Je vis sur la planète Terre depuis près de 90 ans et, durant cette période, j’ai été témoin de nombreux changements, notamment ceux qui affectent l’environnement. Lorsque j’étais enfant, au Royaume-Uni, je passais des heures dans notre jardin à observer les animaux, les oiseaux et les insectes. Aujourd’hui, 80 ans plus tard, en raison de l’utilisation de pesticides et d’herbicides, de la pollution, de la destruction des habitats et d’autres activités humaines néfastes, notre jardin a perdu plus de la moitié des espèces d’oiseaux et probablement environ 90 % des insectes. Quand j’étais jeune, on ne pouvait pas laisser une fenêtre ouverte la nuit, s’il y avait une lumière allumée, parce que presque instantanément, la chambre était remplie de papillons de nuit et d’autres insectes nocturnes – aujourd’hui, je suis heureuse si un papillon de nuit entre dans la pièce. Et comme nous le savons maintenant, les insectes – qui constituent une part importante du régime alimentaire d’innombrables animaux – diminuent à un rythme alarmant dans le monde entier. Et cela inclus les abeilles et les autres pollinisateurs dont nous dépendons pour fertiliser nos cultures.
Malheureusement, nous sommes au cœur de la sixième grande extinction d’espèces végétales et animales, causée cette fois par les activités humaines. Elle est due à notre manque de respect pour la nature et à la manière non durable dont nous pillons les ressources naturelles limitées de notre planète.
Il est important de souligner que la perte de la biodiversité est de plus en plus due au changement climatique. L’un des principaux effets du changement climatique sur la biodiversité est l’augmentation de l’intensité et de la fréquence des ouragans et des typhons, des inondations, des périodes de sécheresse, des vagues de chaleur et des incendies de forêt. Ces phénomènes s’ajoutent aux menaces qui pèsent déjà sur la biodiversité en raison de la destruction des habitats, de la pollution, de l’acidification des océans, de la croissance des populations humaines et animales, etc. En d’autres termes, ralentir le changement climatique et protéger la biodiversité vont de pair.
Malheureusement, nombreux sont ceux qui se sont déconnectés du monde naturel – les jeunes préoccupés par les médias sociaux et les jeux vidéo et les parents avec de longues heures de travail – la vie moderne s’interpose entre nous et la nature. Or, ce que vous ne connaissez pas ou ne comprenez pas, vous êtes moins susceptibles de le respecter et de le protéger.
C’est notre manque de respect pour le monde naturel qui a conduit au changement climatique et à la perte de biodiversité. Il est si important de comprendre que nous faisons partie du monde naturel et que nous dépendons de lui pour l’air pur, l’eau, la nourriture, bref pour tout. Mais ce dont nous dépendons, c’est d’écosystèmes sains. Un écosystème est constitué d’un mélange complexe et interdépendant de plantes et d’animaux, chacun ayant un rôle à jouer. Je le vois comme une magnifique « tapisserie vivante ».
Chaque fois qu’une espèce disparaît de cet écosystème, c’est comme si l’on tirait un fil de la tapisserie et si l’on tire suffisamment de fils, la tapisserie tombe en lambeaux et l’écosystème s’effondre – et c’est déjà le cas.
Il est donc essentiel que nous nous efforcions de protéger les écosystèmes intacts existants et de restaurer ceux qui sont endommagés. Nous devons créer un équilibre entre les besoins humains actuels et la protection de l’environnement pour les générations futures. À l’heure actuelle, nous utilisons trop souvent les ressources naturelles limitées de la nature pour des gains immédiats, sans penser à l’avenir.
Heureusement, de nombreuses organisations s’efforcent aujourd’hui de créer une relation plus durable avec le monde naturel – et la nature est étonnamment résiliente si nous lui donnons une chance. Des endroits qui ont été complètement détruits – comme une carrière abandonnée ou une rivière ou un lac terriblement pollués – peuvent, avec le temps et un peu d’aide, recommencer à construire la diversité nécessaire à la constitution d’un écosystème sain.
En 1960, j’ai commencé mes recherches sur les chimpanzés en Tanzanie. Le parc national de Gombe – où nous étudions toujours aujourd’hui les chimpanzés – faisait partie de la grande ceinture forestière qui s’étendait à travers l’Afrique équatoriale. 20 ans plus tard, le parc n’était plus qu’un petit îlot de forêt entouré de collines dénudées. Les habitants étaient plus nombreux que la terre ne le permettait, coupant les arbres pour obtenir plus de terres cultivables ou pour gagner de l’argent avec le bois ou le charbon de bois. Des communautés pauvres tentaient de survivre.
En 1994, le Jane Goodall Institute Tanzanie a lancé un projet de conservation holistique dirigé par les communautés (TACARE) dans les villages autour de Gombe, qui a été couronné de succès. Nous avons introduit l’agroforesterie, des programmes de gestion de l’eau, des possibilités de microfinancement leur permettant de créer leurs propres petites entreprises respectueuses de l’environnement, ainsi que des bourses d’études pour donner aux filles une chance d’accéder à l’enseignement supérieur. Le programme est désormais mis en œuvre dans les villages de la majeure partie de l’aire de répartition des chimpanzés en Tanzanie.
Les habitants comprennent que la protection de la forêt n’est pas seulement destinée à la faune, mais aussi à leur propre avenir. Des arbres ont maintenant poussé sur les collines autrefois dénudées. Certains arbres ont été plantés autour des villages, mais le reste a poussé à partir de graines dormant dans le sol. TACARE est maintenant présent dans six autres pays africains où nous travaillons à la conservation des chimpanzés et de leur environnement.
