Numéro 11SantéLe renard et la véto

Brigitte Leblanc17 avril 2023412 min

Ceci n’est pas une fable  de M. de la Fontaine, mais cela aurait pu l’être…

Le renard roux, paradoxe criant parmi les animaux sauvages, car haï et respecté : haï des chasseurs, espèce chassable en France plus de 6 mois sur 12 et espèce ESOD[i] dans de nombreux départements et à ce titre tué toute l’année de diverses façons qui n’ont en commun que leur cruauté (piégeage, tir, déterrage, battues…), à une époque où la sensibilité animale est enfin reconnue. Au moins 400 000 renards tués chaque année ![ii] Mais aussi reconnu utile, voire indispensable par les scientifiques et aussi nombre d’agriculteurs qui implorent les pouvoirs publics de les aider dans leur lutte contre la prolifération des petits rongeurs[iii], faute de prédateurs : chaque renard mange de 3000 à 6000 micro-mammifères par an, évitant 2000 à 2400 € de dégâts à un agriculteur[iv]. Quant aux scientifiques, ils mettent l’accent sur son rôle de fossoyeur et de disséminateur de graines, aspects favorables à la biodiversité en général.

Nuisibles ?

Alors, en quoi sont-ils considérés comme nuisibles (ESOD pour être politiquement correct) et que leur reproche-t-on, hormis d’attaquer des poulaillers mal gardés et mal conçus et du gibier destiné au chasseur et relâché par ce même chasseur, animaux n’ayant aucune chance de survivre  à l’état sauvage, les « naïves cocottes de lâchers » comme les appellent les chasseurs eux-mêmes[v] ? Rappelons pourquoi une espèce peut être classée en ESOD[vi] : si elle porte préjudice à la santé ou la sécurité publiques, pour protéger faune et flore, en prévention de dommages importants aux activités agricoles, forestières ou aquatiques, et enfin en prévention de dommages importants à d’autres formes de propriété. Il est bien difficile de comprendre en quoi les quatre derniers items seraient appliqués au renard. Alors, tout vétérinaire étant le garant de la santé animale mais également de la santé humaine notamment en matière de zoonoses, permettez à une praticienne de se pencher sur le premier thème : le renard présente-t-il un danger pour la santé et la sécurité publiques ? Ou est-il un allié méconnu à certains niveaux, comme le notent de nombreux scientifiques au vu de son rôle contre l’émergence de la maladie de Lyme…

Haro sur le renard, porteur de maladies ?

La mauvaise réputation ancestrale du renard est certes liée à un fléau humain et animal : la rage. Le dernier cas de rage vulpine en France date de décembre 1998, les cas actuels de rage étant liés à l’importation illégale d’animaux, notamment des chiens, et à d’autres animaux comme la chauve-souris. Rappelons que les renards ont été massivement vaccinés contre la rage par voie orale dans notre pays, dans les années 80/90, et que la population vulpine est de ce fait indemne[vii]. Le renard est un animal qui s’éloigne peu de son territoire, il ne « migre » pas, les risques que des animaux infectés viennent de plus loin que nos frontières européennes occidentales sont très faibles, et « l’arme vaccin » est toujours disponible le cas échéant.

Passons aussi rapidement sur la gale dont certaines populations de renards sont atteintes : hormis le fait que cet acarien peut aller jusqu’à tuer le renard (mais faut-il pour autant que l’humain se charge de le tuer avant, sous le prétexte de « l’empêcher de souffrir »?), nul en dehors d’un autre renard n’est en danger d’être contaminé, sauf les chiens de chasseur qui se frotteraient à lui de bien trop près. Et rappelons que la gale se soigne parfaitement bien chez nos chiens[viii], et pourrait l’être facilement aussi chez le renard, par voie orale…

Reste une dernière maladie, rare, un problème de petit ver mais qui fait grand bruit : l’échinococcose alvéolaire dite, « maladie du renard », autre zoonose touchant les humains qui en accusent le renard. Effectivement, le petit ténia responsable, Echinococcus mutilocularis, est un parasite intestinal du renard chez qui il provoque simplement des troubles digestifs, il est évacué sous sa forme d’œufs dans les selles du renard mais également dans celles des carnivores domestiques, nos chiens et chats. Ces œufs sont le plus souvent ingérés par des campagnols, les larves qui se développent envahissent leur foie. Si ce campagnol est mangé par un renard (ou un chien !) les larves deviennent des vers adultes dans l’intestin de ces carnivores et le cycle se termine par la production d’œufs…Alors comment l’homme se contamine-t-il ? En mangeant des plantes ou des fruits à terre, contaminés par les selles du carnivore infesté, voire en caressant un animal qui porte des œufs sur son pelage (et ce sera rarement un renard…), bref en manquant d’hygiène. Car la prévention est facile : ne pas manger des aliments pris au sol sans les cuire (60° minimum), clôturer son potager, porter des gants en travaillant la terre, vermifuger ses animaux domestiques (et là on ne parle pas de les tuer, n’est-ce pas ? Mais de vermifuger régulièrement les chiens qui vont en forêt, notamment les chiens des chasseurs)[ix]. Certes cette parasitose rare peut être grave chez les humains mais ne faut-il pas « raison garder » et ne pas chercher à éradiquer les renards pour cette raison ? D’autant qu’il serait envisageable de les vermifuger aussi, certaines études ont montré l’intérêt de cette technique.[x] De plus, d’autres études ont montré l’effet contre-productif de leur élimination, les populations de renards s’auto-régulant, toute élimination importante sera suivie d’une reproduction plus importante avec des sujets jeunes souvent plus porteurs de ce parasite[xi]. Tout cela n’est pas sans rappeler la « diabolisation » dont ont été victimes nos chats sur le sujet de la toxoplasmose et des femmes enceintes, sujet sur lequel le milieu médical a fort heureusement évolué.

