Numéro 9Droit animalierUne protection différenciée pour les animaux

Adèle Martinez17 octobre 202217 min

Depuis le début de l’année 2022, l’Espagne a décidé d’octroyer aux animaux de compagnie une nouvelle forme de protection juridique et donc une nouvelle forme de reconnaissance[1]. Ces animaux présents dans nos foyers vivent les aléas de la famille dans laquelle ils se trouvent. Les départs en vacances, les disputes comme les problèmes financiers les impactent. À cet égard, les soins devant leur être prodigués passent au second plan lorsqu’il est déjà compliqué pour les propriétaires de subvenir à leurs propres besoins. Dans le cas contraire, des personnes font passer les besoins de leurs animaux avant les leurs et à leur détriment. Dans ce pays, l’évolution de la reconnaissance des animaux de compagnie a vu le jour au travers de la loi espagnole 17/2021 sur le régime juridique des animaux.    

À partir de cet ajout dans l’article 90 du Code civil espagnol[2], l’animal peut, à l’image d’un enfant, continuer de voir ses deux propriétaires au travers d’une garde alternée lorsqu’ils divorcent. Le juge pourra imposer la garde, l’attribuer à l’un des deux protagonistes ou encore répartir les différents frais nécessaires aux soins et au bien-être de l’animal. Il semblerait que les animaux ne soient plus perçus comme des biens, mais comme des personnes dont les ressentis sont à prendre en compte. Sous un certain angle, c’est un réel progrès pour ces animaux dont on ne peut que se réjouir. Mais sous le prisme du statut juridique de l’animal, cela amène ou ramène sur le devant de la scène des interrogations. Il conviendra d’y répondre à un moment donné afin de transformer la condition animale en droit français.

En effet, quel statut juridique voulons-nous octroyer aux animaux ?

L’une des phrases dite et répétée aux étudiants arrivant sur les bancs de la faculté de droit est, ou en tout cas, s’apparente à celle-ci : « Le droit est le reflet de la société ». Cette phrase signifie que le droit retranscrit à un moment T les représentations sociétales et plus précisément les visions de ceux qui peuvent s’exprimer. Il n’en demeure pas moins que le droit est une affaire d’êtres humains et non d’êtres vivants, c’est du moins le cas en France. Il existe des exceptions, et il est possible de faire référence à l’Equateur (nature), à l’Inde (fleuve) ou encore à l’Argentine (chimpanzé). Dans ces pays, des entités de la nature disposent d’une personnification et des droits leur sont octroyés. Une nuance doit toutefois être soulevée, car ces exemples ne sont des exceptions que s’ils demeurent dénués d’anthropocentrisme.

En France, ce sujet n’a pas lieu d’être même si des conférences s’organisent dans ce sens afin d’étayer la réflexion[3]. En revanche, les débats menés pour avoir une protection effective des êtres vivants non-humains restent superficiels. Parce que le fond est déjà là, ce sont des êtres sensibles. La question que nous pouvons nous poser maintenant, c’est : comment voulons-nous les protéger ? Les juristes plus enclins à la protection animale évoquent un changement de la summa divisio[4] et de faire en sorte que les animaux ne soient plus dans la catégorie des biens, mais dans celle des personnes ou dans une catégorie à part. Les plus réfractaires diront que cela n’a pas de sens et le droit a été créé par les Hommes et pour les Hommes et donc que seuls eux peuvent bénéficier d’une personnalité juridique.

Aujourd’hui, les notions de liberté et de propriété demeurent les principaux sujets du droit, mais ne devrions-nous pas étendre nos préoccupations à ce qui est réellement menacé ? La population humaine ne cesse de croître tandis que certaines populations d’êtres vivants ne font que s’amoindrir (amphibiens, reptiles, oiseaux, mammifères). Les animaux sauvages sont en voie d’extinction et la courbe ne tend pas à s’inverser malgré les différentes normes rédigées en ce sens. Aussi étonnant que cela puisse paraître, l’absence d’insectes sur nos pare-brises après un long trajet est un signe de leur disparition. Selon le rapport d’extinction 2020 de WWF, « l’abondance totale des grands papillons de nuit a diminué de 31 % au Royaume-Uni entre 1969 et 2016 »[5]. Il est donc légitime de nous questionner sur les outils à mettre en place et les moyens à développer pour améliorer cette situation. En ce sens, le droit a un rôle majeur si ce n’est fondamental.