La résilience de la nature est une véritable raison d’espérer. Lorsque la nature est respectée et que les habitats sont protégés ou restaurés, les animaux qui étaient en danger peuvent se voir offrir une nouvelle chance. C’est ce qui s’est passé avec le Panda Géant, qui ne figure plus sur la liste des espèces menacées de l’IUCN.
Je suis émerveillée par le nombre croissant de programmes de “réensauvagement” (rewild) qui connaissent un grand succès dans certains pays où de vastes zones ont été mises en réserve pour la faune et la flore. Dans certains cas, des espèces animales disparues depuis des années ont été réintroduites avec succès. De plus en plus, nous réalisons l’importance des corridors écologiques qui relient les zones protégées, car ils permettent aux animaux de se déplacer à la recherche de nourriture ou de partenaires. Même des gestes simples, comme la décision de laisser pousser des fleurs sauvages le long des routes, font une grande différence, en particulier pour les papillons et autres insectes. De plus en plus de ponts sont construits au-dessus des routes principales, à des endroits où les animaux sont connus pour traverser.
Une autre raison d’espérer est l’énergie et l’engagement des jeunes une fois qu’ils connaissent les problèmes, qu’ils sont responsabilisés et incités à agir. En 1991, j’ai constaté que les jeunes – déjà à l’époque – perdaient espoir.
“Notre avenir est en train d’être détruit”, disaient-ils, “et il n’y a rien que nous puissions faire pour y remédier”. Mais je leur ai dit : “Nous disposons encore d’une fenêtre de temps pour commencer à réparer le mal que nous avons infligé. Mais nous devons agir ».
C’est ainsi qu’est né mon programme humanitaire et environnemental pour les jeunes, Roots & Shoots. Il est aujourd’hui présent dans 68 pays et ses membres vont de l’école maternelle à l’université. Les groupes plantent des arbres, nettoient les plages et sensibilisent aux questions environnementales. Ils ont un impact sur leurs communautés et incitent les autres à faire de même. Et comme nous avons commencé Roots & Shoots il y a plus de 30 ans, de nombreux membres sont maintenant adultes et certains sont devenus des leaders dans la protection de l’environnement et de sa faune. Tous respectent le monde naturel.
Il est urgent que chacun d’entre nous joue un rôle dans la lutte contre la disparition des espèces et le changement climatique. Nous devons nous rappeler que chacun d’entre nous a un impact sur la planète chaque jour. Faisons des choix éthiques dans ce que nous achetons, mangeons et portons, dans la manière dont nous interagissons avec les gens, les animaux et la nature. Et partageons ces histoires d’espoir, toutes les raisons pour lesquelles nous avons l’espoir de sauver le monde. Car sans espoir, nous tombons dans l’apathie et ne faisons rien. Si cela se produit, nous sommes condamnés.
Une autre raison d’espérer est que de plus en plus de scientifiques travaillent à trouver des solutions technologiques pour nous permettre de vivre en harmonie avec la nature. Étant donné que le ralentissement du changement climatique aide les espèces à survivre, un exemple important est l’utilisation croissante de l’énergie renouvelable provenant du soleil, du vent, des marées, etc.
Nous ne devons cependant pas oublier qu’il est tout aussi important de protéger le monde naturel, en particulier les forêts et les océans, les deux grands poumons de la planète qui séquestrent le CO2 de l’atmosphère et nous donnent de l’oxygène. D’autres écosystèmes stockent également une grande quantité de CO2, comme les zones humides et les prairies. La protection de ces puits de carbone naturels est un élément important de la limitation du changement climatique et donc de la protection de la biodiversité.
Une autre raison d’espérer est que de plus en plus de personnes deviennent végétariennes et surtout végétaliennes. Les milliards d’animaux élevés pour la viande dans les fermes industrielles du monde entier doivent être nourris. D’immenses surfaces sont défrichées pour cultiver les céréales destinées à les nourrir. D’énormes quantités de combustibles fossiles sont utilisées pour transformer les protéines végétales en protéines animales, et les animaux produisent d’énormes quantités de méthane lors de leur digestion – un gaz à effet de serre très puissant.
Enfin, permettez-moi de terminer par une anecdote. Il y a quelques semaines, je donnais une conférence à un groupe de PDG de grandes entreprises. L’un d’entre eux m’a expliqué qu’il s’était efforcé d’instaurer des pratiques éthiques dans les pays d’où provenaient ses produits, en garantissant des salaires équitables aux travailleurs et en aidant leurs communautés, en garantissant un comportement éthique dans ses bureaux à travers le monde et en traitant ses clients de manière équitable. Il le faisait pour trois raisons.
Premièrement, les chiffres parlaient d’eux-mêmes. Deuxièmement, la pression des consommateurs. Mais ce qui a fait pencher la balance, c’est que sa fille de 8 ans est rentrée de l’école un jour et a dit « Papa, on me dit que ce que tu fais nuit à la planète. Cela ne peut pas être vrai, papa, parce que c’est ma planète ».
Les gens doivent changer de l’intérieur.
Dr. Jane Goodall, DBE
Fondatrice du Jane Goodall Institute
& Messagère de la Paix auprès des Nations-Unies
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Photo : © the Jane Goodall Institute By Chase Pickering
Dr. Jane Goodall
Dr. Jane Goodall, DBE
Fondatrice du Jane Goodall Institute
& Messagère de la Paix auprès des Nations-Unies