L’avocat américain Steven Wise s’est éteint en février dernier, au terme d’une vie consacrée à plaider pour la reconnaissance de droits fondamentaux aux animaux. À travers son organisation – le Non Human Rights Project – il a œuvré pour reconnaître aux animaux captifs le droit à la liberté, multipliant les procès et déposant des requêtes en Habeas Corpus au nom de grands singes, d’éléphants ou de mammifères marins captifs. Une démarche militante originale, ponctuée de nombreux échecs mais aussi de victoires juridiques spectaculaires.
« Nul ne peut être enfermé sans jugement »
Puisant ses origines dans le droit romain, cette formule illustre le principe juridique de l’Habeas corpus. Devenu l’un des piliers des libertés publiques dans l’Angleterre des Lumières, il s’applique encore dans la plupart des pays qui appliquent la common law. Aux États-Unis, l’Habeas Corpus a même une valeur constitutionnelle : rempart contre la détention arbitraire, il garantit que toute personne arrêtée a le droit de savoir de quoi elle est accusée et d’être jugée par un tribunal.
Des personnes non humaines ?
Né en 1952, Steven Wise a consacré sa vie à plaider pour la reconnaissance juridique des animaux non humains. Diplômé en droit de l’Université de Boston en 1976, Steven Wise s’est rapidement orienté vers la défense des animaux, devenant l’un des premiers avocats spécialisés dans ce domaine. Enseignant à la Harvard Law School, il a formé de nombreux juristes sur les questions des droits des animaux, semant les graines d’un changement profond dans la perception et la législation en matière de protection animale.
Steven Wise fonde le Nonhuman Rights Project (NHRP) en 1995, une association qui cherche à modifier le statut juridique de certains animaux. En effet, selon l’ONG, certains animaux méritent un statut juridique particulier : au motif qu’ils sont conscients d’eux-mêmes, agissent avec intentionnalité, expriment des préférences et ont une personnalité qui leur est propre, ils doivent en effet être extraits de la catégorie des biens et se voir reconnaître le statut juridique de « personne non humaine ».
Dès sa création, l’activité du Nonhuman Rights Project se concentre principalement sur des procédures juridiques. L’ONG introduit ainsi des requêtes en Habeas Corpus au nom d’animaux détenus en captivité, souvent dans des conditions misérables : les chimpanzés de laboratoire Hercule et Léo, l’éléphante Happy détenue au zoo du Bronx, etc. Elle souligne qu’il n’existe rien dans le droit qui suggère que seuls les êtres humains peuvent être reconnus comme des personnes, au sens juridique, et que certains animaux répondent tout à fait aux critères requis pour se voir accorder la personnalité juridique.
L’ONG s’appuie, en outre, sur des rapports vétérinaires indiquant que, malgré toute la bonne volonté des soigneurs, la captivité induit chez de nombreux animaux un état de souffrance et de stress. Selon Steven Wise, la capacité des animaux à souffrir de la captivité et à ressentir la douleur justifie pleinement que leur soit accordé, au minimum, un droit à la liberté et à l’intégrité physique.
« Je me suis demandé pourquoi j’étais avocat ? J’étais avocat pour obtenir justice, pour défendre les faibles, et je ne voyais pas d’êtres plus brutalisés – et en plus grand nombre – que les animaux. Si je passais le reste de ma vie à leur service, j’aurais fait plus que mon possible en tant qu’avocat humain. Donc, j’ai décidé d’alerter la justice sur ce problème. » Steven Wise, in L’Avocat des chimpanzés, documentaire, 2016.
Un précédent historique
L’action de Steven Wise et du NHRP s’inspire largement d’un précédent historique : dans l’Angleterre de 1772, une procédure en Habeas Corpus est introduite au nom d’un esclave, James Somerset, par des militants pour l’abolition de l’esclavage. Le juge, Lord Mansfield, approuve et contresigne la requête, qui entraîne la libération de l’esclave au motif que « nul ne peut être emprisonné sans jugement ».
De son côté, en décembre 2015, le Nonhuman Rights Project se voit sollicité par un collectif d’avocats argentins, inquiets des conditions de détention d’une femelle orang-outan nommée Sandra, vivant seule au zoo de Buenos Aires et montrant des signes de dépression. Inspirés par le travail de Steven Wise et du Non Human Rights Project, ces juristes argentins déposent au nom de Sandra une requête en Habeas corpus, et l’avocat Andrès Gil Dominguez se présente comme son avocat personnel. Au terme du procès, et contre toute attente, le tribunal dirigé par la juge Elena Liberatori reconnaît à Sandra le statut de « personne non humaine », et lui accorde le droit de vivre en liberté. En 2016, la femelle chimpanzé Cecilia détenue seule au zoo de Mendoza (Argentine) bénéficie d’un jugement similaire.
Après beaucoup de rebondissements judiciaires et médiatiques, les deux primates vivent désormais parmi des congénères, dans des refuges spécialisés dans la réhabilitation des primates. Sandra vit en paix au Centre for Great Apes en Floride, aux États-Unis, et Cécilia vit dans un sanctuaire au Brésil. Il est important ici de noter que leur libération n’a pas été fondée sur une loi de protection animale. Au contraire, il s’agit des premiers animaux non humains à s’être vus appliquer un principe juridique réservé jusqu’alors… aux humains !
Cette décision juridique spectaculaire ouvre ainsi des perspectives nouvelles et inédites pour les droits et le statut juridique de tous les animaux non humains. Le travail pionnier de Steven Wise se poursuit aujourd’hui au sein du Non Human Rights Project, dont l’action continue à dessiner un chemin vers une meilleure inclusion de tous les êtres doués de sensibilité dans nos systèmes de droit.
Source principale : Les Droits des animaux en questions, par Rosa B. et Dominic Hofbauer, Éditions La Plage (2022).
Photo : © Non Human Rights Project
Dominic Hofbauer
Éducateur en éthique animale pour L214 Éducation, chargé d’enseignement à l’Université de Rennes 2.