Plusieurs raisons aboutissent au désintéressement de la Société et du paysage politique de la défense des droits des animaux. La première raison tient, pour certains, à penser que se pencher sur ces questions reviendrait à exclure de son attention la misère humaine. Or, deux arguments viennent aisément contredire une telle allégation.
D’une part, l’épanouissement individuel ou collectif de l’être humain réside dans son environnement, or, l’environnement, sans les animaux qui le composent, ne saurait être épanouissant. En effet, il suffit de voir à quoi ressembleraient nos hypermarchés et supermarchés sans la moindre abeille sur Terre pour comprendre l’importance de leur présence.
En outre, l’article 5 de la Charte de l’environnement de 2004, adossée à la Constitution de 1958 en 2005, prévoit un principe de précaution que l’on doit à feu le Président de la République, Jacques Chirac. Cet article prévoit que « {l}orsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ». Bien que le texte ne fasse référence qu’à la responsabilité des autorités publiques, le justiciable, lui aussi, est tenu d’obéir à ce principe dans la mesure où le droit de l’environnement est un droit de « troisième génération » ou un droit dit de solidarité. Se pencher raisonnablement sur le bien-être animal est donc une exécution du principe de précaution qui incombe à chaque citoyen.
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a consacré un objectif à valeur constitutionnelle de « protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains » par une décision du 31 janvier 2020. Le dixième considérant de cette décision ajoute qu’ « {e}n faisant ainsi obstacle à ce que des entreprises établies en France participent à la vente de tels produits partout dans le monde et donc, indirectement, aux atteintes qui peuvent en résulter pour la santé humaine et l’environnement et quand bien même, en dehors de l’Union européenne, la production et la commercialisation de tels produits seraient susceptibles d’être autorisées, le législateur a porté à la liberté d’entreprendre une atteinte qui est bien en lien avec les objectifs de valeur constitutionnelle de protection de la santé et de l’environnement poursuivis ».
De plus, il est judicieux de rappeler encore que l’épidémie mondiale de COVID-19 est due à l’exploitation massive d’animaux sauvages. En effet, l’exploitation insalubre des pangolins, chauves-souris et autres animaux sauvages dans un marché de Wuhan serait la cause principale de cette pandémie. Le bien-être animal est donc bien un acte préventif au bien-être humain.
D’autre part, l’autre argument qui peut contrer cette première cause de détachement réside dans le portrait des auteurs d’actes néfastes à l’encontre de la faune tracé par les criminologues. En 2006, le Professeur Martin Killias, de l’Université de Zurich, et le Professeur Sonia Lucia, de l’Université de Genève, ont concentré leurs analyses sur l’échantillon suisse d’une étude internationale sur la délinquance, soit 3648 jeunes provenant de 210 classes de 70 écoles différentes. Dans le cadre de cette étude, ces derniers devaient répondre à un questionnaire pour évaluer l’ampleur des mauvais traitements envers les animaux. Les criminologues ont ensuite comparé ces données avec les réponses des écoliers aux questions concernant les éventuelles infractions qu’ils auraient commises à l’encontre de leurs camarades de classe. A l’issue de cette enquête, le constat a abouti à reconnaitre que la maltraitance animale est associée à des actes contraventionnels et délictuels (vandalisme, violence volontaire, agression). De l’autre côté de l’Atlantique, une étude similaire a été réalisée par le Professeur Stephanie Verlinden-Szedny et ses collègues de l’Université de l’Oregon, aux États-Unis. Ces derniers ont étudié les comportements d’adolescents impliqués dans neuf fusillades mortelles en milieu scolaire. Ils ont constaté que 45% d’entre eux avaient été auteurs d’actes de cruauté envers les animaux. Il est judicieux de conclure que la sensibilité de certains à la cause animale préserve la sécurité des Hommes de certaines dérives.
Une seconde raison pousse à ce « raisonnement » : le statut juridique de l’animal dans le monde diffère d’un pays à l’autre et n’est pas toujours limpide, ce qui rend les textes répressifs, parfois, difficilement applicables car peu lisibles. En France, l’article 515-14 du Code civil dispose que « {l}es animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité ». Cette nouvelle définition est le fruit d’une loi en date du 16 février 2015 qui a particulièrement ému les associations de protection des animaux et de l’environnement. Toutefois, le texte poursuit, « {s}ous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens ». Le statut de l’animal n’a donc pas été modifié, ce qui est plutôt heureux. En effet, si certains souhaitent que l’animal dispose d’une personnalité juridique propre, c’est sûrement sans comprendre ce qu’une telle reconnaissance aurait pour conséquences. Disposer de sa personnalité juridique signifie être soumis à des droits et obligations, ce qui ne serait pas sérieux en ce qui concerne les obligations. Pourtant, certains pays semblent prendre le chemin de la reconnaissance de la personnalité juridique de l’animal. C’est ainsi que, par une décision en date de décembre 2014, l’orang-outan de 29 ans, Sandra, a été qualifiée de « personne non humaine ». La Suisse a, elle aussi, adopté des textes en la matière. L’article 651 (a) du Code civil Suisse crée un intérêt supérieur de l’animal en cas de divorce ou séparation de ses maîtres. Toutefois, il n’y a pas de consensus européen en matière de statut juridique ou du bien-être de l’animal. L’article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CESDH) dispose du droit à la vie et l’article 3 de cette même Convention dispose de l’interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants, mais ces textes ne s’appliquent pas aux animaux et aucune autre disposition ne fait référence à ces êtres. S’il est difficile d’appréhender la protection effective du droit et du bien-être animal dans la sphère européenne, il n’en demeure pas moins que des textes protecteurs existent dans la sphère internationale avec, notamment, la Convention sur la diversité biologique de 1992 adoptée lors du sommet sur la Terre à Rio de Janeiro, reconnaissant l’importance de certaines espèces pour leur valeur intrinsèque et leur place dans l’équilibre d’écosystèmes uniques.
Maïwenn Rouxel
Elève-avocate