Cy gît un chien qui par Nature
Savait discerner sagement
Durant la Nuit la plus obscure
Le Voleur d’avecque l’Amant.
Sa discrète fidélité
Fit qu’avec beaucoup de tendresse
A sa mort il fut regretté
Par son Maistre, et par sa Maîtresse.
François Tristan L’Hermite (1601-1655) Poète, dramaturge, romancier, épistolier français.
Le Père Lachaise des animaux
Situé à quelques kilomètres au nord-ouest de Paris, le cimetière des chiens implanté à Asnières est un petit havre de paix où reposent les dépouilles de plus de 90 000 animaux depuis plus de 120 ans.
Long de près de 500 mètres et large de 30 mètres, il épouse les bords de la Seine et se love silencieux contre le parc de l’ile de Robinson.
C’est ici qu’en 1899, Marguerite Durand, journaliste féministe et Georges Harmois, un avocat, profitant de la loi du 21 juin 1898, qui rendait possible l’enterrement des animaux domestiques, décidèrent de créer le premier cimetière animalier de l’ère moderne.
Un contexte historique lié à des questions d’hygiène
A une époque pas si lointaine de nous, lorsqu’un animal mourrait chez un particulier ou était trouvé mort dans la rue, il était très souvent jeté dans un fleuve, une rivière, un gouffre, dans une étendue d’eau à la campagne ou abandonné dans un bois, un fossé.
Les descriptions de ces pratiques relatées par des écrivains célèbres dans leurs œuvres comme Victor Hugo dans les Misérables, ou encore Maupassant dans certaines de ses nouvelles, viennent confirmer les observations faites par des vétérinaires et les rares statistiques sur le sujet.
Le nombre de chiens jetés à la Seine ou dans la Marne s’élevait par exemple à plusieurs centaines par jour, auquel il faut ajouter les cadavres d’animaux abandonnés quotidiennement dans les détritus aux pieds des immeubles, ou devant les maisons.
D’autres dépouilles d’animaux étaient apportées aux équarisseurs qui récupéraient la peau pour la vendre aux tanneurs ou tout simplement elles étaient données aux chiens errants.
C’est dans ce contexte posant des problèmes d’hygiène qu’une première proposition de cimetière pour animaux de compagnie circula à Paris dans les années 1830.
Profitant de la loi du 21 juin 1898, indiquant que les animaux domestiques pourront être enterrés “dans une fosse située autant que possible à cent mètres des habitations et de telle sorte que le cadavre soit recouvert d’une couche de terre ayant au moins un mètre d’épaisseur”, rendant possible l’ouverture d’un cimetière animalier, l’avocat Georges Harmois et la journaliste féministe, Marguerite Durand se lance dans la recherche d’un terrain.
Impossible à trouver sur Paris, le terrain est acheté en dehors des fortifications, à quelques kilomètres au Nord de Paris, par la Société Anonyme du Cimetière pour Chiens, au baron de Bosmolet. La société devient alors propriétaire de la moitié de l’île des Ravageurs, situé en amont du pont de Clichy.
Après avoir obtenu l’accord du préfet, le cimetière des chiens, le premier du genre, est finalement inauguré à la fin de l’été 1899, au nom de l’hygiène, avec la double mission d’éviter d’empoisonner la Seine avec les cadavres des animaux et pour honorer la mémoire d’un compagnon fidèle.
Afin de réduire les possibles réticences, les cérémonies à l’image de celles faites pour les humains furent interdites et les tombeaux ainsi que les épitaphes ne devaient rien indiquer de l’au-delà mais seulement louer la fidélité terrestre de l’animal.
Plusieurs constructions étaient prévues sur le site, comme un columbarium, un musée des animaux domestiques, mais seuls les jardins, le magnifique portail de style Art nouveau dessiné par l’architecte Eugène Petit et la nécropole divisée en quatre quartiers (un pour les chiens, un pour les chats, un autre pour les oiseaux et le dernier pour d’autres animaux) furent réalisés.
Adieu veaux, vaches, cochons, chiens anonymes et héros
Passé le majestueux portail, une étrange sensation nous prend, et le silence se fait dès lors que nous passons ce portique qui sépare symboliquement le monde des vivants de celui des morts.
Un immense monument à la gloire du chien sauveteur Barry nous rappelle dès l’entrée, l’esprit de sacrifice des animaux envers les humains.
Cet épagneul des Alpes, ancêtre de la race des saint-bernards, appartenait aux moines de l’hospice du grand Saint Bernard. Il vécut au début du XIX ème siècle, et sauva 40 personnes perdues dans la neige.
Sur la plaque commémorative du monument, il est inscrit :
“Il sauva la vie à 40 personnes, il fut tué par la 41 -ème !…” Une belle et triste histoire qui est heureusement partiellement fausse car Barry n’a jamais été confondu, par une nuit tempétueuse, avec un loup, ni tué par un soldat des armées Napoléoniennes, mais a fini tranquillement sa vie à l’âge de 14 ans en Suisse.
