Numéro 7Culture contemporaine“Montaigne, Kant et mon chien” : le chemin philosophique du chien

Audrey Jougla15 avril 20225 min

Editions Delachaux et Niestlé

Dire que le chien nous apporte beaucoup, chacun le sait. Affection, réconfort, exercice physique, nous savons que cet animal nous fait du bien et que l’on s’y attache comme à un ami.

Ce que l’on sait moins, c’est que le chien nous donne une grande leçon de sagesse et accomplit ce que nous peinons parfois à faire, nous autres humains.

Au décès de ma chienne, un raz-de-marée de souvenirs s’est entremêlé à une prise de conscience soudaine. Je voyais clairement ce qu’elle m’avait appris, je percevais distinctement tous ses enseignements, car c’est bien de cela qu’il s’agit : si philosopher c’est apprendre à mourir, le chien, lui, nous apprend à vivre.

Alors que mon chagrin ne se dissipait pas, le livre s’est écrit tout seul, d’une traite, avec une fulgurance que je ne m’explique toujours pas, comme une évidence.   

Une philosophie du quotidien

Au travers de nos 13 ans de vie commune, ma chienne m’a successivement accompagnée dans des péripéties, gaies ou moins gaies, avec, à chaque période de ma vie, une leçon particulièrement forte. En écho à ce que je traversais, ma chienne m’a offert un recul, un soutien, et m’a montré une attitude parfois bien plus sage et vertueuse que la mienne.

C’est la raison pour laquelle cet essai est avant tout un récit, chronologique, où chaque changement dans la vie du maître est l’occasion de réfléchir à un enseignement philosophique du chien. On pourrait ici supposer que c’est peut-être exagéré, ou que l’on essaye de poser de la philosophie là où il n’y en a pas : j’invite vraiment les curieux à lire ce petit traité, pour saisir la profondeur de ce qu’un chien nous apprend.

Le sens du devoir, la liberté, le jeu, la répétition, le repos, l’authenticité, la fidélité, la joie, l’acceptation, le pardon, pour ne citer que ceux-là, sont autant de sujets sur lesquels le chien offre un regard pertinent et souvent bien plus sain.

C’est pourquoi le livre s’articule autour de deux parties : “percevoir un autre monde”, car le chien nous sort de notre monde humain et nous donne à découvrir une réalité bien différente, et “devenir meilleur”, car il nous apprend patiemment à lutter contre nos penchants les plus vicieux, comme l’égoïsme, la superficialité, les regrets, l’inquiétude, et nous permet de reconsidérer la vie. La dernière grande leçon du chien, et sans doute la plus douloureuse, étant bien sûr l’amour inconditionnel qu’il nous porte, et l’expérience de sa perte, inéluctable. Comme dans la vie, où rien ne dure jamais, où tout est impermanent : apprendre à perdre, apprendre que les choses comme les êtres ne nous appartiennent pas, nous demande une vie entière.

Une lucidité sur notre société

Aucun animal n’est aussi proche de l’homme, à la lisière entre l’animalité et l’intimité humaine, le chien est sur ce seuil. Or, c’est une notion qui revient souvent dans l’imaginaire du chien : il est le gardien des frontières, des portes, des mondes. Il protège, il surveille, il garde, il approuve ou non le visiteur.

C’est un animal qui questionne aussi notre rapport à la société humaine. Là où nous mentons, il est sincère, là où nous paradons, il n’a que faire de nos représentations sociales, quand nous vivons sur écrans ou dans des boîtes (voiture, appartement, bureaux), il nous enseigne un retour à l’extérieur, il nous invite aussi à valoriser le sens du toucher, du contact, que nous avons tant perdu ou dévalorisé.

Grâce à ma chienne, j’ai ainsi beaucoup réfléchi aux travers de notre société, technologique, individualisée, égocentrique, compétitive, qui nous pousse à vivre en permanence “occupés”. Face à toutes ces illusions que nous tendent les rôles sociaux ou les injonctions de la société, le chien semble nous dire : “arrête de te raconter des histoires” et nous invite à un rapport bien plus franc et honnête, avec les autres mais aussi avec nous-mêmes.

Les inséparables

Le chien nous suit, il partage notre vie et nos états d’âme comme aucun autre humain, et vit avec nous parfois plus longtemps qu’aucun humain ne l’a fait. En cela, il est une part de son maître, et notre binôme était, comme c’est souvent le cas, indissociable. Les lecteurs mentionnent souvent qu’ils se sont pleinement reconnus dans notre histoire, ce qui est étrange car le récit, très personnel, se révèle finalement universel.

Ce livre est aussi l’occasion d’évoquer le deuil de son animal, épreuve souvent mal comprise par l’entourage, ou minimisée. C’est une douleur que j’avais d’ailleurs sous-estimée avant de la vivre, pensant davantage au soulagement que la fin de sa vie serait pour ma chienne. En réalité, avec le départ de son chien, on perd un lien unique, indicible, un partage de chaque instant et une complicité que l’on ne retrouve avec aucun humain.

Ainsi, dire au revoir à son chien peut être bien plus douloureux que le décès de certains proches, parce que la nature du lien que l’on a avec cet animal est exceptionnel. Et avec lui s’en va aussi une partie de nous.

Le plus bel hommage que je pouvais offrir à tous ces animaux, qui regorgent d’amour pour nous, était ce livre. Quelque part, c’est une manière de les remercier.

Citations du livre

« Une âme respectable » est un beau descriptif de qu’est le chien. Il mobilise en lui des qualités que nous n’atteindrons peut-être jamais et réussit naturellement tout ce sur quoi nos efforts d’humains semblent buter. 

« Il avait fallu que je regarde ma chienne plutôt que mes livres pour comprendre Spinoza. »

« Comédie m’a connue dans ma jeunesse, dans ma crédulité et les rêves encore adolescents que je projetais. Elle m’a connue musicienne, lorsque ça ne marchait pas encore, et lorsque ça marchait. Elle m’a vue entourée d’amis, parfois moins entourée et parfois radicalement seule. Elle, ne bougeait pas. Les amis s’en vont, s’éloignent, de nouveaux surviennent, les relations amoureuses vous déçoivent ou vous transportent, et pendant ce temps, votre chien, lui, demeure, comme un rempart face au chaos, un repère face aux cassures. »

Audrey Jougla
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Fondatrice et présidente d’Animal Testing
Auteur de « Profession : animal de laboratoire », Ed. Autrement

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