Le renard et les tiques : un effet cascade

De même, depuis quelque temps, c’est le regard de la société (hormis bien sûr celui de beaucoup de chasseurs…) qui a changé sur le renard et ce « grâce » à l’émergence de la maladie de Lyme chez l’homme. En effet, des recherches ont montré la prévalence de cette maladie transmise par les tiques dans les populations humaines vivant ou se promenant dans les zones boisées où les renards étaient moins présents. Quelques explications s’imposent ! En premier lieu, comment vit la tique ? La tique est un acarien parasite hématophage qui vit principalement en forêt, dans les broussailles. 3 espèces principales vivent en France. Au cours de son cycle, ce parasite passe par trois stades après éclosion de l’œuf : larve, nymphe et adulte, chaque passage nécessitant un repas de sang. La petite taille des larves et nymphes prédispose comme « fournisseur » de sang les micro-mammifères, donc les petits rongeurs, le dernier repas de sang permet à l’adulte de se reproduire et a lieu sur de plus nombreux mammifères, de taille plus variable[xii]. De ce fait, même si le renard lui-même peut être parasité, les études ont montré qu’il agissait en diminuant le nombre de tiques, en ayant une influence sur les rongeurs, hôtes privilégiés des deux premiers repas de sang :

– il prédate de nombreux petits rongeurs, diminuant donc directement le nombre d’hôtes pour les stades larve et nymphe des tiques.

– il change leur comportement : par peur du renard, les rongeurs restent moins au dehors, s’éloignent moins de leur terrier et donc sont moins disponibles pour les tiques.

Mais à présent, quel rapport avec la maladie de Lyme, dont la responsable est une bactérie, Borrelia burgdorferi ? Les micro-mammifères, oiseaux, certains reptiles, sont des réservoirs de cette bactérie et lui permettent de se diffuser par l’intermédiaire de la tique, vecteur (« taxi ») de la bactérie que la tique a « aspirée » lors d’un repas de sang  puis injecte dans sa salive en piquant lors d’un second repas de sang. Tout ceci explique le rôle positif que joue le renard contre la maladie de Lyme, en limitant les fournisseurs des premiers repas de sang des tiques : en prédatant une partie de ces rongeurs et en limitant leurs sorties, ce qui amène à moins de rencontres avec les tiques mais également à un moins grand nombre de tiques « porteuses » de la bactérie[xiii]. À ceci il faut ajouter deux faits :

-d’une part, la borrelliose, autre nom de la maladie de Lyme, ne touche pas uniquement les humains mais également les chiens, les chats, les équidés.

-d’autre part, la tique porte en général plusieurs pathogènes dans ses glandes salivaires, elle est vectrice de nombreuses autres maladies[xiv]: des parasites tel que Babesia responsable de la babésiose appelée aussi piroplasmose chez nos chiens et bovins[xv], avec le même réservoir que sont les petits rongeurs, les petits insectivores. Mais aussi d’autres bactéries responsables des ehrlichioses, anaplasmoses rencontrées chez les chiens, bovins, hommes, ou la fièvre Q bovine[xvi]. Que les petits animaux hôtes du repas de sang de la tique soient malades ou porteurs sains, si leur nombre est régulé par le renard (ou un autre prédateur), la prévalence des tiques diminue également et avec elle les maladies inoculées…

Le renard prédateur et fossoyeur nous protège…

Le renard a un régime alimentaire très varié : il chasse les lapins, lièvres, rongeurs, oiseaux, grenouilles, vers de terre mais mange aussi des baies, des fruits (dont il dissémine les graines, le pollen), il est plus omnivore que carnivore. Il est aussi un grand opportuniste et va profiter de tout ce que l’homme va lui « offrir » de façon plus ou moins volontaire : poubelles, gamelles des chiens ou chats, poules mal gardées et gibier maladroit et naïf relâché « pour la chasse ». L’homme agit-il différemment ? Lui aussi va au plus facile…L’alimentation du renard en milieu agricole ou forestier comprendra surtout les petits rongeurs, campagnols (3000 à 6000/an), des lièvres (15/an), et les cadavres des petits animaux de par son activité de fossoyeur. Ces rongeurs et lagomorphes peuvent être porteurs sains ou malades de certaines bactéries responsables de zoonoses autant chez d’autres animaux que chez l’homme : par exemple la leptospirose (où les rats porteurs sains sont montrés du doigt alors même qu’ils sont loin d’en être les seuls réservoirs) et la tularémie (surtout chez les lièvres et lapins)[xvii]. Bovins, chevaux, porcs, chiens, chats, humains…tous peuvent se contaminer par contact direct, la bactérie passant par toute muqueuse ou peau lésée, ou par contact indirect, par ingestion d’eau ou de végétaux contaminés par le rongeur ou lièvre malade ou son cadavre, la bactérie responsable de la tularémie par exemple persistant 8 à 15 jours sur un cadavre[xviii]. Le renard, tout en pouvant lui aussi être malade, diminue par la prédation la pression bactérienne au niveau des populations de rongeurs et lagomorphes en s’attaquant aux malades et affaiblis, et diminue par son activité de fossoyeur la probabilité de contact infectieux des hommes et des autres animaux.