Autre histoire de bravoure que nous rappelle une plaque inaugurée en 2006 par les amis du Patrimoine Napoléonien, est celle en mémoire du chien Moustache. Ce Barbet errant dans les rues de Caen qui, attiré par la musique militaire d’une compagnie de grenadiers, fut adopté comme mascotte par les hommes de troupes de la 40 -ème demi-brigade.
Moustache embrigadé se retrouve alors entrainé dans la terrible aventure des guerres Napoléoniennes.
De tous les combats, il alerta les troupes françaises cantonnées dans la Plaine du Pô, alors qu’il faisait sa ronde nocturne et permit de repousser une violente attaque surprise autrichienne durant laquelle il reçut à la cuisse un coup de baïonnette.
Reconnu comme un véritable héros, le Colonel Legendre d’Harvesse le fit inscrire au cadre de l’armée. Soigné par un chirurgien, il reçut en récompense de sa bravoure un collier au nom du régiment, une portion quotidienne équivalente à celle octroyée à un grenadier et avait même droit à la visite d’un perruquier qui avait la charge de le peigner une fois par semaine.
Moustache se distingua encore à plusieurs reprises lors des batailles de Marengo, Pozzolo ou encore à Austerlitz où lors d’un combat acharné, il perdit une jambe, ce qui ne l’empêcha pas de sauver le drapeau de son régiment.
Le général Lannes en personne ordonna qu’on lui mette au cou un ruban rouge, doté d’une médaille chargée sur une des faces de cette inscription :
“Perdit une jambe à Austerlitz et sauva le drapeau du régiment”
Sur l’autre face était inscrit :
“Moustache, chien français : qu’il soit partout respecté et chéri comme un brave”
Présenté à Napoléon, Moustache participa aux batailles d’Iéna, Friedland, Ocana, de la Sierra-Morena et fut finalement emporté par un boulet de canon le 11 mars 1811, à l’âge de 12 ans.
Dans le cadre des journées du Patrimoine et du Bicentenaire de la mort de Napoléon, la ville d’Asnières-sur-Seine a organisé une cérémonie commémorative en hommage à Moustache, chien héros des guerres Napoléoniennes, le 18 septembre 2021. Autre monument fort, démontrant encore ce lien puissant qui unit les hommes aux animaux, celui inauguré en mémoire des chiens policiers victimes du devoir en 1912.
Les restes de plusieurs chiens policiers se trouvent enterrés là, comme ceux de Dora (1907-1920), Léo, tué en service, Papillon, Top etc…
Si les chiens et les chats représentent 95% des animaux enterrés au cimetière des animaux d’Asnières, on y trouve aussi des chevaux, des moutons, un singe, des oiseaux, des tortues, lapins, et autres nouveaux animaux de compagnie.
Célèbre ou non, héros de la grande histoire ou de la petite, les animaux fidèles trouvent en ce lieu le repos, la reconnaissance de leur compagnons humains, comme ce petit chien dénommé loulou qui sauva un enfant de la noyade dans la Garonne et qui eut la reconnaissance éternelle d’une mère, ou anonyme comme ce chien qui vint mourir le 15 mai 1958 près du cimetière et qui devint le 40000 -ème locataire du lieu. Héros de guerre, chiens sauveteurs, ou tout simplement compagnons de vie, toutes ces sépultures émouvantes, nous rappellent combien les animaux comptent dans nos vies.
Les cimetières pour animaux une demande forte et une nécessité
Il existe une trentaine de cimetières animaliers en France, trop peu pour répondre à une attente de nombreux propriétaires d’animaux désireux d’offrir une sépulture à un compagnon de vie disparu.
De nombreuses communes font face à la multiplication de demandes d’inhumation d’animaux de compagnie. En France, près d’un foyer sur deux possède un animal. Les français ont un attachement très fort avec leurs animaux. La loi ne permet pas d’inhumer un animal dans une sépulture avec un humain ou d’y déposer ses cendres, comme l’a rappelé le Conseil d’Etat en se fondant sur la notion de dignité des morts (Conseil d’Etat, 17 avril 1963, Bois), ce qui implique de séparer strictement les espaces réservés aux hommes de ceux des animaux de compagnie.
Les maires ont donc l’obligation d’interdire l’inhumation d’un cadavre d’animal ou de ses cendres dans le cimetière, ainsi que tout dépôt dont ils auraient connaissance.
Les cimetières animaliers sont donc la réponse à cette forte demande des familles qui considèrent leurs animaux comme un membre à part entière de leur famille.
Des projets de cimetière animalier devraient voir le jour dans les prochaines années, notamment à Grenoble sous l’impulsion de notre collègue élue du Parti animaliste, Sandra Krief. Les politiques doivent répondre aux familles endeuillées par la perte d’un être cher et mettre à disposition de celles-ci des terrains pour offrir aux animaux de compagnie, un lieu de repos digne et à la hauteur de notre amour pour eux.
Guillaume Prevel
Conseiller régional Ile-de-France du Parti animaliste
Correspondant des Hauts de Seine du Parti animaliste