horizon devrait dès lors inciter le législateur à revoir le régime juridique qui s’applique en matière de chiens catégorisés. Cependant, il convient de demeurer précautionneux lorsqu’il s’agit de redéfinir ce système de catégorisation. En effet, force est de constater que les chiens catégorisés 1 et 2 font l’objet actuellement de trafics afin de servir dans des combats de chiens clandestins. Les plus dociles sont ainsi utilisés comme appâts et les autres, élevés dans la violence, sont « dressés » à être agressifs afin de servir l’amusement humain. De cette manière, maintenir une forme de législation concernant ces races de chiens est paradoxalement protectrice dans la mesure où la détention en est conditionnée à certains critères. En effet, le propriétaire doit être majeur, ne pas être sous tutelle, ne pas avoir été condamné pour crime ou à une peine d’emprisonnement avec ou sans sursis pour délit inscrit au bulletin n° 2 du casier judiciaire (article L. 211-13 du Code rural) avoir suivi une formation (L. 211-13-1 du Code rural), etc., autant d’éléments qui, si appliqués, assurent à ces chiens de ne pas tomber entre de mauvaises mains. Par ailleurs, la stérilisation obligatoire des chiens relevant de la catégorie 1 (article L. 211-14 du Code rural) permet également de juguler leur reproduction. L’ensemble de ces critères constituent autant d’arguments sur lesquels peuvent s’appuyer les forces de l’ordre ou les associations pour organiser le retrait de certains chiens servant manifestement à alimenter les trafics des combats de chiens. Une telle problématique doit être gardée à l’esprit lorsqu’il s’agit de revoir le régime des catégories.
Par ailleurs, il s’agit également de faire preuve de prudence dans le cas où serait envisagé un élargissement de la catégorisation à l’ensemble des chiens en se basant sur un critère non plus racial mais bien comportemental en obligeant chaque chien a passé un test spécifique. En effet, comme nous l’avons vu en exergue de notre propos, le régime du chien dangereux ouvre la voie à la possibilité pour l’administration et le juge d’euthanasier en toute impunité le chien catégorisé. Par ailleurs, doit être considérée l’idée que de nombreux chiens sortis de maltraitance ou de négligence nécessitent souvent une réhabilitation comportementale. En étendant la catégorisation à tous les chiens, ceux qui ont souffert risquent de pâtir d’une double peine, celle d’avoir été malmenés au cours de leur existence et d’être euthanasiés en raison de leur mauvaise socialisation, faute de place dans les refuges et fourrière ou d’adoption, en raison des rigidités administratives que cette dernière implique. Partant de l’ensemble de ces observations préliminaires et compte-tenu de la difficulté du problème, nous proposons de maintenir la catégorisation sur critère raciale, permettant de conserver l’obligation de stérilisation des chiens catégorisés 1 ainsi que les moyens de juguler les filières d’approvisionnements de chiens servant aux combats clandestins. En revanche, nous proposons d’amender la loi existante pour permettre une décatégorisation des chiens à la suite du bilan comportemental obligatoire prévu à l’article L. 211-13-1, dès lors que le chien est classé niveau 1 ou 2. Pour les chiens catégorisés 1, le bilan comportemental devra avoir lieu après la stérilisation. Parallèlement, afin d’encourager les maîtres à socialiser et éduquer leurs chiens et prévenir les cas de réactivité pouvant conduire à des morsures, nous invitons les maires à s’appuyer sur le certificat de sociabilité (CSAU) déjà existant et actuellement obligatoire pour pratiquer certaines disciplines canines. En effet, ce certificat réglementé par la Société Centrale Canine vise à attester du caractère social du chien qui doit pouvoir être approché par un étranger ainsi que de sa capacité à marcher en laisse et à répondre au rappel de son maître. Ainsi, il serait intéressant de rajouter à l’article L 211-11, une disposition permettant au maire de conditionner l’accès de certains lieux publics (parcs, transports en commun) à l’obtention du CSAU.
Marion Weisslinger
Docteur en philosophie
2 commentaires
fuentes
27 janvier 2021 à 15h33
c’est quand même dommage d’illustrer votre article avec un chien qui a eu les oreilles coupées…
Interdit en France depuis de nombreuses années!!
PARAN
15 janvier 2021 à 13h37
Un article parfaitement rédigé, en écho des besoins de réforme des lois qui concernent le vivant dans notre pays !
Merci Marion !