En définitive, il apparaît que le renard n’est guère rancunier : sans certes le faire sciemment, il diminue la prévalence de certaines maladies sur les hommes, même les plus virulents à son égard, et sur nos animaux domestiques, même ceux qui le chassent. Il assainit nos forêts et lieux de promenades champêtres, autant pour les promeneurs que les agriculteurs, travailleurs sylvestres et même chasseurs. Certes il peut être vecteur d’une parasitose qu’il est néanmoins facile d’éviter avec un minimum d’hygiène. Ce rôle que la prédation des rongeurs lui octroie ne doit pas pour autant nous amener à vouloir éradiquer ces derniers, en occultant leurs multiples rôles et qualités dans la biodiversité : il faut que l’homme laisse à la nature la possibilité de retrouver un équilibre que les activités humaines drastiques ont trop souvent malmené.

M. de La Fontaine l’aurait sans doute bien mieux énoncé, mais «Maître Renard de ses multiples bienfaits, devrait être loué plutôt que massacré »…

Pour découvrir la vie et la beauté du renard : « Renards, les mal-aimés », ouvrage de Pierre Rigaux.


[i] Espèces Susceptibles d’Occasionner des Dégâts

[ii] geo.fr/environnement/quels-sont-les-animaux-les-plus-chasses-en-france-212014

[iii] youtube.com/watch

[iv] chemin-des-plumes.fr/wp-content/uploads/2020/05/ACTES-COLLOQUE-RENARD-ASPAS.pdf

[v] lechasseurfrancais.com/chasse/renard-mange-t-vraiment

[vi] Arrêté du 3 juillet 2019 pris pour l’application de l’article R. 427-6 du code de l’environnement et fixant la liste, les périodes et les modalités de destruction des espèces susceptibles d’occasionner des dégâts

lpo.fr/media/read/22819/file/ESOD_WEB.pdf

[vii] ofb.gouv.fr/le-renard

[viii] esccap.fr/arthropodes/gale-sarcoptique-et-notoedrique

[ix] agriculture.gouv.fr/lechinococcose-alveolaire

[x] who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/echinococcosis

protection-animaux.com/publications/animaux_sauvages/infothek/mb_renards.pdf

[xi] animal-cross.org/le-renard-animal-nuisible-ou-precieux-ami-des-agriculteurs-et-de-la-nature

[xii] esccap.fr/arthropodes/tiques-risques-maladie-chien-chat

[xiii] fondationbiodiversite.fr/wp-content/uploads/2019/02/Renards_et_risque-de_transmission_de_la_maladie_de_Lyme.pdf

[xiv] eurofins-biomnis.com/wp-content/uploads/2018/11/DS20-INTFR-Maladies_tiques.pdf

[xv] dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-02075721/document

[xvi] web-agri.fr/parasitisme/amp/article/137642/impacts-economiques-et-sanitaires-les-tiques-ne-sont-pas-a-prendre-a-la-legere

[xvii] infectiologie.com/UserFiles/File/formation/gericco/2022-gericco-zoonoses-associees-aux-rongeurs-florence-ayral.pdf

[xviii] francelyme.fr/Documents/2008/tularemieCNRS.pdf

Dessin : Chantal Girot


Brigitte Leblanc
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Vétérinaire

4 commentaires

  • Barut

    25 février 2024 à 14h05

    Merci pour cet article que j’ai lu en cherchant un autre article sur le comportement du renard. J’aurais aimé que vous parliez aussi de la vie sociale du renard, des conséquences de l’abattage du mâle dominant qui laisse la place aux jeunes sans expérience et de la désorganisation qui en résulte. Et de bien d’autre conséquences de ces abattages insensés.

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    • B.Leblanc

      25 février 2024 à 20h48

      Bonsoir! Vous avez tout à fait raison, la liste est longue de nos actes qui désorganisent les sociétés des animaux, ce dont après, parfois, nous nous plaignons!
      Merci pour votre commentaire, je suis contente que cet article puisse être utile au renard…

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  • Delphine Galerne

    29 avril 2023 à 13h05

    Merci de cet article! Je suis une grande admiratrice des renards 😊

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    • Leblanc

      31 mai 2023 à 16h17

      Merci à vous de l’avoir lu et apprécié!

      Répondre

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