Numéro 8Animaux domestiquesFace à l’inertie des politiques, la voie juridique pour abolir la corrida à Mexico

Roger Lahana15 juillet 20227 min

C’est un moment historique que vit le mouvement anticorrida au Mexique. Grâce à une offensive juridique menée par des associations de protection animale, l’obtention de l’abolition de la corrida à Mexico est à portée de main, en contournant totalement l’inertie des politiques qui ont bloqué jusque-là toutes les tentatives de faire voter la fin de cette barbarie au Congrès (Parlement) de la capitale du Mexique.

Le Mexique est constitué d’une fédération de 31 États auxquels s’ajoute la ville de Mexico, qui n’a pas le statut d’État. Les États ont chacun leur propre constitution et totalisent avec la capitale plus de 128 millions d’habitants. En l’espace de huit ans à peine, ce ne sont pas moins de cinq États mexicains, et non des moindres, qui ont interdit les corridas :

  • Sonora (2013)
  • Guerrero (2014)
  • Coahuila (2015)
  • Quintana Roo (2019)
  • Sinaloa (2021)

Depuis quelques mois, des rebondissements sans précédent ont marqué et continuent à agiter Mexico. Tout a commencé le 23 février 2022 lorsque la Commission du bien-être animal de Mexico a reçu des représentants d’AnimaNaturalis qui ont exposé différents arguments en faveur de l’abolition des corridas dans cette ville et réfuté tous ceux énumérés par les pro-corrida devant cette Commission. Le 3 mars, ces mêmes arguments ont été présentés en session du Parlement de la ville. Dans les semaines suivantes, la situation s’est enlisée, avec un refus d’organiser un vote sur le sujet, au sein d’une Assemblée très divisée sur la question. Le 30 mars,  la décision d’interdire la tauromachie a été présentée par le président de la Commission du bien-être animal. Mais aucun vote n’a suivi.

Une situation anticonstitutionnelle, sur fond de corruption

À Mexico, la Constitution de la ville accorde déjà des droits aux animaux. Le problème est qu’une norme inférieure, celle des spectacles publics, autorise les corridas. Légalement, elle contrevient aux dispositions de la Constitution, mais les autorités ont discrétionnairement décidé de respecter cette loi et non la Constitution. En raison de principes juridiques élémentaires, aucun droit déjà inscrit au niveau constitutionnel ne peut être soumis à consultation populaire, cela devient donc une question de légalité. Permettre une consultation, c’est accepter cette illégalité, mais pas seulement, car cela ouvrirait les portes pour que, dans les cinq autres États où les corridas sont déjà interdites, les congrès concernés puissent un jour décider d’organiser des consultations afin d’annuler ces interdictions.

Malheureusement, au Mexique, l’achat de votes est une pratique qui n’a pas encore été éradiquée et beaucoup de gens se vendent pour une bouchée de pain. Dans ce pays qui abrite la plus grande arène du monde (environ 50 000 places), la tauromachie est un secteur parmi les plus riches, il n’est donc pas difficile d’imaginer que plusieurs millions seraient sûrement alloués à l’achat de votes en cas de besoin.

La consultation citoyenne proposée par Claudia Sheinbaum, maire et gouverneur de Mexico, soi-disant pour sortir du blocage parlementaire mais en fait pour rallonger le délai avant d’avoir à décider quoi que ce soit, n’est pas seulement illégale comme on l’a expliqué plus haut, elle est considérée par beaucoup dans la classe politique ainsi que par les citoyens et les militants comme un exercice truqué. Outre ce que cela coûterait, la tenue d’une consultation n’est pas incluse dans le budget de la ville. De ce fait, très peu de ressources seraient affectées à cette question, ce qui entraînerait peu de bureaux de vote et donc empêcherait un large vote de toute la ville, ouvrant ainsi la porte à de possibles contestations du résultat quel qu’il soit. Pour toutes ces raisons légales, budgétaires et – pour certaines – inavouables, personne ne veut vraiment que cette question fasse l’objet d’une consultation.

L’initiative de proposition de réforme de la loi de protection animale en matière de corridas, a été débattue par la Commission Bien-Être Animal et a obtenu un avis (“dictamen”) favorable. Mais le Bureau directeur du Congrès a refusé d’inscrire cette initiative à l’ordre du jour pour des prétextes procéduraux. Il fallait d’abord que le Bureau analyse si le dictamen répondait aux exigences de “formulation et présentation”, et au terme de cette analyse le dictamen a été renvoyé à la Commission Bien-Être Animal. Le président du Bureau directeur a fait un semblant de consultation auprès des huit membres du Bureau avant de renvoyer le dictamen en commission. La mise à l’ordre du jour n’a pas été votée et devrait théoriquement être remise à une prochaine session du Congrès (au minimum en septembre).

