ActualitésInterview de Patrick Llored « Une éthique animale pour le XXIe siècle. L’héritage franciscain » Comment sauver l’humanité de son inhumanité ?

Savoir Animal19 mars 20215 min

Patrick Llored, philosophe et chercheur en éthique animale à l’université Jean Moulin de Lyon, dans son dernier livre « Une éthique animale pour le XXIe siècle. L’héritage franciscain » va plus loin que certains philosophes. Le titre  peut nous interroger quant à son effectivité, cependant à la lecture du livre, une réponse positive s’impose naturellement à nous !

Paru le 21 janvier 2021 aux Editions Mediaspaul (Paris).

Bonjour Patrick Llored, que devons-nous savoir sur vous, hormis le fait que, de longue date, vous êtes un passionné des animaux ?

Je suis en effet passionné par les animaux parce que ce sont des êtres qui sont en même temps semblables à nous et très différents de nous. Mais par-dessus tout, ce qui me passionne c’est la différence ! A savoir le fait que nous pouvons vivre ensemble, vivants humains et vivants animaux, tout en étant très différents dans le sens où nous ne disposons pas de la même raison que les animaux, qu’il y a une raison animale très différente de la raison humaine et que cette différence radicale ne nous interdit en rien de cohabiter, de coexister et donc de nous aimer ! J’ai inscrit cette différence radicale au cœur de mon travail de chercheur en éthique animale ! Même chose pour l’amour : nous aimons les animaux et ils nous aiment mais il est fort probable que cet amour animal si singulier soit propre au monde animal. Un amour animal, voilà ce qui me motive à comprendre ce que veut dire être un vivant non humain. Cette différence me fascine depuis toujours malgré les ressemblances qui nous rendent proches les uns des autres. Il faut inscrire cette différence au cœur de l’éthique animale même pour éviter les erreurs et les illusions de toutes sortes dans nos relations avec les animaux qui, j’y insiste, sont très proches de nous et en même temps si éloignés de nous.

Quel est le rôle de l’éthique animale dans la définition du statut moral de l’animal ?

Le rôle de l’éthique animale est central si l’on sait inscrire cette différence fondatrice au cœur de ce savoir si particulier qu’elle est. Pourquoi ? Parce que l’éthique animale est l’un des rares savoirs sur les animaux qui tente d’adopter leur point de vue. Le point de vue animal est ce qui motive ma conception de l’éthique animale. D’où un aspect essentiel de mon travail de chercheur en éthique animale : élaborer un point de vue animal qui prenne en compte à la fois le fait que comme nous ce sont des êtres qui appartiennent à la nature mais aussi à la culture. Il existe des cultures animales comme il existe des cultures humaines et elles sont en relation les unes avec les autres depuis des millénaires. L’éthique animale telle que je la conçois repose sur l’impossibilité absolue de séparer le corps de l’animal de la culture où il se trouve inscrit. Réduire un animal soit à la nature, autrement dit à son corps biologique, soit à sa culture, c’est pour moi la violence absolue. Ce point central est ce qui nous lie aux animaux et ce qui les lie à nous. Faire de l’éthique animale, c’est donc étudier la complexité des interactions zooanthropologiques qui se créent en permanence lors des nombreux échanges que nous avons su établir avec eux et ceux qu’ils ont su établir avec nous. Nous faisons partie de la même histoire complexe. L’éthique animale, c’est pour moi de l’histoire incorporée dans chaque corps animal ! Si l’on adopte ce point de vue, on peut voir des réalités absolument passionnantes dont très peu d’humains ont conscience et ce jusqu’à relire autrement l’histoire même de l’humanité qui s’est créée toujours en lien avec l’histoire des cultures animales.       

Quelle est l’importance de la vulnérabilité ?

La vulnérabilité est l’un des concepts clés de l’éthique animale ! C’est en travaillant sur ce concept que nous pouvons prendre conscience de ce qui nous relie, humains et animaux. Mais pour cela, il faut accepter de se laisser travailler par l’empathie qui est seule en mesure de nous conduire à prendre en compte la capacité à souffrir des animaux, capacité qui dépend aussi de l’histoire et des liens entre espèces. Chaque époque s’invente un regard sur l’animal qui devrait passer par la prise en compte de la vulnérabilité de la vie même des animaux. De plus, la domestication qui est le grand impensé de la question animale, nous apprend qu’elle a contribué à amplifier cette capacité animale à la souffrance et c’est contre cette amplification tragique que l’éthique animale doit lutter pour être en mesure d’inventer de nouveaux liens entre toutes les espèces vivantes sinon nous irons vers des catastrophes écologiques et sanitaires dont les animaux, sauvages autant que domestiques, sont et seront les premières victimes. La crise sanitaire mondiale actuelle en est la preuve absolue, même si l’humanité refuse toujours de regarder cette réalité en face. L’éthique animale est là pour éclairer et éduquer l’humanité à prendre en compte la vulnérabilité animale, y compris pour la prévenir ! C’est sa dimension hautement politique. Pas d’éthique animale digne de ce nom sans politisation de la question animale même !    

Est-on obligé de passer de l’éthique à la politique voire à la dédomestication pour penser que l’animal se désapproprie ?

L’éthique animale telle que je la pense vise à créer les conditions culturelles et politiques d’une dédomestication. Il faut en effet absolument passer de l’éthique à la politique animale si l’on veut lutter contre toutes les formes de violence qui s’exercent sur les animaux. C’est à une nouvelle civilisation que j’en appelle dans mon livre Une éthique animale pour le XXI siècle…où je défends la thèse que ce n’est qu’à la condition de ne plus considérer les animaux comme des propriétés économiques que nous pourrons les aider à vivre heureux avec nous, en renonçant à leur exploitation et chosification. La dédomestication qui consiste à leur reconnaître des droits politiques d’un genre nouveau est la seule solution. Libérer les animaux pour en faire des sujets politiques est la proposition la plus radicale mais en même temps la plus réaliste de ma conception de l’éthique animale. Tout mon travail consiste à penser les conditions politiques de cette libération. Je suis intimement convaincu que nous y arriverons progressivement. C’est cet espoir politique ce qui donne du sens à mon existence de chercheur et de citoyen qui milite pour ouvrir la citoyenneté même à nos frères et sœurs animaux !

Patrick Llored, professeur de philosophie et chercheur en éthique animale à l’Université Jean Moulin Lyon III.

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