Numéro 11Politique & AnimauxTrame noire: protéger la nuit, pour protéger la vie

Guillaume Prevel17 avril 20236 min

« Si vous avez jamais passé la nuit à la belle étoile, vous savez qu’à l’heure où nous dormons, un monde mystérieux s’éveille dans la solitude et le silence ». Alphonse Daudet  (1840-1897) Écrivain et auteur dramatique français

L’éclairage artificiel est en croissance exponentielle ces 20 dernières années, il nuit à la qualité du ciel nocturne, à la santé humaine et à la biodiversité.

En France, l’éclairage public est composé de 11 millions de points lumineux et de 3,5 millions d’enseignes publicitaires.

La prise de conscience récente de la pollution lumineuse et des enjeux écologiques qu’elle induit, a conduit à la création du concept de trame noire sur le modèle et en complément de la trame verte et bleue.

Principe général de la trame noire

L’urbanisation galopante du 20ème et du 21ème siècle a entraîné le développement de l’éclairage artificiel nocturne. Ces nombreuses sources d’éclairage (lampadaires, enseignes lumineuses, phares de voitures…) a impacté la faune nocturne et conduit à une pollution lumineuse, qui perturbe la vie et les déplacements des insectes et des animaux.

La trame noire a pour objectif de restaurer des corridors écologiques caractérisés par une certaine obscurité pour permettre à la biodiversité nocturne d’être préservée des éclairages artificiels.

Venant compléter le principe de protection de la trame verte et bleue, qui a été envisagée essentiellement du point de vues des espèces diurnes, la trame noire vise à atténuer la pression anthropique qui mène à une artificialisation croissante de nos territoires, une multiplication de l’éclairage nocturne, public ou privé, qui engendre notamment une perte d’habitats naturels, une fragmentation accrue et une mortalité directe pour les espèces vivant la nuit.

Pour lutter contre la pollution lumineuse en constante progression et aux effets néfastes sur la biodiversité dont font partie les humains, il est  donc nécessaire de préserver et de remettre en bon état les continuités écologiques nocturnes.

Des effets délétères sur l’ensemble du monde vivant

La pollution lumineuse a un impact sur le monde du vivant, une étude réalisée entre 2012 et 2016 a démontré que l’intensité lumineuse extérieure a augmenté en moyenne annuellement de 2,2 %.  A cause de la pollution lumineuse 1/3 de la population de la planète ne voit jamais la voie lactée. Des troubles graves du sommeil avec de potentiels effets cardiovasculaires, sur le développement de cancers, de dépressions, ou sur le système immunitaire sont renseignés dans de nombreuses études pour l’humain.

D’autre part la lumière artificiel nous a fait changer nos comportements et nos rythmes de vie. Ces rythmes de vie appelés « circadiens » régissent notre horloge interne sur 24H. Les effets sanitaires suspectés ou confirmés sont liés à la sécrétion d’une hormone, la mélatonine, qui est influencée par la lumière. La mélatonine est une composante nécessaire à la phase d’endormissement et donc du sommeil. Une perturbation de la production de la mélatonine et de son rôle d’inhibiteur sur les radicaux libres peuvent favoriser l’apparition de certains cancers.

Des études établissent une corrélation entre pollution lumineuse et cancer du sein, le lien ne serait cependant pas direct mais être causé par la perturbation du rythme circadien, tout comme l’obésité, le diabète, la santé cardiovasculaire et la dépression.

L’impact sur la faune est tout aussi radical, avec pour effet une perturbation des rythmes biologiques basés sur le photopériodisme. De nombreuses espèces animales sauvages diurnes voient leur phase de sommeil perturbée dans des contextes de pollution lumineuse, avec des effets négatifs sur leurs activités quotidiennes et de reproduction, avec pour les espèces grégaires un risque d’abandon des gites d’hibernation, des colonies de reproduction et des reposoirs. Pour les espèces photophobes, l’éclairage artificiel fragmente l’environnement nocturne et l’habitat et perturbent les comportements de reproduction et de migration de certaines espèces.

Les chauves-souris sont particulièrement sensibles aux perturbations liées à la pollution lumineuse. Elles sont contraintes de s’adapter en modifiant ou en allongeant leurs déplacements. Les Chiroptères sont également privés de nombreux terrains de chasse du fait de l’éclairage. Les zones sombres quant à elles sont appauvries en nombre d’insectes, attirés pour leur part par les sources lumineuses artificielles. Dans ce contexte, la survie et le succès de reproduction des chauves-souris peuvent être compromis.

Les oiseaux et les insectes nocturnes se repèrent et s’orientent en fonction de la lune et des étoiles. Les sources de lumières artificielles, les attirent et ils perdent leurs repères, quand dans le même temps ces installations lumineuses représentent des barrières quasiment infranchissables pour les espèces qui fuient la lumière.

Les insectes et la flore sont aussi touchés avec des impacts sur la croissance des tiges et des feuilles, ou sur la saisonnalité des végétaux, notamment de la phase de chute des feuilles de plusieurs mois constaté dans les régions chaudes ou douces de France au sud de la Loire.

Les papillons nocturnes, qui représentent à eux seuls 51 % des pollinisateurs (Il y a 262 espèces de papillons de jour pour 6000 espèces de papillons nocturnes rien qu’en France) régressent à cause de l’éclairage extérieur, induisant de facto un impact sur la pollinisation de la flore.

Des projets émergent doucement en France

Plusieurs projets de trames noires sont à l’étude ou en développement en France (Parc national des Pyrénées par exemple) pour lutter contre les effets de la pollution lumineuse, avec pour objectif de préserver ou de récréer un réseau écologique favorable à la vie nocturne.

Une analyse réalisée sur plusieurs communes en France montre que le concept de Trame noire  est plutôt bien accepté par la population concernée par ce type de projets, les citadins se déclarant prêts à renoncer au confort que leur confère l’éclairage public pour protéger des espèces animales des effets délétères d’une trop grande présence de lumière artificielle.

La réduction de l’éclairage public source de pollution lumineuse semble amorcer un virage positif grâce à un discours écologiste plutôt bien perçu par les habitants, même s’il subsiste encore des réticences d’ordre sécuritaire.

Les effets de la pollution lumineuse sont multiples, et certainement pas encore totalement identifiés du fait d’une prise de conscience tardive. Néanmoins les nombreux impacts sur le monde du vivant qui sont à présent identifiés, doivent nous alerter sur l’urgence d’atténuer les sources lumineuses dans notre environnement, qui deviennent de véritables halo-lumineux au-dessus des villes visibles à plusieurs kilomètres dans les campagnes (Les grandes villes comme Nancy ou Metz ont des halos lumineux  visibles à plusieurs dizaines de kilomètres de distance).

Les trames noires doivent se multiplier sur le territoire pour redonner de l’éclat aux étoiles et de la profondeur à la nuit. Mais aussi, comme l’écrivait si bien Alphonse Daudet, dans les Lettres de mon moulin, afin de redonner toute sa place « à ce monde mystérieux qui s’éveille dans la solitude et le silence ».


Guillaume Prevel
Guillaume Prevel
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Conseiller régional Ile-de-France du Parti animaliste
Correspondant des Hauts de Seine du Parti animaliste

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