Dans un autre registre que celui de la perdition des espèces, si nous faisons un rappel du statut juridique que les animaux ont en France, ils sont assujettis au régime juridique des biens. Ils peuvent selon un classement civiliste être soit :

  • Un animal de compagnie – « d’agrément » dans le lexique juridique ;  

  • Un animal de rente – ou d’élevage si nous nous plaçons au niveau de la législation de l’Union européenne ;

Selon un classement plus pénaliste ou dans le registre du Code rural et de la pêche maritime, un autre classement existe. Les animaux sont domestiques, apprivoisés, tenus en captivité ou sauvages. Le rôle de l’animal peut varier durant sa vie et son statut juridique évolue en même temps. Cette situation peut être un terrain dangereux. Il est possible de faire référence aux animaux sauvages qui une fois tenus en captivité subissent des expérimentations à des fins sanitaires ou cosmétiques.

Cette volonté humaine, qui est de disposer des animaux, engendre des difficultés à bien des égards. À titre d’exemple, et même si cela peut paraître intéressant pour les animaux, une autorisation doit être délivrée lorsqu’on souhaite devenir propriétaires de NAC (nouvel animal de compagnie). Il s’agit en l’occurrence d’animaux non domestiques détenus comme animaux d’agrément. Concernant la protection animale et le statut juridique de ce dernier, l’arrêté du 8 août 2018[6] est une réelle avancée. Ce texte fixe des règles de détention à leur égard tel que l’enregistrement dans le fichier national d’identification. En revanche, cela illustre parfaitement comment l’Homme peut s’approprier et détourner le vivant. C’est ce point-là qui demeure nébuleux. En effet, si la création des NAC tend à améliorer les conditions de bien-être de ces animaux, quelle pourrait être la prochaine étape ? Y aura-t-il des NAE (nouveaux animaux d’élevage) ?

À l’image des NAC, les NAE pourraient être des animaux non domestiques tenus en captivité non pas à des fins d’agrément comme pour les NAC, mais pour fournir des denrées alimentaires. L’idée semble positive puisqu’elle impliquerait d’intégrer de nouvelles espèces dans la catégorie des animaux de rente. En incluant ces nouveaux animaux, l’hypothèse idéale serait de protéger leur bien-être sous le prisme de la protection des animaux de rente et non des animaux sauvages. Pour les animaux de rente, le Code rural et de la pêche maritime[7] dispose qu’ils sont protégés de mauvais traitements et que leur souffrance doit être évitée. Néanmoins, cela ne règle pas le problème de l’appropriation du vivant et de l’utilisation déraisonnée que l’Homme a vis-à-vis des animaux, comme en témoigne le développement des élevages de poulpes en Espagne[8].

Il ne s’agit pas ici d’être chimérique en vous proposant de changer radicalement notre vision sur les animaux et de modifier l’ensemble des statuts. Il s’agit simplement de rappeler un constat bien décrit par Karine-Lou Matignon qui disait que : « Les animaux n’ont jamais été considérés pour eux-mêmes mais en fonction de l’idée que l’espèce humaine s’en est faite et du rôle qui leur a été assigné »[9]. Il serait peut-être temps qu’à défaut de disposer de leurs propres droits, les animaux aient une réelle reconnaissance se traduisant à la fois par un exposé clair de leur statut et par une concrète prise en compte de leur bien-être, s’illustrant parfois par le fait de laisser des espèces dans leur milieu naturel.


[1] Article de GEO paru le 6 janvier 2022 – En Espagne, la garde alternée des animaux de compagnie est prévue en cas de divorce

[2] Article issu de la Loi 17/2021 publiée le 16 décembre 2021, Ley 17/2021, de 15 de diciembre, de modificación del Código Civil, la Ley Hipotecaria y la Ley de Enjuiciamiento Civil, sobre el régimen jurídico de los animales.

[3] Conférence le 2 avril 2022 à Metz – La personnalité morale et juridique des rivières

[4] Taxonomie du droit

[5] Page 44 du WWF RAPPORT PLANÈTE VIVANTE 2022

[6] Arrêté du 8 octobre 2018 fixant les règles générales de détention d’animaux d’espèces non domestiques

[7] Article L.214-3 du Code rural et de la pêche maritime.

[8] GEO, paru le 24 février 2022 – Cette société espagnole veut ouvrir la première ferme d’élevage de poulpes au monde

[9] L’Incroyable histoire des animaux – de Karine-Lou Matignon, parution 14/10/2021


Adèle Martinez
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Titulaire du DU de Droit animalier de Limoges et du Master 2 en Droit de l'environnement, de l'aménagement et de l'urbanisme

Il y a un commentaire

  • Irr

    29 octobre 2022 à 10h23

    Je trouve inadmissible qu’on dise les mots animaux de rente à des particuliers qui ne comptent pas les consommer !

    Répondre

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