Numéro 11Manifestes et TribunesPhotographie animale – éthique et respect

Sylvain Duprat17 avril 202325 min

La photographie en nature, que ce soit de paysages ou d’animaux sauvages, se démocratise. Les adeptes sont de plus en plus nombreux. Amateurs et professionnels se lancent parfois dans la course à la meilleure photo, ce qui peut conduire à des abus envers la nature et ses habitants.

Je suis Sylvain et je suis photographe. Ma passion pour la nature sauvage m’a poussé à m’installer au Québec où j’ai la chance d’habiter près de points chauds de biodiversité qui me permettent daccéder plus facilement à des milieux sauvages. J’essaie d’inclure au mieux la dimension éthique dans l’observation et la photographie de nature, que ce soit pour des paysages ou des animaux.

Le respect est selon moi une notion de base, un principe même, que ce soit envers une personne, un lieu ou un animal. Aujourd’hui, la popularité croissante de la photographie animalière combinée à l’omniprésence des réseaux sociaux, fait naître de nouvelles problématiques qui méritent notre attention, car les conséquences peuvent être gravissimes.

Un photographe animalier, que je ne citerai pas, avait pour habitude de s’approcher du terrier d’un renard roux, toujours plus près, afin d’avoir des clichés toujours plus beaux. L’habitude et la proximité de cette rencontre ont fini par habituer le renard à la présence humaine. Il devenait chaque jour de moins en moins farouche. Quelques semaines plus tard, étant moins craintif envers les humains, le renard s’est fait renverser par un véhicule et est décédé sur le coup. On imagine aisément que ce renard a surement manqué à sa famille.

Un peu plus loin de chez moi, des photographes s’arrêtent au bord d’un champ, déballent tout leur équipement et plusieurs petites boîtes. Dans le champ, un harfang des neiges chasse les rongeurs. Les boîtes cachent en fait des souris mortes ou vivantes dans le but d’appâter le harfang et ainsi, pouvoir faire des photos en vol, en chasse, etc… Des photos qui auraient pu être possibles de réaliser sans appât mais avec un harfang positionné plus loin, avec un peu de patience, même si les photos risquent d’être moins spectaculaires.

Ces deux simples exemples ont en commun notre désir de vouloir toujours plus au lieu de se contenter d’un peu moins. Quel est l’objectif réel ? La recherche de la notoriété en gagnant des likes sur les réseaux sociaux ? Vendre des calendriers ou des cartes postales ? Je ne suis pas certain que quelques likes suffisent à justifier la mort d’un animal qui n’a rien demandé.

À cela s’ajoute les conséquences qui ne sont pas toujours mesurées par ceux qui les causent. Un animal sauvage que ce soit un renard, un ours ou un hibou a instinctivement une crainte des humains qui est saine. Appâter les animaux, ou les approcher de trop près, va créer un rapprochement non naturel voire une accoutumance. De ce fait, ils ne craindront plus les humains, ce qui entraîne de multiples problèmes comme perdre l’habilité de trouver seul sa nourriture dans la nature, développer des maladies suite à l’ingestion de nourriture industrielle ou pathogène, se rapprocher des routes et habitations où le risque de collision devient plus élevé…

Un ours habitué à être nourri sera audacieux et n’hésitera pas à entrer dans les maisons, les voitures… Il sera plus agressif et finira souvent abattu par un agent de la protection de la faune.

Nous avons quand même la chance, en 2023, de pouvoir s’offrir des appareils photos et objectifs plutôt légers qui sont équipés de zooms puissants permettant de se placer à une distance raisonnable d’un animal tout en obtenant des clichés de qualité.

Si vous avez la chance d’observer un animal sauvage et qu’il s’enfuit c’est que vous vous êtes surement trop approchés. Sur la photo ci-dessous j’ai photographié ce renard qui se trouvait à 450 mètres de moi. Son comportement restait naturel car il agissait comme s’il ne me voyait pas, il chassait et vaquait à ses occupations. Aussi, je ne suis pas resté trop longtemps sur place pour limiter ma perturbation au maximum, le temps de quelques clichés et je repartais. La photo n’est pas parfaite mais elle a été prise dans des conditions qui respectaient ce renard.

À l’heure ou nos activités impactent directement et fortement le sauvage de manière négative, que les animaux et la nature en général, doivent s’adapter aux conséquences rapides et imprévisibles des changements climatiques, que les habitats sont réduits voire détruits, il est de notre devoir de ne pas en rajouter avec des pratiques douteuses et irrespectueuses du vivant.

Respectons l’espace de vie des animaux sauvages, informonsnous sur les espèces que nous pouvons observer afin de mieux comprendre leur mode de vie et ce que nous pouvons nous permettre. Un animal stressé par notre présence ne montre pas toujours des signes évidents.

Remettons-nous en question ! Dans quel but photographions-nous un animal ? Est-ce simplement pour les réseaux sociaux et quelques likes ? Est-ce que je peux sensibiliser avec cette photographie ? Est-ce que je vais déranger l’animal et n’est-il pas pertinent de plutôt le laisser tranquille ?

Personnellement, les likes et la reconnaissance m’importent peu, même si cela me fait toujours plaisir. Je privilégierai toujours le moment que j’ai passé en compagnie de l’animal, les défis que j’ai eu avec mon appareil pour obtenir une bonne composition et le message que je vais pouvoir faire passer à travers le cliché, le reste est secondaire.

Il serait judicieux que toute personne souhaitant faire de la photographie animalière se renseigne un minimum sur la pratique, l’éthique et le respect du vivant. C’est pourquoi, j’aimerais qu’une charte de la photographie animalière voit le jour et que les personnes passionnés par cette pratique, débutants comme confirmés, s’engagent à la respecter en la signant.


Sylvain Duprat
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Créateur visuel - Photos et vidéos

2 commentaires

  • BRUN

    14 mai 2023 à 17h58

    Merci pour votre message, plein de bon sens et de respect, tant pour le lieu, que pour la faune et la flore. Je ne comprends même pas qu’il en soit autrement!? Je suis une photographe du dimanche qui a eu la chance de faire des safaris en Afrique de l’est début des années 90, mais j’ai adoré l’attitude des différents guides qui respectaient tous les distances pour ne pas importuner les animaux sauvages dans leur milieu naturel. J’en garde de merveilleux souvenirs.

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  • Giraudet

    1 mai 2023 à 20h18

    Merci beaucoup pour ce texte juste et édifiant !

    Répondre

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