Numéro 10Animaux domestiquesCorrida, l’ultime mutilation à vif des taureaux suppliciés

Roger Lahana16 janvier 20236 min

Dans le cadre de l’exposition médiatique considérable qui a précédé le débat en séance plénière de la proposition de loi d’abolition présentée par Aymeric Caron à l’Assemblée le 24 novembre 2022, de nombreuses désinformations ont été mises en avant par des médias procorrida. L’un de ces mensonges a été l’affirmation selon laquelle les ultimes mutilations subies par un taureau torturé et tué lors d’une corrida seraient pratiquées après le décès de l’animal. Il s’agit de l’ablation des oreilles et parfois de la queue du taureau gisant sur le sol, considérées comme des « récompenses » pour les matadors qui se sont montrés les plus méritants selon des critères qui relèvent de la liberté d’appréciation du président de la séance, voire du public (règlement taurin de l’Union des Villes taurines de France, articles 39 et 83).

Il est bien évident que de telles pratiques, même sur une victime ayant cessé de vivre, sont d’une obscénité extrême, renvoyant les êtres humains coupables d’y recourir à un âge obscur, d’une barbarie écœurante envers les animaux suppliciés. Après vingt minutes de tortures diverses infligées à un ruminant par pur plaisir sadique pour en faire un spectacle, on pourrait se dire que l’ablation des oreilles et de la queue ne changerait rien à l’infinie cruauté de ce qu’il a subi. Mais cela devient encore plus révulsant si l’on sait que l’animal n’est pas mort au moment où il subit cette ultime mutilation.

La dénégation énergique des procorrida sur les réseaux sociaux au sujet du fait que le taureau puisse être encore vivant a été diffusée à la suite d’une interview que j’avais accordée quelques jours auparavant au magazine Geo, titrée justement « Corrida : les oreilles et la queue du taureau sont coupées alors qu’il est encore vivant ». On en reste bouche bée : que le taureau soit saigné à blanc, transpercé par des piques, des harpons, des épées et un poignard, se noyant littéralement dans son propre sang dans des souffrances indicibles, rien de cela ne leur pose le moindre problème de conscience. Mais qu’on puisse oser affirmer qu’on lui coupe une oreille ou la queue alors qu’il n’est pas encore mort, en train d’agoniser sur le sable sous les vivats de la foule en délire, là, curieusement, ça les gêne jusqu’à les pousser à protester publiquement.

Suite à cela, le COVAC (Comité de Vétérinaires pour l’Abolition des Corridas) a publié une mise au point claire et précise sur le site de No Corrida pour confirmer que ces mutilations étaient bien infligées à un animal encore conscient dans la plupart des cas.

Revenons sur le processus de mise à mort d’un taureau à la fin des trois tercios qui composent une corrida. L’animal succombe rarement au dernier coup d’épée porté par le matador (estocade), supposé transpercer ses poumons ou, si nécessaire, de la rupture de son bulbe rachidien avec une épée différente nommée verdugo. En général, cela est insuffisant : l’animal tombe à terre, mais il est toujours vivant. On lui porte alors le « coup de grâce » à l’aide d’un poignard, la puntilla, qui va être planté de façon répétée dans le bulbe rachidien. C’est ensuite que les éventuels « trophées » sont prélevés.

Or, la lésion du haut de la moëlle épinière ou du bas du bulbe rachidien ne provoque pas la mort, mais une paralysie, pouvant être partielle. Le COVAC précise : « La mort survient secondairement par arrêt respiratoire et asphyxie (ou par saignée dans le cadre d’une mise à mort en abattoir). En attendant, le taureau peut continuer à souffrir tant qu’il reste conscient, même s’il ne peut plus bouger, notamment si la moëlle n’a pas été complètement sectionnée. »

Deux sortes d’arguments viennent confirmer que la puntilla ne provoque pas une mort immédiate et ne protège en rien de la souffrance.

1 – Une étude scientifique publiée en 2010 : elle a été réalisée par des chercheurs du Royal Veterinary College de Londres. Elle n’a bien évidemment pas été menée à l’issue d’une corrida, ce qui serait techniquement et règlementairement impossible, mais dans un abattoir bolivien où est utilisée la puntilla. L’article a été publié dans la revue Meat Science (science de la viande), qu’on ne peut pas supposer être une revue militant pour le bien-être animal. Il a été complété deux ans plus tard, en 2012, par une seconde étude conduite par les mêmes auteurs dans Animal Welfare, en accès gratuit. Elle porte sur 309 bovins, abattus exactement comme est censé être achevé un taureau à la fin d’une corrida, à savoir par l’insertion d’un couteau dans la nuque au niveau de l’espace atlanto-occipital, qui a pour but de sectionner la partie supérieure de la moëlle épinière. De plus, ces gestes étaient accomplis par des opérateurs expérimentés, puisqu’il s’agit de leur métier quotidien, ce qui n’est pas le cas des puntilleros agissant dans les arènes de façon empirique. La conclusion des auteurs de l’étude est sans équivoque : “en pratique, la puntilla est difficile à exécuter de manière efficace, il est difficile de pénétrer dans l’espace atlanto-occipital et il existe un risque de ne pas sectionner complètement la moelle épinière.“ Ils ajoutent  que le geste doit être souvent répété pour les animaux de plus de 380 kg (ce qui est toujours le cas d’un taureau envoyé à une corrida), que plus de 90% des animaux continuent à présenter des réactions cérébrales et spinales, plus de 80% des animaux continuent à présenter des mouvements respiratoires rythmiques et 70% des animaux restent sensibles.

2 – Par ailleurs, l’usage de la puntilla comme procédure d’abattage est dénoncé comme inefficace et cruel par divers organismes internationaux.

Pour ces raisons, il est formellement interdit par l’Union européenne depuis 2009. Les corridas qui se déroulent dans le sud de l’Europe et plus spécifiquement en France ne tiennent aucun compte de cette interdiction.

Il est clairement déconseillé par la FAO, organisation de l’ONU :

Dans de nombreux pays en voie de développement, l’immobilisation des grands ruminants (bovins, buffles) est encore réalisée à l’aide d’un couteau tranchant et pointu parfois appelé puntilla. Le couteau est utilisé pour couper la moelle épinière à travers l’espace (Foramen magnum) entre le crâne et la colonne vertébrale. Lors de l’insertion du couteau et la section de la moelle épinière, l’animal s’effondre. Il restera immobilisé ; cependant, les animaux restent conscients jusqu’à ce que la saignée soit terminée. Cette pratique devrait être abandonnée, car elle n’est pas sans cruauté.”

Enfin, l’Organisation mondiale de la santé animale (182 pays membres) précise dans son Code sanitaire pour les animaux terrestres :

b) Les méthodes d’immobilisation causant des souffrances évitables ne doivent pas être appliquées chez des animaux conscients, car elles provoquent douleur extrême et stress. Parmi ces méthodes figurent entre autres les procédés suivants :

  • v) endommager la moelle épinière en utilisant, par exemple, une puntilla ou un couteau pour immobiliser les animaux.”

L’auteur remercie le COVAC pour son étude détaillée sur le sujet, dont les principaux éléments sont largement repris dans le présent article.


Roger Lahana
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Président de No Corrida
Secrétaire fédéral de la FLAC (Fédération des Luttes pour l’Abolition des Corridas)
Référent pour la France du Réseau International contre la Tauromachie
Membre plénier de la World Federation for Animals

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