La voie juridique

Il n’a pas été question pour les militants anticorrida, au premier chef desquels l’association AnimaNaturalis Mexico très active sur ce dossier, d’attendre que la situation s’enlise au Congrès sans rien faire.

Puisque la Constitution a été foulée aux pieds par la décision illégale de passer outre les dispositions qui auraient dû faire disparaitre la corrida il y a déjà plusieurs années, la possibilité d’un recours en justice a très vite été envisagée. Cette option présente ses propres risques, qui ont été soigneusement analysés.

Il a été décidé par plusieurs associations de déposer des plaintes, afin de contourner l’immobilisme des députés. La première d’entre elle a été celle de l’association Justicia Justa, qui proteste contre les violences exercées sur des animaux lors des corridas et y ajoute les violences faites aux femmes, extrêmement fréquentes dans ce pays.

Suspension des corridas à Mexico par le juge Bass

Le 27 mai, coup de théâtre : le juge fédéral Jonathan Bass ordonne la suspension provisoire des corridas à Mexico suite à la plainte déposée par Justicia Justa. Le 10 juin, la suspension a été requalifiée de « définitive » (ce qui ne signifie pas « pour toujours » mais « sans limite de date ») par deux des trois juges du Tribunal fédéral. La suspension ne prendra fin qu’à l’issue du procès, ce qui devrait nécessiter plusieurs mois.

Attention : contrairement à ce qu’on a pu lire sur certains sites d’organisations de protection animale qui ont mal interprété l’expression « suspension définitive », il ne s’agit pas d’une abolition, mais d’une suspension qui s’appliquera jusqu’au rendu du verdict. C’est à partir de là que l’abolition pourra être décrétée si le verdict donne raison aux plaignants.

Début juin, un appel a été déposé par un lobby procorrida, appel rejeté dès le lendemain par le Tribunal fédéral. Un recours a aussi été déposé par Claudia Sheinbaum, mais a également été rejeté.

En parallèle, plusieurs autres plaintes ont été déposées par AnimaNaturalis et CAS International via le cabinet d’avocats Va por sus Derechos. Le but est bien sûr d’accumuler les procédures visant à obtenir l’abolition.

L’effet château de cartes

L’abolition se rapproche partout en Amérique latine, où se trouvent cinq des huit pays tauromachiques de la planète (Mexique, Venezuela, Colombie Pérou, Équateur), les trois autres étant en Europe (Espagne, France, Portugal).

On vient de le voir, la situation bouge de façon extrêmement prometteuse à Mexico. Au Venezuela, une loi d’abolition est en cours d’examen. Des événements similaires ont lieu au Pérou.

Quant à la Colombie, elle vient d’élire pour la première fois de son histoire démocratique un président de gauche, de surcroît anticorrida déclaré, Gustavo Petro, qui ne prendra ses fonctions que le 7 août. Cela ne l’a pas empêché de réagir très vite à un faits-divers survenu le 26 juin : l’effondrement d’une partie des arènes de la municipalité d’El Espinal, dans le département de Tolima (au centre de la Colombie), qui a fait au moins quatre morts et des dizaines de blessés. Gustavo Petro a demandé sur Twitter que ce type de spectacle violent soit désormais interdit. Le maire de Barranquilla (capitale du département d’Atlántico dans ce pays) a aussitôt annoncé son soutien à l’interdiction souhaitée par le président. Nul doute que d’autres viendront.

Dans les semaines et les mois à venir, toute notre attention sera fixée sur cette partie du monde. L’espoir est clair : dès qu’un seul de ces pays en finira avec la corrida, l’effondrement des autres suivra tel un château de cartes qui s’écroule.

La fin de la barbarie infligée aux taureaux semble être enfin en vue.

L’auteur remercie Arturo Berlinga (directeur d’AnimaNaturalis Mexique), Elideth Fernandez (référente pour le Mexique du RIA) et Marius Kolff (directeur de CAS International) pour différents échanges qui ont contribué à l’écriture de cet article.


Roger Lahana
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Président de No Corrida
Secrétaire fédéral de la FLAC (Fédération des Luttes pour l’Abolition des Corridas)
Référent pour la France du Réseau International contre la Tauromachie
Membre plénier de la World Federation for Animals

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